Zad contre l’A69 : récit de 15 jours de siège policier

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Le 28 février, à la zad de la Crém’arbre contre l’A69 dans le Tarn. – © Emmanuel Clévenot / Reporterre

Depuis 15 jours, les défenseurs de la zad contre l’autoroute A69 subissent les assauts de l’État pour les déloger. Un siège marqué par des violences, privations et mises en danger qui ont alerté jusqu’aux Nations Unies.

Saïx (Tarn), reportage

« Observe autour de toi. Les insectes, les feuilles, le lichen. » Éraillée, la voix semble tombée du ciel. « On dirait la peau d’un vieil éléphant, poursuit-elle. N’est-elle pas somptueuse cette forêt ? » Haut perché dans sa cabane de fortune, l’écureuil — le nom que se sont donnés les activistes perchés dans les arbres pour empêcher leur abattage — interpelle un homme en uniforme, posté droit comme un piquet aux abords de la voie ferrée. Autour du bois de la Crém’arbre, le décor est tout autre ce 28 février : celui d’un champ de bataille, où les débris de grenades parsèment la terre dénuée de verdure. Toutefois, les écureuils persistent, irrésistiblement.

Le 15 février, un dispositif considérable de policiers et gendarmes a envahi la zad de la Crém’arbre, ultime bastion de résistance à l’avancée du projet d’autoroute A69, reliant Toulouse à Castres. Des heures durant, les maisonnettes bâties à même l’humus furent détruites et incendiées. Leurs habitants, vivement réprimés. À la nuit tombée, les CRS et les gendarmes encerclaient la zone. Objectif suivant : déloger les écureuils cachés à la cime des arbres, pour libérer l’accès aux abatteuses du concessionnaire.

« Un stroboscope pour les empêcher de dormir »

Pourtant, l’histoire a pris une toute autre tournure. L’opération éclair attendue s’est transformée en siège inarrêtable, où les nerfs des deux camps sont mis à rude épreuve. « Les gendarmes ont vite compris qu’ils auraient du mal à nous attraper, témoigne à Reporterre, Reva, encore là-haut aujourd’hui. Alors ils ont opté pour une autre stratégie. » À savoir, grimper jusqu’aux plateformes, et jeter par-dessus bord duvets, sommiers et nourritures. Plusieurs nuits durant, « les CRS ont harcelé et torturé les écureuils en tambourinant sur du métal et en les éclairant avec un stroboscope pour les empêcher de dormir », ajoute Claire, une habitante expulsée le 15 février.

Le 18 février, quelques dizaines de militants ont approché pacifiquement le dispositif de la gendarmerie pour réclamer l’autorisation de ravitailler les écureuils. Demande rejetée. En une poignée de minutes, les grenades désencerclantes, assourdissantes et lacrymogènes ont tonné, et les militaires ont chargé. Six personnes ont été interpellées et placées en garde-à-vue sans qu’aucune infraction ne leur soit finalement reprochée. Seul brin de joie pour les activistes en cette journée terne, le spectacle d’un des deux blindés s’embourbant maladroitement et l’incendie « malencontreusement déclenché [et revendiqué] dans la cimenterie avoisinant la zad ».

Un casque bleu accroché à la ceinture, Marie, observatrice de la Ligue des droits de l’Homme, a noté chaque péripétie dans son carnet : « Ce jour-là, une femme a été grièvement blessée, raconte-t-elle. Alors même qu’elle était inconsciente, les forces de l’ordre l’ont attrapée et jetée comme un vulgaire sac en dehors du dispositif. » Victime d’un traumatisme crânien, elle a mis 14 minutes à se réveiller. L’arrivée des secours a par ailleurs été entravée par les forces de l’État, poursuit Marie.

Désormais, les gendarmes interdisent aux observateurs des pratiques policières d’approcher les lieux : « Votre présence n’a aucune valeur juridique », lance d’ailleurs à Marie un homme en bleu, agacé par le récit de celle-ci. « Vous méconnaissez la loi, lui rétorque aussitôt Marie, agitant dans sa main une autorisation préfectorale. Sans compter qu’en janvier, le Conseil d’État a publié un décret nous octroyant les mêmes droits que les journalistes. » Rien à faire, le militaire tourne les talons, ignorant le document.

