Par Jean-Luc Baslé via Le Saker Francophone
Des hommes ont toujours rêver de dominer le monde. Nous en avons eu de tristes exemples au 20ème siècle. D’autres rêvent de le façonner selon leur vision. Ils s’associent dans l’espoir d’y parvenir. Ainsi, avons-nous les Chevaliers de Malte (1565), les Francs-maçons (1723), la Fabian Society (1884), The Round Table (1905), l’Opus Dei (1928), le Bilderberg group (1954), le Club de Rome (1968), le Forum économique de Davos (1971), et bien d’autres encore. Des écrivains ont décrit ce que ce monde fantasmé pourrait être. Aldous Huxley a publié Le meilleur des mondes (1932), et George Orwell 1984 (1949). Le moins que l’on puisse dire est que ces œuvres ne font pas rêver.
Mais peut-être ne sont-elles pas loin de la réalité si l’on en croit Caroll Quigley qui a publié en 1966 Tragédie et espoir : l’histoire contemporaine de notre monde, ou Sheldon Wolin qui publie Democracy Incorporated : Managed Democracy and the Specter of Inverted Totalitarianism, en 2008 – un livre dont le titre laisse peu de doute sur la vision des États-Unis de l’auteur. Vision corroborée par Peter Dale Scott dans son livre : The American Deep State: Wall Street, Big Oil, and the Attack on U.S. Democracy, publié en 2014. Un an plus tard, en 2015, Jimmy Carter déclare que les États-Unis sont une oligarchie, politiquement corrompue. Que faut-il penser de tout cela ? L’analyse confirme que des évènements tragiques ont été utilisés, quand ils n’ont pas été provoqués, pour transformer la démocratie américaine en une sorte de démocratie « inversée », c’est-à-dire en une démocratie présentant les traits d’une démocratie sans en être une. L’objectif de ces psychopathes étant la domination du monde, il est naturel qu’ils s’intéressent à la nation la plus puissante pour parvenir à leurs fins.
Les États-Unis font rêver depuis leur création. C’est l’histoire d’une peuple qui se libère de son maître lointain pour vivre son rêve de liberté dans un pays perçu comme vierge qu’ils veulent exploiter. Ces espaces riches de ressources naturelles ont donné lieu au mythe du rêve américain : une ère d’abondance où riches et pauvres y trouvent leur compte. Avec le temps, le rêve s’est quelque peu évanoui. Mais il demeure une tragédie pour les indiens dépossédés de leurs terres, et les noirs asservis.
La démocratie américaine reposait sur un double équilibre : entre les états fédérés et le gouvernement fédéral, d’une part, et les trois pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, d’autre part. Elle reçut son premier choc lors de la Guerre de sécession. Nécessité faisant loi, l’état fédéral s’imposa au nom de la victoire. Le souci d’Abraham Lincoln n’était pas tant le sort des noirs que l’unité de la nation. En dépit de sa formation d’avocat, il fit peu de cas de la constitution quand les circonstances l’exigeaient. La guerre finie, l’état fédéral ne tarda pas à entamer sous la pression de Théodore Roosevelt et d’Henry Cabot Lodge, une politique impérialiste. Les États-Unis s’en prirent tout d’abord à leurs voisins immédiats avant d’aller porter secours aux Philippins qui le regretteront amèrement. L’ouest conquis, cette politique impérialiste répondait à une nécessité : acquérir sans cesse de nouvelles richesses pour satisfaire l’avidité de la classe dirigeante et les besoins vitaux des immigrés. Ainsi, continueraient-ils d’affluer et d’approvisionner la jeune nation en main d’œuvre abondante et bon marché, nécessaire à l’industrialisation du pays. Ce rêve, pour nombre d’entre eux ne fut qu’une illusion, comme l’attestent les grèves et conflits violents de la fin du 19ème siècle. C’est ce contexte historique qu’il faut garder à l’esprit dans l’examen de ces soixante-quinze dernières années, et plus particulièrement des trois dernières décennies – période au cours de laquelle la démocratie américaine s’est grandement affaiblie dans une lutte inégale entre l’élite et le peuple pour le contrôle du pouvoir et la distribution des richesses.
La période de 1945 à nos jours est la plus agitée que les États-Unis aient connue de leur histoire, si l’on fait abstraction de la Guerre de sécession. Des évènements tel que l’assassinat de John Kennedy, la guerre au Vietnam, le 11 septembre, et la crise Covid sont inscrits dans l’histoire américaine d’une empreinte indélébile, et expliquent pour partie la situation désordonnée, incroyable même dans laquelle se trouve cette nation aujourd’hui.
