Proposé par Amar Djerrad
Par Ahmed Bensaada source blog de l’auteur
C’est l’histoire d’un drôle de trio : un lourdaud à qui on a planté une couronne royale plus grande que la tête, un grand blond qui pense gouverner le monde malgré ses difficultés capillaires avec sa mèche rebelle et un ancien banquier qui, à la brunante, aime se grimer en Jupiter
Le lourdaud, c’est Aime VI un roitelet à la tête du Bisnacastan, le pays du bisnaca, une plante bizarre qui donne des hallucinations à ceux qui la fument. Le souverain, qui adore le farniente, passe tellement de temps à l’étranger qu’il n’entreprend de visites officielles que dans son propre royaume. C’est vrai, qu’entre ses châteaux au « pays des Hommes-Jaunes », ses résidences en république de Bonga et sa demeure historique au Barzizan, il ne trouve pas le temps de s’occuper de ses sujets. Que voulez-vous, il n’y a que 24 heures par jour et 365 jours par an. Ce n’est pas suffisant, voyons!
Aime VI préfère déléguer la gestion du Bisnacastan à ses copains d’enfance qui gèrent tout ça à partir d’un merveilleux palace nommé Niamouma où jeunes femmes et enfants ont de superbes emplois. Ils s’occupent admirablement bien des invités de marque du royaume et veillent à ce que leur séjour ressemble aux « mille et une nuits ». Aime VI y tient mordicus.
Vautré dans tout ce faste et cette oisiveté royale, Aime VI n’en est pas moins tarabusté par la même préoccupation. Hash II, feu son père, lui a fait promettre d’agrandir son royaume et il n’y arrive pas. Son paternel avait essayé vers l’Est, mais en vain. Le peuple de l’Est était trop coriace et il ne fallait pas trop les provoquer car, au lieu de gagner quelques acres, il risquait de perdre tout le royaume.
Il changea son viseur vers le Sud où d’immenses terres étaient habitées par les Ouisrasah, un peuple qui avait longuement combattu pour son indépendance. Mais malgré les invasions, les tortures, les manigances et la corruption, il n’avait pas réussi à faire courber l’échine de ce peuple fier et combatif. Que faire?
Aime VI décida d’appeler le Grand Blond, une espèce d’escogriffe avec une mèche blonde difficilement maîtrisable et dont une oreille avait été trouée par une balle qui visait sa tête. Ce dernier disposait d’une armada surarmée qui a l’habitude de guerroyer aux quatre coins du monde, semant sur leur passage mort, chaos et désolation mais sans jamais gagner une seule guerre.
Le Grand Blond, expert du business en vies humaines et en terres d’autrui, lui proposa un troc donnant-donnant :
– Tu reconnais la colonisation de la Tinelespa par mes « gentils copains » qui ont contribué à mon élection et je reconnais ta colonisation des terres du Sud? Qu’en penses-tu? Bon deal, non?
Aime VI accepta allégrement car ses « gentils copains » étaient aussi les siens et, surtout, ceux de son père. Hash II avait même trahi ses propres frères en temps de guerre, juste pour leur faire plaisir.
Tout content de la transaction lucrative, le Grand blond avec un trou dans l’oreille rédigea un simple tweet de reconnaissance. Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple? N’était-il pas le maître du monde? Qui peut douter qu’avec un banal gazouillis, il pouvait faire disparaître les Ouisrasah?
Ce jour-là, pour que son peuple avale la couleuvre sans coup férir, Aime VI, la couronne autour du cou, distribua gratuitement des tonnes de Bisnaca. Pendant plusieurs jours, les foules enfumées eurent des hallucinations en couleur aussi belles que des aurores boréales!
Mais le peuple a fini par se réveiller car les vertus du biscana, même s’il est de bonne qualité, n’est pas éternel. Et les vaillants Ouisrasah étaient encore là, toujours prêts à en découdre. D’autant plus que le Grand Blond a été envoyé se faire une permanente, histoire de dompter de manière définitive sa mèche rebelle. Sans parler des « gentils copains » du monarque qui, prenant leurs aises, commencèrent à lorgner le royaume de l’herbe magique.
