Source Nicolas Bonnal via Le Saker Francophone

Spengler publie son Homme et la technique en 1931. C’est le premier livre que j’ai lu de lui, en 1979, et celui qui m’a le plus marqué : le plus froid, le plus crépusculaire, le plus étincelant dans sa brièveté. Spengler y définit la « tragédie faustienne » : l’homme occidental est finalement vaincu par son industrie, ses sources d’énergie et sa techno-dépendance. A l’heure de la pénurie, du Grand Reset et du grand contrôle informatique planétaire (qui concerne occident, Chine, Russie, Inde, Brésil et tout le reste), son livre reste une perle, au moins comparable au Règne de la quantité du Maître.
Répétons aussi les deux grandes phrases d’un livre époustouflant de Drieu :
Tous se promènent satisfaits dans cet enfer incroyable, cette illusion énorme, cet univers de camelote qui est le monde moderne où bientôt plus une lueur spirituelle ne pénétrera…
Il n’y a plus de partis dans les classes plus de classes dans les nations, et demain il n’y aura plus de nations, plus rien qu’une immense chose inconsciente, uniforme et obscure, la civilisation mondiale, de modèle européen.
C’est le dernier chapitre intitulé le Dernier acte qui m’intéresse. Spengler rappelle presque ironiquement les sources de la surpuissance du blanc devenu fétu de paille depuis :
Les peuples germaniques, en particulier, sont assurés d’un quasi-monopole des gisements de charbon existants, ou en tout cas connus, ce qui les a conduits à une multiplication de leurs populations, sans égale dans l’’histoire.
Mais la grande transformation a lieu, celle de Polanyi souvent pas si éloigné de Guénon et de Spengler :
Au-dessus du charbon, et aux carrefours principaux des lignes de communication qui rayonnent à partir de là, est entassée une masse humaine de proportions monstrueuses, enfantée par la technique machiniste, travaillant pour elle et tirant d’elle ses moyens d’existence…
La supériorité en charbon nourrit le colonialisme et le racisme qu’Hitler appliquera à d’autres blancs (les russes ou les ukrainiens, toujours aussi menacés par le capital occidental d’ailleurs) :
Aux autres peuples que ce soit sous la forme de colonies ou d’États nominalement indépendants est dévolu le rôle de fournir les matières premières et de consommer les produits finis.
Spengler rappelle la DESTRUCTION DE TOUT par l’ère industrielle :
La MÉCANISATION DU MONDE est entrée dans une phase d’hypertension périlleuse à l’extrême. La face même de la Terre, avec ses plantes, ses animaux et ses hommes, n’est plus la même. En quelques décennies à peine la plupart des grandes forêts ont disparu, volatilisées en papier journal, et des changements climatériques ont été amorcés ainsi, mettant en péril l’économie rurale de populations tout entières. D’innombrables espèces animales se sont éteintes, ou à peu près, comme le bison, par le fait de l’homme; et des races humaines entières ont été systématiquement exterminées jusqu’à presque l’extinction totale, tels les Indiens de l’Amérique du Nord ou les aborigènes d’Australie.
L’idée que la forêt a disparu par faute du journalisme et de la presse abrutissante est fascinante tout de même. Le traducteur Petrowsky cite un livre d’un proche de Madison Grant, Osborn Fairfield, sur le pillage de la planète et la destruction, voire l’anéantissement de tous les paysages traditionnels. On n’est pas très loin de Savitri Devi ou d’Alexis Carrel. D’ailleurs Spengler écrit, toujours dans le Dernier acte de son œuvre :
Nous sommes incapables de contempler le bétail paissant dans les champs, sans qu’il nous fasse penser à l’idée de son rendement pour la boucherie. Nous ne savons plus admirer la beauté des ouvrages faits à la main par les peuples encore simples, sans vouloir immédiatement leur substituer des procédés techniques modernes. Notre pensée technique DOIT ABSOLUMENT se réaliser dans la pratique, judicieusement ou absurdement.
Il remarque qu’en poussant à l’aberration le développement technique, l’homme touche à l’absurde (le progrès contre-productif !) :
Cette machine commence d’ailleurs à être, sur bien des plans, en contradiction avec la pratique économique : les signes avant-coureurs de leur divorce apparaissent déjà partout. Par sa multiplication et son raffinement toujours plus poussés, la machine finit par aller à l’encontre du but proposé. Dans les grandes agglomérations urbaines, l’automobile, par sa prolifération même, a réduit sa propre valeur : l’on se déplace plus vite à pied qu’en voiture.
Et c’est là qu’intervient la nausée des machines, prélude au penchant suicidaire décrit par des esprits aussi proches (et différents) que Gheorghiu, Daniélou ou Bruckberger :
Mais, durant ces dernières dizaines d’années, il est clair que cet état des choses change dans tous les pays où l’industrie à grande échelle est établie de longue date. La pensée Faustienne commence à ressentir la nausée des machines.
