Guerre : la France nucléarisée est terriblement vulnérable

Par Stéphane Lhomme pour l’Observatoire du Nucléaire

L’invasion de l’Ukraine par la Russie est une nouvelle occasion pour les promoteurs du nucléaire de mettre en avant leur industrie fétiche, parée de toutes les vertus. La réalité est bien différente…

Capture d’écran

L’invasion de l’Ukraine par la Russie est une nouvelle occasion pour les promoteurs du nucléaire de mettre en avant leur industrie fétiche, parée de toutes les vertus.
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La construction de nouveaux réacteurs est ainsi mise en avant pour lutter contre le changement climatique… alors que ces chantiers ne seraient pas achevés avant 2040. De même, le nucléaire serait la solution face à l’envol des prix de l’énergie alors qu’il est d’ores et déjà acquis que les coûts de production des futures centrales seront prohibitifs.

Et voilà aujourd’hui que l’invasion de l’Ukraine par la Russie démontrerait la pertinence de l’option nucléaire imposée depuis plusieurs décennies en France. Quant à l’Allemagne, elle serait désormais confrontée à une erreur majeure, celle d’avoir choisi la fermeture de ses centrales nucléaires et d’avoir parié sur le gaz, en particulier le gaz russe, pour assurer sa transition énergétique en attendant de fonctionner un jour avec 100% d’énergies renouvelables.
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Il est certes exact que, comme ceux du blé ou de l’aluminium, les prix de l’énergie s’envolent depuis le déclenchement de l’attaque russe. En outre, les pays qui importent du gaz russe – dont la France ! – risquent de devoir se passer subitement de cette ressource, entraînant assurément un envol des prix, voire des pénuries.
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L’Allemagne va assurément être confrontée à d’importantes difficultés. Pour autant, le nucléaire est-il l’option “magique” apte à protéger la France ? Certainement pas.
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Commençons par rappeler que, tous les hivers, la France est fortement importatrice d’électricité, en particulier… depuis l’Allemagne, et ce malgré nos 56 réacteurs nucléaires, ou plus exactement à cause d’eux : l’option “nucléaire + des millions de chauffages électriques” entraîne de tels pics de consommation que la production nucléaire française est largement insuffisante.
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Ce phénomène s’aggrave d’ailleurs chaque année avec le vieillissement des réacteurs et les pannes de plus en plus nombreuses et inquiétantes. Pour mémoire, EDF est actuellement obligée d’arrêter de nombreux réacteurs suite à la découverte de corrosions de systèmes de sécurité.
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Si l’Allemagne ne peut plus exporter d’électricité suite aux conséquences de la guerre en Ukraine, la France va de fait se retrouver en situation critique. Encore est-il heureux que l’hiver touche à sa fin, mais il est très probable que de nouveaux hivers arriveront fin 2022 et les années suivantes !
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Rappelons aussi que, même avec la production nucléaire la plus importante au monde – les USA comptent plus de réacteurs mais ils produisent moins de 20% de l’électricité du pays, contre 65% en France – le nucléaire ne couvre que 15% de la consommation française d’énergie. C’est d’ailleurs bien pour cela que les Français sont frappés comme leurs voisins par l’envol des prix du pétrole, du gaz, et de l’électricité : le nucléaire ne nous protège absolument pas.
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Les promoteurs de l’atome en déduisent bien sûr que, pour que cette protection fonctionne, notre production nucléaire doit augmenter fortement. Mais, comme signalé plus haut à propos du climat, il faudra attendre au moins jusqu’en 2040 pour que de nouveaux réacteurs entrent en service. Poutine aura alors près de 90 ans  !
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De plus, des dizaines de réacteurs actuels auront été fermés d’ici là, trop délabrés pour être indéfiniment rénovés à grand frais par EDF. On nous parle beaucoup ces derniers temps d’une électrification massive de notre économie, mais ce ne sont pas les 6 à 14 nouveaux réacteurs annoncés par M. Macron – cela ne coûte rien en période électorale ! – qui permettront un tel basculement : il en faudrait en réalité dix ou vingt fois plus !
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Or, outre son aspect insensé – démultiplication des risques de catastrophe et de la production de déchets radioactifs – ce projet est totalement hors des capacités d’EDF sur le plan financier – l’entreprise est d’ores et déjà terriblement endettée – et sur le plan industriel – incapable de construire un seul réacteur, le fameux EPR de Flamanville, comment EDF en ferait elle des centaines ?
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Mais l’incapacité du nucléaire à nous protéger, de façon générale et tout particulièrement en période de crise géopolitique, est évidente pour d’autres raisons que les déficiences d’EDF.
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Il est même évident qu’un pays très nucléarisé comme la France est en réalité hautement vulnérable. En effet, qui peut raisonnablement écarter l’hypothèse dramatique d’une guerre qui toucherait le territoire français ? Alors que l’armée russe vient de prendre possession de la tristement célèbre centrale nucléaire ukrainienne de Tchernobyl, comment ne pas envisager que des centrales françaises soient attaquées ou bombardées ?
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La France possède certes des armes atomiques, mais comment permettraient-elles de protéger nos centrales nucléaires ? En atomisant les attaquants… sur notre propre sol ?
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Et même sans en arriver là, il est notable que la France nucléaire est d’une immense vulnérabilité du fait de la centralisation extrême de sa production : l’électricité est transportée sur des centaines de kilomètres par des lignes très haute tension (THT) dont les pylônes, situés pour la plupart en rase campagne, peuvent être dynamités avec la plus grande facilité. En une nuit, un groupe paramilitaire ou terroriste peut mettre la France à genoux. Et qu’on ne nous accuse pas de “donner des idées à nos ennemis”, cette vulnérabilité extrême est connue de toute personne qui suit les questions d’énergie.
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A contrario, les énergies renouvelables peuvent être déployées de façon harmonieuse et décentralisée sur tout le territoire, et continueraient à fonctionner en grande majorité même si plusieurs régions étaient attaquées. Cette résilience est d’ailleurs aussi de mise face aux évènements climatiques.
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Instrumentaliser la guerre poutinienne pour tenter de promouvoir l’atome est cynique, irresponsable et absurde. Que ce soit face au péril climatique, à l’envol des prix de l’énergie ou aux crises géopolitiques, il est clair que la seule option d’avenir passe par le triptyque sobriété (éliminer les consommations non indispensables), efficacité (consommer moins d’énergie pour un même besoin) et énergies renouvelables.