L’armistice du 8 mai 1945 marque la fin de la Seconde Guerre mondiale. Elle sera suivie d’une seconde guerre, dite froide mais chaude dans de nombreuses parties du monde : la guerre de l’Occident contre le communisme. Elle commence en Indochine pour se dédoubler en Corée. Un armistice y mettra fin en juillet 1953. Deux ans plus tard, commence une nouvelle guerre, non déclarée, la guerre du Vietnam qui n’est que la prolongation de la guerre d’Indochine à laquelle les Accords de Genève de 1954 avait mis un terme, temporairement tant était forte la volonté occidentale d’arrêter l’effet « domino » – une progression à pas comptés du communisme dans le monde. L’humiliant retrait des forces américaines de Saïgon le 30 avril 1975 mit fin à une guerre qui aura duré vingt ans, tué des millions de civils et profondément marqué les Américains, à tel point que George Bush père crut bon de déclarer à la télévision que son expédition punitive de 1990 en Irak avait effacé le « syndrome du Vietnam », formule qui encapsulait l’idée d’un échec de l’Occident face au communisme.
Entre-temps, un évènement bouleversa l’Amérique et le monde : l’assassinat de John Kennedy le 22 novembre 1963 dont on ne connaît toujours pas les auteurs tant il est vrai que les deux enquêtes officielles n’ont jamais convaincu que ceux qui voulaient l’être. Sa portée qui ne peut être définie, est considérable. Une statistique en donne une idée : suite à cet assassinat qui fut suivi de celui de Martin Luther King en avril 1968 et de Robert Kennedy en juin de la même année, le pourcentage des Américains faisant confiance à leur gouvernement s’est effondré, tombant de 80% en 1960 à 40% dans la décennie suivante. L’effet est durable. Cette confiance n’est plus que de 20% aujourd’hui.
La guerre de Corée fut la dernière guerre financée par le budget. La guerre du Vietnam fut financée par la dette. Ajoutée au coût croissant des programmes sociaux, cette guerre créa de l’inflation qui déprécia le dollar au point que le 15 août 1971 Richard Nixon dut rompre le lien qui l’unissait à l’or depuis août 1944. Cette dépréciation de la monnaie américaine pénalisa les producteurs de pétrole qui facturaient les pays consommateurs en dollar. Ils profitèrent de la guerre du Yom Kippour d’octobre 1973 pour limiter leurs exportations ce qui eut pour effet de quadrupler le coût du baril. De modérée dans les années 60, l’inflation devint « galopante » dans les années 70 et atteint son niveau le plus élevé en mars 1980 : 14,6%. Parallèlement, le choc pétrolier provoqua une sévère récession aux États-Unis et en Europe. La conjonction de ces deux évènements antinomique – inflation et récession – créa la stagflation – une situation inédite dont personne ne savait comment s’en sortir. Ce fut Paul Volcker, gouverneur de la Réserve fédérale, qui, avec l’accord de Ronald Reagan, imposa sa solution. Il releva brutalement le taux directeur de 14% à 20% en juin 1981 – taux jamais atteint jusqu’alors. Cette décision est importante à plus d’un titre. Non seulement elle met fin à une situation en apparence inextricable, mais elle marque aussi l’adoption du monétarisme dans la gestion de l’économie américaine au détriment du keynésianisme, adoptée par Franklin Roosevelt pour mettre fin à la Crise de 1929.
Les actions des dirigeants ont souvent des conséquences inattendues. La décision de Paul Volker de relever le taux directeur de la Réserve fédérale eut pour effet d’attirer les capitaux étrangers et d’apprécier la valeur du dollar à tel point que la balance commerciale américaine qui n’était déjà pas au mieux de sa forme, se dégrada davantage. Inquiet de cette évolution, James Baker, ministre des finances de Ronald Reagan, convoqua ses collègues du Canada, de Grande-Bretagne, de France, d’Allemagne et du Japon à l’hôtel Plaza de New York le 22 septembre 1985. Un accord fut signé par lequel les nations amies s’engageaient à accroître leur consommation alors que les États-Unis réduiraient leur déficit budgétaire – mesures qui devaient tout à la fois diminuer le surplus des nations amies et le déficit commercial des États-Unis. Les nations obtempérèrent, trop même, puisque la valeur du dollar s’effondra. James Baker convoqua une nouvelle réunion, au Louvre cette fois, le 22 février 1987 pour modérer cet effondrement. Cette fois, les marchés comprirent le message qui leur était adressé par les autorités, et le dollar se maintint dans une fourchette raisonnable.