Si Bernanos voit une soumission aux machines devenues folles dans sa France contre les robots, Spengler pressent une nausée qui va accompagner le regain écologiste de l’après-guerre (lui-même meurt en 1936, qu’aurait-dit ou écrit vingt plus tard ?) :
Une lassitude se propage, une sorte de pacifisme dans la lutte contre la Nature. Des hommes retournent vers des modes de vie plus simples et plus proches d’elle; ils consacrent leur temps aux sports plutôt qu’aux expériences techniques… Les grandes cités leurs deviennent odieuses et ils aspirent à s’évader de l’oppression écrasante des faits sans âme, de l’atmosphère rigide et glaciale de l’organisation technique.
L’écologie a depuis vendu son âme à l’informatique et à sa gouvernance globaliste…
Edgar Poe écrivait :
Prématurément amenée par des orgies de science, la décrépitude du monde approchait. C’est ce que ne voyait pas la masse de l’humanité, ou ce que, vivant goulûment, quoique sans bonheur, elle affectait de ne pas voir.
Mais, pour moi, les annales de la Terre m’avaient appris à attendre la ruine la plus complète comme prix de la plus haute civilisation.
Poe voit l’horreur monter sur la terre (Lovecraft reprendra cette vision). L’industrie rime avec maladie physique :
Cependant d’innombrables cités s’élevèrent, énormes et fumeuses. Les vertes feuilles se recroquevillèrent devant la chaude haleine des fourneaux. Le beau visage de la Nature fut déformé comme par les ravages de quelque dégoûtante maladie.
C’est dans l’impeccable Colloque de Monos et Una.
Spengler explique même Guénon et la mode traditionnelle-traditionnelle de cette époque dans des termes encore ironiques :
L’occultisme et le spiritisme, les philosophies indoues, la curiosité métaphysique sous le manteau chrétien ou païen, qui tous étaient objet de mépris à l’époque de Darwin, voient aujourd’hui leur renouveau. C’est l’esprit de Rome au siècle d’Auguste. Dégoûtés de la vie, les hommes fuient la civilisation et cherchent refuge dans des pays où subsistent une vie et des conditions primitives, dans le vagabondage, dans le suicide.
Mais si le blanc peut se payer le luxe de l’écologie et du rejet des machines (encore que…) il n’en est pas de même des autres peuples qui souhaitent à leur tour décrocher la timbale du progrès :
Du coup, les «indigènes » purent pénétrer rapidement nos secrets; ils les comprirent, les utilisèrent à plein rendement. En trente ans, les Japonais devinrent des techniciens de premier ordre : dans leur guerre contre la Russie, ils révélèrent une supériorité technique dont leurs professeurs surent tirer maintes conclusions.
Marx avait parlé du grand remplacement du yankee par trois chinois ; on y est :
Aujourd’hui, et presque partout, en Extrême Orient, aux Indes, en Amérique du Sud, en Afrique du Sud, des régions industrielles existent. Ou sont en passe d’exister, qui, grâce au bas niveau des salaires, vont nous mettre en face d’une concurrence mortelle. Les PRIVILÈGES intangibles des races blanches ont été éparpillés au hasard, gaspillés, divulgués. Les non-initiés ont rattrapé leurs initiateurs.
Le blanc voit sa place menacée donc (on le voit cent ans plus tard, rien de nouveau sous le soleil) :
Peut-être même les ont-ils dépassés, grâce à l’alliage qu’ils ont réalisé entre la ruse de l’indigène et la grande maturité intellectuelle atavique de leurs très anciennes civilisations. Partout où il y a du charbon, du pétrole ou de la houille blanche, une arme nouvelle peut être forgée, pointée contre le cœur même de la Civilisation Faustienne. Le monde exploité est en passe de prendre sa revanche sur ses seigneurs.
Autre prédiction légèrement apocalyptique et mélodramatique :
Les multitudes innombrables des races de couleur aux mains aussi capables, mais beaucoup moins exigeantes anéantiront l’organisation économique des Blancs jusque dans ses fondements vitaux. Le luxe aujourd’hui HABITUEL dont bénéficie, par rapport au coolie, le travailleur blanc sera sa perte.
Sur les prédictions je persiste : personne ne s’est moins trompé que l’australien Charles Pearson. Il a vu comme Nietzsche arriver sur le monde et se maintenir solidement. Il a écrit qu’au fardeau de l’homme blanc sauce Kipling succédait celui de la personnalité (National Life and Character, III). Les autres, même (surtout en fait) des génies comme Spengler, ont une tendance à la grandiloquence tragique-historique.
Au moins je rejoins Spengler sur cette splendide envolée :
Confrontés comme nous le sommes à cette destinée, un seul parti pris vital est digne de nous, celui qui a déjà été mentionné sous le nom du choix d’Achille : mieux vaut une vie brève, pleine d’action et d’éclat, plutôt qu’une existence prolongée, mais vide. Déjà le péril est si pressant, pour chaque individu, chaque classe, chaque peuple, que vouloir se berner encore d’une illusion quelconque est lamentable. Le Temps ne permet pas qu’on l’arrête. Le pusillanime retour en arrière, comme le précautionneux renoncement, sont exclus. Seuls les mythomanes croient encore qu’il reste une issue possible. L’espérance est lâcheté.
