Par Lediazec
La lecture, c’est l’avant, le pendant et l’après dans le collier de la vie.
Que penser d’un homme qui vit dans quatre lieux différents selon que le vent pousse d’un côté ou de l’autre ? Qu’il s’agit de quelqu’un qui a de la ressource, du nez, et un bon sens de l’orientation. On ne peut que l’en féliciter. Ou pas.
Que penser d’un homme dont la maman règle ses amendes ou son retour à la maison en autobus avec des timbres-poste ou des bonbons, à la sortie du commissariat où il vient d’y passer la nuit, en cellule de dégrisement ? Que la dame a le sens du troc et des affaires. Qu’elle s’occupe bien de son adolescent endurci qui ne quitte le nid que pour y revenir.
Qu’elle se déplace avec peu de bagages, que l’époque qu’elle traverse est riche d’un art de vivre qu’on regrette aujourd’hui. C’était l’époque, dit l’auteur, où les gendarmes parlaient encore aux détenus. Où l’on ne brûlait pas le drapeau français dans la rue avec ostentation et dans l’indifférence ; où l’étranger trouvait sa place et où le français n’était pas encore considéré comme un raciste, un « sous-race », recevant des crachats pour être ce qu’il est ! C’était le temps où le pays ne baissait pas son froc sur commande !
Que penser d’une maman qui couche avec son accordéon ? … Qui dort avec, nuance ! Qu’il est inutile de lui chanter Ramona sous le balcon pour s’attirer les bonnes grâces !
Que penser d’un monsieur qui vit comme un manant et qui se comporte comme un aristocrate ?… Faut-il en déduire que « les anarchistes sont les aristocrates de la classe ouvrière », comme l’écrivait joliment Alexander Berkman ?
Que derrière chaque murge trône l’idée d’un képi qu’on envoie valdinguer ? Que le monde, si complexe et si cruel soit-il, demeure toujours source d’émerveillement ?…
Monsieur Jadis n’a que l’embarras du choix : une femme et deux enfants, qu’il croise de temps en temps. Une maîtresse qui dort avec son mari et qui, et qui, et qui… fait ce qu’elle doit quand elle estime le devoir faire. Des fréquentations à la palette vive en couleurs que monsieur Jadis ne compte plus et que sais-je encore… Des exemples ?
On prend Popo, alias Florence d’Arabie. Une devanture à mettre le feu sous la banquise, un décolleté à t’enrhumer le nombril et l’art consommé de la commande au Bar-bac à l’heure du croissant et du café crème. À la question de Madame Jadis mère : « que souhaitez-vous prendre », la Florence répond sans hésiter : « Un croissant, chère madame. Avec un grand pastis. Mais surtout : pas d’eau dedans, s’il vous plaît. »
La vieille, admirative devant la découverte d’un nouveau cocktail, s’exclame : « Tiens, il faudra que j’essaie. »
Je vous l’ai dit : on ne chante pas Ramona à la maman de monsieur Jadis, ni à la môme Popo, même si cela lui fait passer des mauvais quarts d’heure.
Antoine Blondin, écrivain, chroniqueur, romancier, aimant Rimbaud, Fitzgerald, Baudelaire, Albert Londres autant que le rugby, le cyclisme et l’alcool, faisait son métier avec beaucoup de sérieux, mais ne se branlait pas le cortex avec des angoisses sur la gloire et la postérité. Il vivait sa vie à la façon dont on prend une cuite, avec plaisir et détachement. Il avait fait de celle-ci une fable et de ses absences la perspective d’un paysage pictural.
Que penser d’un homme sans étiquette à qui on en colle un tas ? Que du bien, pardi ! Vivre à découvert en préservant le secret de ses intimes convictions n’est pas aisé pour celui qui se nourrit grâce à sa notoriété et dont chacun dans son entourage a une rumeur à colporter, un témoignage à donner, une histoire à inventer à son sujet.
Vivre sa vie, laissant aux autres le soin de l’imaginer à sa place, est affaire jouissive pour un créateur. Grâce à l’abondance et à la disparité de son œuvre, Blondin n’aura écrit in fine qu’un seul ouvrage, celui de l’amitié et de la fraternité, martelant toujours la même phrase : Antoine Blondin est né ici, a vécu plus loin, s’est rendu à tel endroit, a écrit pour tel journal… Aimait le sport et le chroniquait comme personne…
Tant de ses livres ont été adaptés au cinéma avec le succès que l’on sait, parmi lesquels le très culte « Un singe en hiver ».
J’aime la qualité de la gomme qu’il usait, courant pieds nus après l’imaginaire qui parfois se dérobait parfois non !
Allez, après ça, mettre un code barre sur le front d’un tel Seigneur, veilleur attentif des nuits et illustrateur d’une faune dont chacun a sa part de bonheur.
Sous l’Casque d’Erby
Ah, Blondin ! L’Odyssée eut son chantre nommé Homère, le Tour de France a eu le sien tout aussi magnifique, maniant le parler populaire le plus authentique avec la même maestria que dans ses autres livres. Quelques années ont passé, et soudain on s’aperçoit que ce passé est vraiment perdu dans un brouillard où les gaz lacrymogènes ont leur part. Mais aussi « le brouillard de guerre »et l’enfumage médiatique.