Trois autres évènements resteront dans l’histoire : les attaques du 11 septembre 2001, la crise économique et financière des subprimes de 2008, et la pandémie du Covid de mars 2020. En dépit de l’enquête officielle et de nombreuses études indépendantes, les tenants et aboutissants du 11 septembre restent inconnus. Thomas Kean et Lee Hamilton, co-présidents de la commission d’enquête, ont écrit un ouvrage pour exprimer leur frustration devant leur impossibilité à obtenir les documents et témoignages dont ils estimaient avoir besoin pour mener à bien leur investigation. Plus grave est l’impact de cet évènement sur les États-Unis et le Moyen Orient. Une première loi, le Patriot Act autorise le pouvoir fédéral à détenir indéfiniment des immigrants, en violation du cinquième amendement et à accéder aux données informatiques des personnes, en violation du premier. Une seconde loi, l’Authorization for Use of Military Force, plus connu sous son acronyme AUMF, accorde de larges pouvoirs à George W. Bush dont il se sert pour détruire l’Irak, la Libye, la Syrie, et l’Afghanistan. Dans les faits, c’est une renonciation du Congrès à son droit exclusif de déclarer la guerre au titre de l’article 1 de la Constitution. Le 11 septembre a aussi donné lieu à la guerre globale contre le terrorisme dont le coût s’élèva à 1 790 milliards de dollars, selon le Watson Institute de Brown University – une dépense difficile à comprendre au vu des résultats obtenus, sans parler des morts et des blessés, des populations déplacées, et des infrastructures détruites. L’impact sur l’image des États-Unis est désastreux, en particulier au Moyen Orient. Le Patriot Act a expiré en décembre 2020, mais certaines de ces dispositions demeurent dans les faits. Le Sénat a abrogé l’AUMF. La Chambre des représentants n’a pas encore pris de décision à ce sujet.
La résolution de la crise des subprimes est une insulte au peuple américain. Les grandes banques, responsables de cette gabegie, ont été sauvées de la faillite par la Réserve fédérale, alors que la raison demandait qu’elles soient nationalisées au prix du marché, pénalisant ainsi les actionnaires pour leur avidité et irresponsabilité. En revanche, les autorités ont fait peu de cas de l’américain moyen, acheteur d’un bien immobilier, trompé par les boniments des agences immobilières, soudoyées par les banques. Livré à lui-même, il n’eut d’autre recours que de se déclarer en faillite. In fine, ce scandale se résume à une privatisation des profits et une socialisation des pertes. La gestion de cette crise confirme que les États-Unis ont opté pour le néolibéralisme qui se résume à l’établissement d’un capitalisme financier pur et dur qui n’est pas sans rappeler celui de la fin du 19ème siècle et des barons voleurs. Ses effets sont de plus en plus évidents pour l’Américain moyen. Le taux de chômage (4,3%), largement sous-estimé, ne reflète pas la réalité de l’emploi. La mondialisation s’est traduit par une délocalisation des emplois industriels bien rémunérés, remplacés par des emplois dans les services, comme l’hôtellerie et la restauration, traditionnellement peu payés. Ainsi, en trente ans, l’industrie américaine a-t-elle perdu 4,8 millions d’emplois alors que la restauration en gagnait 5,8 millions. Le coût de l’enseignement supérieur (hébergement et alimentation inclus) a été multiplié par six depuis 1970. Les étudiants s’endettent pour payer leurs études. Leur dette s’élève à 1 800 milliards de dollars en 2024. Il faut en moyenne 21 ans à un étudiant pour repayer la dette ainsi contractée. Une telle perspective a de quoi décourager les vocations à l’enseignement supérieur. Et de fait, la population estudiantine a plafonné en 2010. Elle s’élevait alors à 11,5 millions contre 9,8 millions en 2023, soit une baisse de 15% en quelques années. Aussi incroyable que cela puisse paraître, au nom du profit, ce pays pénalise les futurs chercheurs et ingénieurs sensés le maintenir à la pointe de la technologie au niveau mondial. Pourquoi une telle aberration ? Parce que les étudiants ne peuvent se déclarer en faillite. Ils sont liés à leur dette comme l’était le débiteur anglais du 19ème siècle, menacé de prison s’il ne repayait pas son dû. Pour l’investisseur, le risque est nul et le revenu attrayant !
Cette dette s’inscrit dans un contexte plus large qui inclue la dette des ménages, des entreprises et de l’état. Ensemble, ces dettes s’élèvent à 265% du produit intérieur brut à fin 2023 – niveau le plus élevé jamais atteint dans l’histoire des États-Unis, et conséquence d’une politique qui privilégie la monnaie dans la conduite de l’économie et un apparent mépris pour les déficits qu’elles qu’ils soient, budgétaires ou commerciaux. A terme cette politique, s’il n’y est pas porté remède, pèsera sur la valeur du dollar – l’un des piliers sur lequel repose l’empire américain. Au travers de cette dette, c’est le sort de l’empire qui est en jeu.