Stéphane Lhomme

Volti

5 Commentaires

  1. Salut Stéphane
    Eh oui, la France est extrêmement vulnérable, et je soupçonne même certains dirigeants de faire tout pour cela. En politique étrangère, on n’a pas d’amis, rien que des intérêts qui peuvent aller à l’encontre des intérêts d’autres pays se disant “amis”. Je pense particulièrement à un pays vaste, ayant plus de centrales que nous, mais bien moins par habitant. Un pays d’ailleurs qui a eu une petite alerte en 1979, bien moins grave que Tchernobyl, Fukushima, et même Maïak dont on ne parle jamais, et qui a eu un sérieux Ines 6 en 1957 (c’est en Russie, au nord du Kazakhstan).
    Jean-Claude

  2. Le nucléaire comme énergie respectueuse de l’environnement, quelle aberration!
    Et d’ici 2040, je peux vous dire que la surface de la terre sera nettoyée de toute la connerie humaine. Il y a des gens qui ne doutent de rien…souvent les ignorants.

    “Un total de 210 essais nucléaires français ont été menés entre 1960 et 1996, d’abord dans le désert algérien puis en Polynésie française, d’une puissance cumulée d’environ 13 mégatonnes, impliquant officiellement environ 150 000 civils et militaires”

    Vive la France!

  3. consommation française d’énergie en France est de 75% et non de 65% . > le nucléaire ne couvre que 15% de la consommation française d’énergie.>si c’est l’énergie primaire , elle est de 41% et non de 15% . qu’est-ce que l’Ukraine vient faire ici ? ,la liaison France -Allemagne ne passe pas par l’Ukraine . L’envol des prix du pétrole, du gaz, et de l’électricité n’a rien à voir avec la consommation française d’énergie mais du marché internationale lié principalement au tarif du gaz. elle peuvent etre dynamitées sans problème ce n’est pas une solution de dépannage . Proposer la sobriété est une absurdité, chacun consomme de l’énergie quand il en a besoin et pas plus; pour l’ efficacité c’est un problème de constructeur , et pour les énergies renouvelables surtout l’éolien il faut vraiment etre bargo pour soutenir cette filière qui va nous ruiner( liée au gaz)

  4. La solution à ces problèmes énergétiques, c’est d’être raisonnable et de savoir se contenter de peu et non d’en vouloir toujours plus. À quoi sert de gagner des milliards quand 1/4 de la planète à faim? Tant que l’Homme n’aura pas compris cela, inutile de chercher des solutions aux problèmes matériels, c’est d’avance un échec.

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