La vérité de ce monde c’est la mort murmure Céline en pleine dépression newyorkaise.
Source :
- https://www.dedefensa.org/article/drieu-la-rochelle-et-le-grand-remplacement-en-1918
- https://www.dedefensa.org/article/drieu-la-rochelle-et-la-demission-de-la-france
- https://ia801908.us.archive.org/14/items/dli.ernet.29002/29002-Our%20Plundered%20Planet.pdf
- https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1170301s
- https://lecourrierdesstrateges.fr/2022/12/13/charles-pearson-et-le-devenir-socialiste-nihiliste-des-occidentaux-par-nicolas-bonnal/
- https://www.dedefensa.org/article/la-25eme-heure-et-le-citoyen-technique-1
- https://www.dedefensa.org/article/bruckberger-et-labdication-de-leglise
- https://lecourrierdesstrateges.fr/2022/09/09/lecons-libertariennes-n19-alain-danielou-et-le-point-de-vue-hindou-sur-le-kali-yuga-europeen-par-nicolas-bonnal/
- https://www.amazon.fr/grands-auteurs-traditionnels-Contre-moderne/dp/B0D66FDBKL/ref=sr_1_7
- https://www.amazon.fr/GOETHE-GRANDS-ESPRITS-ALLEMANDS-MODERNE/dp/B0C2RPJ6T9/ref=sr_1_1
- https://www.dedefensa.org/article/poe-et-baudelaire-face-a-lerreur-americaine
- https://www.dedefensa.org/article/celine-et-la-grosse-depression-americaine
- https://www.dedefensa.org/article/alexis-carrel-et-notre-civilisation-destructrice
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Une autre raison pour laquelle la technologie est
une force sociale si puissante vient du fait que, dans une
société donnée, le progrès technologique avance unique-
ment dans une seule direction ; il ne peut être arrêté.
Une fois qu’un artefact a été introduit, les gens deviennent généralement dépendants de lui, jusqu’à ce qu’il soit remplacé par un artefact plus récent.
Ce ne sont pas les individus qui deviennent dépendants, mais le système tout entier (Imaginons ce qui arriverait à l’heure actuelle si les ordinateurs disparaissaient).
Ainsi le système ne peut avancer que dans une seule direction, vers toujours plus de progrès technique.
La technologie force continuellement la liberté à reculer — sauf destruction complète du système technologique tout entier.
….
Depuis le début de la civilisation, les sociétés organisées ont du faire pression sur les êtres humains pour arriver à fonctionner.
Les moyens de pression varient considérablement d’une société à l’autre. Certains sont physiques (sous-alimentation, travail harassant, pollution de
l’environnement), certains sont psychologiques (bruit, en-
tassement, mise au moule du comportement humain).
Dans le passé la nature humaine a été à peu près constante
ou a varié seulement avec une amplitude faible.
En conséquence les sociétés n’étaient pas capables de contraindre
les gens au-delà d’une certaine limite.
Quand cette limite avait été franchie, les choses commençaient à se gâter :
apparaissaient rébellion, crime, corruption, absentéisme,dépression ou d’autres problèmes psychologiques, taux de mortalité élevé ou de natalité faible, et ainsi de suite, ce qui fait que soit cette société s’effondrait, soit elle déclinait et (plus ou moins rapidement, par la conquête, l’usure, ou
une évolution) était remplacée par une autre, plus efficace.
La Société industrielle et son
avenir Theodore Kaczynski
Du même auteur…
1. La révolution industrielle et ses conséquences ont
été un désastre pour la race humaine. Elle a accru la durée de vie dans les pays « avancés », mais a déstabilisé la société, a rendu la vie aliénante, a soumis les êtres humains a des humiliations, a permis l’extension de la souffrance mentale (et de la souffrance physique dans les pays du Tiers-Monde) et a infligé des dommages terribles à la biosphère.
Le développement constant de la Technologie ne fera qu’aggraver la situation. Ce qu’auront à subir les hommes et la biosphère sera de pire en pire ; le chaos social et les souffrances mentales s’accroîtront, et il est possible qu’il en aille de même pour les souffrances physiques, y compris dans les pays « avancés ».
2. Le système techno-industriel peut survivre ou s’effondrer. S’il survit, il PEUT éventuellement parvenir à assurer un faible niveau de souffrances mentales et physiques,mais seulement après être passé par une longue et douloureuse période d’ajustements, et après avoir réduit les êtres humains et toutes les créatures vivantes à de simples rouages, des produits calibrés de la machine sociale.
En outre, si le système perdure, les conséquences sont inéluctables : Il n’y a aucun moyen de réformer ou modifier le système de façon à l’empêcher de dépouiller les hommes de leur dignité et de leur autonomie.
3. Si le système s’effondre, les conséquences seront dramatiques. Mais plus le système se développera, plus désastreux seront les effets de sa destruction, et donc il vaut mieux qu’il s’effondre au plus vite.