La pandémie de la Covid termine cette liste d’évènements qui ternissent l’histoire de l’Amérique. La Covid est le produit de laboratoires biologiques américains dont les travaux ont été délocalisés à Wuhan pour satisfaire aux exigences de la loi américaine. Luc Montagnier a confirmé l’origine artificielle de ce virus. Les mensonges des autorités apparaissent peu à peu au grand jour. L’état du Kansas poursuit Pfizer en justice pour mensonges au sujet de son vaccin. Van der Layen et la Commission européenne ont été désavouées par la Cour de justice de l’Union européenne pour leur manque de transparence dans l’octroi des contrats d’achat de vaccins accordés à Pfizer. Des documents du Robert Koch Institute, l’administration publique allemande en charge de la santé publique, montrent que les autorités ont sciemment ignoré les avertissements des scientifiques qui savaient que les mesures sanitaires contraignantes imposées aux Allemands seraient au mieux inutiles, voire nuisibles. En résumé, cette affaire est un tissu de mensonges. Plusieurs millions de personnes l’ont payée de leur vie, selon une récente étude.
Alors que ces crises se succédaient, Les États-Unis ont déconstruit l’architecture internationale de contrôle des armes nucléaires. En 2002, ils se sont retirés unilatéralement du traité éliminant les missiles antibalistiques. Puis, en 2018, ils ont mis fin à leur participation au traité sur les missiles de portée intermédiaires. Ces deux traités étaient fondamentaux dans la prévention d’une guerre nucléaire – le premier en créant une situation dans laquelle il n’était dans l’intérêt d’aucune des deux parties – les États-Unis et l’Union soviétique – d’initier une guerre nucléaire, et le second en réduisant la possibilité d’une guerre nucléaire en Europe. Le monde se trouve aujourd’hui dans la situation dans laquelle il se trouvait au moment de la crise de Cuba d’octobre 1962 – une crise dont on n’ose imaginer les conséquences si un accord n’était intervenu en dernière minute entre Kennedy et Khrouchtchev. La Russie a interprété la déconstruction de l’architecture de contrôle des armes nucléaires comme une menace à sa sécurité, ce qui explique pour partie son Opération militaire spéciale de février 2022.
A ces évènements structurants et inquiétants qui ponctue les trente dernières années, il faut ajouter ce dernier : la guerre en Ukraine. C’est une guerre russo-américaine par Ukraine interposée qui procède de cette politique hégémonique des États-Unis dévoilée dans un document publié par le New York Times en février 1992. Bien que sur le terrain, cette guerre soit perdue pour le camp américano-ukrainien, il est impossible de pronostiquer quel en sera l’issue tant les visions des deux adversaires sont antagonistes.
Concluons cette rétrospective par la mention de trois décisions fondamentales de la Cour suprême : a) Citizens United v. Federal Election Commission qui autorise les entreprises à financer les candidats aux élections, b) McCutcheon v. Federal Election Commission qui déclare inconstitutionnelle toute limite aux contributions des personnes physiques à un parti politique, et c) Buckley v. Valeo qui élimine les limites imposées jusqu’alors aux dépenses électorales. Ces trois décisions renforcent le pouvoir de l’argent dans la vie politique américaine, et confirment l’analyse des professeurs Martin Gilens et Benjamin Page qui concluent leur étude par ces mots : « les Américains ont peu d’influence sur les politiques de leur gouvernement. »
En résumé, les États-Unis se ruinent et s’auto-détruisent dans leur quête de domination mondiale, reniant leurs valeurs les plus chères par le mensonge, la peur, l’enfermement, et évidant la constitution de sa substance par touches successives au travers de décisions de justice, de lois, et de règlements au nom d’évènements et de guerres que les États-Unis ont parfois eux-mêmes provoqués. Le capitalisme néolibéral, instauré lors de la présidence de Ronald Reagan, est incompatible avec la démocratie, et conforte l’impérialisme américain. Avant de sombrer dans les oubliettes de l’histoire, les psychopathes responsables de ce désastre, assisteront incrédules à l’effondrement de la nation qu’ils rêvaient de voir dominer le monde. C’est l’ironie et la conclusion de cette aventure. C’est aussi la confirmation que l’élite ne peut diriger une nation sans le peuple car ils ne font qu’un.
Jean-Luc Baslé
Jean-Luc Baslé est ancien directeur de Citigroup (New York). Il est l’auteur de « L’euro survivra-t-il ? » (2016) et de « The International Monetary Système : Challenges and Perspectives » (1983).
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Excellent papier auquel a fait référence Jean-Claude hier dans un commentaire. Je retiens la conclusion, car si elle laisse présager la disparition des psychopathes qui conduisent le monde, avec son cortège interminable de morts vers le précipice, combien mourront encore avant que cette engeance ne disparaisse pour toujours !
Que cela ne nous empêche pas cependant de continuer à les harceler jusqu’au bout.