Aime VI se tourna alors vers son autre copain, Jupiter, Grand Maitre du « pays des Hommes-Jaunes ». Ce pays tire son nom de ses habitants qui passent leur temps à gueuler et à rouspéter pour tout et n’importe quoi. Et, lorsqu’ils sont très fâchés, ils se vêtissent de gilets jaunes, ce qui provoque automatiquement l’ire de Jupiter. D’ailleurs, ne supportant plus ce nom, il a essayé de le changer en « pays des Hommes-Roses » en organisant une gigantesque fête qui a été diffusée dans le monde entier.
Aime VI avait l’art de flatter l’égo de ceux dont il voulait leur grapiller quelque chose. Il s’écria :
« Oh, Jupiter,
Toi qui gouvernes ciel et terre,
Peux-tu m’aider à réaliser le vœu de mon père? »
La ridicule génuflexion du souverain surprit Jupiter qui regarda par-dessus son épaule pour voir s’il n’y avait pas quelqu’un derrière. Se rendant compte qu’il s’agissait bien de lui, il se sentit pousser des ailes et décolla du sol.
À vrai dire, ce Jupiter-là n’était que la tête à claque de tous les puissants du monde qui n’en rataient pas une pour se payer sa tête, surtout depuis la tentative de changement de nom de son pays. Même ses citoyens en avaient marre de voir ce pauvre petit banquier s’accrocher au pouvoir. Ils aimeraient bien le remplacer, mais par qui? Les autres étaient pire que lui. Pourtant, chaque soir, à la tombée de la nuit, le banquier posait devant son miroir dans le plus simple appareil en lui demandant « Ô, Miroir, miroir, dis-moi pourquoi rit-on de moi quand je dis que je suis Jupiter? ».
La demande du roitelet fit tellement plaisir à Jupiter qu’il lui rédigea toute une lettre pour lui signifier qu’il reconnaissait sa colonisation des terres du Sud. C’est vrai que c’était un peu plus long que le tweet du Grand Blond, mais ce papier ne valait pas plus cher que l’encre utilisée pour l’écrire.
Aime VI trépigna de joie à la vue de la déclaration. Pour lui exprimer sa gratitude, il offrit à Jupiter quelques cargaisons de bisnaca et un abonnement à vie à la Niamouma. Il lui précisa toutefois qu’il ne voulait voir aucun gilet jaune dans son royaume car, expliqua-t-il, ses propres sujets lui causaient déjà assez de problèmes.
Devant ces comédies jouées par ces guignols à l’esprit dérangé, les Ouisrasah étaient perplexes. Qu’est-ce que ces andouilles pensent-elles pouvoir obtenir avec leurs tweets et leurs lettres? Croient-elles vraiment que des phrases creuses écrites à des milliers de kilomètres peuvent effacer le sang versé pour libérer les terres du Sud? Et qui sont-ils pour parler en leur nom?
En réponse à tout cela, des jeunes Ouisrasah se réunirent pour chanter à l’unisson :
« Lorsqu’un jour le peuple veut vivre,
Force est pour le destin d’obéir,
Force est pour les ténèbres de se dissiper,
Force est pour les chaines de se rompre »[1].
Épilogue
L’histoire raconte que Aime VI a été chassé de son trône par ses « gentils copains » et qu’il avait perdu sa trop grande couronne dans sa fuite. Il vit actuellement en exil au Barzizan.
Le Grand Blond a fini par se raser complètement la tête pour laisser reposer son cuir chevelu. Il parait que sa seconde oreille a été trouée par une balle perdue.
Finalement, quelqu’un aurait vu un ancien banquier, dans le plus simple appareil, courir dans les rues de Rispa, la capitale du « pays des Hommes-Roses ». Il criait à tue-tête : « Je suis Jupiter! Jupiter, c’est moi! ».
Les Ouisrasah, quant à eux, vivent paisiblement dans les terres du Sud après avoir défendu avec bravoure leur pays.
Avertissement
Toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé serait purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d’une pure coïncidence ou d’une imagination galopante.
Source: blog de l’auteur
[1] Abou El Kacem Echebbi : poète tunisien (1909-1934)(proposé par A. Djerrad)
Tous les articles, la tribune libre et commentaires sont sous la responsabilité de leurs auteurs. Les Moutons Enragés ne sauraient être tenus responsables de leur contenu ou orientation.
Je ne vois pas qui est Aime VI. Quand au grand blond, il n’a jamais provoqué de guerre.
Aime VI, si je ne m’abuse, est un lointain descendant du souverain du Hanovre. Particularité : je suis son aîné de quelques jours.