Le 22 février, la venue d’un rapporteur spécial des Nations Unies, Michel Forst a toutefois équilibré le rapport de force. Après s’être entretenu avec deux écureuils, l’homme a été reçu par le préfet du Tarn, Michel Vilbois et le colonel commandant du groupement de gendarmerie du département, chargé des opérations. Quelques jours plus tard, il a publié une synthèse de ses observations, exprimant de « vives préoccupations » concernant « l’interdiction de ravitaillement en nourriture et les entraves à l’accès à l’eau potable », « la privation délibérée de sommeil », et « la combustion de divers matériaux, l’allumage de feux, le déversement de produits à priori inflammables au pied d’arbres occupés ».

En conséquence, « je demande aux autorités françaises la prise de mesures immédiates de protection des écureuils » ainsi que l’ouverture d’une « enquête et des sanctions pour les actes » ayant « pu mettre en danger leur vie », a-t-il écrit dans un document consulté par Reporterre. Michel Forst prévient en outre vouloir procéder à la vérification d’autres informations « très préoccupantes » : à savoir « des coups de matraques, coups de pieds et coups de poings portés contre les manifestants au sol ; et des entraves à l’accès des médics aux secours professionnels, notamment les ambulances. »

Forts de ces observations accablantes, les opposants à l’A69 ont déposé le 29 février une requête en urgence auprès de la Cour européenne des droits de l’Homme. La juridiction a alors laissé à l’État français jusqu’au 4 mars pour déclarer si, oui ou non, les écureuils ont accès à de l’eau potable et à de la nourriture.

« Avec un peu de chance, la CEDH pourrait enjoindre la France à assurer ces ravitaillements, a dit à Reporterre Me Claire Dujardin, l’avocate à l’origine de la requête. Malheureusement, le gouvernement s’assoit parfois sur les décisions de la CEDH. »

En parallèle, une autre bataille judiciaire se poursuit. Le 21 février, deux arbres bicentenaires, baptisés Sorcière et Espoir par les écureuils, ont été abattus. Une opération vraisemblablement hors-la-loi : l’autorisation environnementale du 1ᵉʳ mars 2023 a instauré un calendrier interdisant les défrichements dans les secteurs à « enjeux écologiques forts » entre la mi-novembre et jusqu’au 1ᵉʳ septembre de chaque année. Or, le bois de la Crém’arbre est l’un de ces secteurs. « La Dreal s’est justifiée en prétendant qu’un écologue du bureau d’étude Biotop était venu au début du mois pour déclasser le site. C’est faux, s’indigne Thomas, de La Voie est libre. À ce moment-là, la zad était occupée. »

Cinq jours à tenir?

En revanche, le 21 février, un écologue d’Écosphère, un autre bureau d’étude, a lui bel et bien été observé par les écureuils. « Il est venu constater la richesse de la biodiversité, après sept jours de gaz lacrymogènes, de feux et de bruits, poursuit Thomas. Évidemment qu’il n’a observé aucun insecte ! »

Le 28 février, l’avocate Alice Terrasse a alors déposé un nouveau référé au tribunal administratif de Toulouse pour que cessent immédiatement ces abattages. Elle précise dans sa demande, que « l’autorisation environnementale ne comporte aucune prescription permettant au concessionnaire de rétrograder un secteur identifié “à enjeux écologiques forts” en secteur “à enjeu écologique moindre”. » Et conclut que les opérations actuelles sont donc exécutées en totale illégalité. En réaction, le lendemain, le tribunal administratif a accordé cinq jours aux préfets du Tarn et de l’Occitanie pour apporter les preuves d’une autorisation, justifiant la légalité de ces coupes.

Un mégaphone dans le creux de la main, le grimpeur Thomas Brail s’est adressé aux écureuils, le 29 février, pour les tenir au courant de la situation juridique : « Les gars, vous avez cinq jours à tenir ! » En réponse, s’est élevée dans les airs une voix, répondant : « On tiendra. »

Source REPORTERRE

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Volti

3 Commentaires

  1. Ils sont capables de faire ça sans états d’âme…

    Ca laisse augurer de ce que sera l’avenir. Continuez d’espérer être sauvés par les militaires, par la police qui viendrait à l’aide du peuple, continuez de croire au père noël…

    • Ils le feront c’est sur. C’est dans 3 mois que le truc européen statuera, alors 5 jours … les gendarmes, crs et autres agents des forces du maintien de l’ordre s’en balancent royalement !
      Ils “font” plutôt du désordre ! Mais c’est pas de leur faute … (humour noire), ils obéissent aux ordres, mais aux ordres de qui ? C’est qui, qui commande en france ?
      Le ministre de l’intérieur ou son supérieur ?https://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/plugins/wp-monalisa/icons/wpml_negative.gif

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