Media crash : l’envers du décor de la fabrique de l’information privée

Par France-Soir

« Media Crash – qui a tué le débat public ? »Mediapart

CRITIQUE — Dans le documentaire « Media Crash – qui a tué le débat public ? », les journalistes de Mediapart et de Premières lignes, Valentine Oberti et Luc Hermann, se sont associés pour interpeller les citoyens sur l’hyper-concentration des médias.

Un sujet qui tombe à point nommé, alors que la commission d’enquête sénatoriale qui interroge en ce début d’année 2022 neuf milliardaires propriétaires de grands médias privés, est décriée, accusée « de tourner à la face ». « Media Crash » veut « interpeller les citoyens sur ce sujet majeur » à partir de « faits ».

Neuf milliardaires détiennent 90% des grands médias privés en France 

Pour les hommes d’affaires, investir le secteur des médias répond à deux objectifs : d’abord, un intérêt purement économique, le documentaire avance d’ailleurs que « les médias sont le deuxième secteur le plus rentable ». Mais la profitabilité des médias reste relative et ne représenterait pas grand chose pour les milliardaires si elle n’allait pas de pair avec la possibilité de défendre leurs intérêts privés, au détriment de l’information d’intérêt public. 

En ligne de mire, il y a l’industriel breton Vincent Bolloré, propriétaire d’Havas, le tout-puissant groupe de conseil en communication spécialisé dans l’achat d’espace publicitaire dans la presse. Il détient aussi les chaînes CNews et D8 et la radio Europe 1, dont les rachats ont créé de nombreux remous et causés le départ d’une partie des rédactions. Le documentaire nous informe que le richissime homme d’affaires sait user de son influence pour s’opposer à la diffusion d’un documentaire sur France 2 qui l’accuse, entre autres, de faire travailler des enfants. Nous apprenons aussi que sa filiale Havas lui permet de priver certains médias de campagnes publicitaires : le journal « Le Monde » en a fait les frais, suite à la publication d’un article concernant le monopole Bolloré sur le port d’Abidjan. 

Bernard Arnault, propriétaire de LVMH et de médias comme les Échos et le Parisien, est aussi pointé du doigt, pour ses tentatives de dissimulations concernant certaines affaires. On découvre par exemple que le journaliste Tristan Waleckx a été menacé directement par l’homme d’affaires pour avoir enquêté sur la fabrication de souliers du groupe LVMH en Roumanie, pourtant indiqué « made in France ». Bernard Arnault a également déposé une plainte contre lui. 

Certains responsables politiques s’accommodent volontiers de ces jeux d’influences, quand ils n’exercent pas eux-mêmes des pressions. Notons par exemple l’affaire du supposé financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy, ou celle concernant l’utilisation d’armes françaises au Yémen, pour laquelle Valentine Oberti dévoile avoir fait l’objet de pressions gouvernementales et de « rappel à la loi » pour ne pas diffuser l’information. 

« Les grands perdants, ce sont les citoyens » 

N’ayant pas accès à ce qui se cache derrière le rideau, les citoyens sont les premiers perdants du fonctionnement actuel des médias privés : « il y a ce que vous voyez, ce que certains souhaitent que vous voyiez et ce que vous ne voyez pas » peut-on entendre dans le documentaire. 

C’est pour remobiliser les citoyens sur leur rôle en tant que consommateur de l’information que les réalisateurs ont souhaité diffuser leur documentaire au cinéma, « un des derniers lieux de débats et d’échange », selon eux. La distribution de ce documentaire se fera donc sous forme de projection-débats à travers les cinémas de France. Seront présents les réalisateurs, des journalistes de Mediapart, des médias locaux et des associations comme Oxfam.  

Le futur de la liberté d’expression : les médias indépendants ?  

Le documentaire est important pour le débat public, car à quelques mois des élections présidentielles, il expose des affaires passées sous silence et permet de mettre le sujet de la concentration des médias sur le tapis. Ces révélations sont louables, mais les réalisateurs laissent une réflexion en suspens : pourquoi ne pas pointer du doigt la complaisance des grands médias quant aux mesures liberticides du gouvernement ces deux dernières années, entre autres ? Des médias publics et indépendants pourraient aussi faire l’objet d’une enquête sur la façon dont ils se présentent comme le porte-parole du gouvernement sur certains sujets.

Voir aussi : Laurent Mucchielli dépublié par Mediapart : sa réaction et son article republié

« Partout en France, de nouveaux médias indépendants voient le jour et dans les rédactions, des journalistes se battent pour que vous ayez accès à l’information », peut-on entendre à la fin du documentaire. Une promesse plaisante qui se heurte à la réalité des faits : des médias indépendants restent censurés voire persécutés, s’ils ne participent pas à la diffusion d’une certaine forme de propagande gouvernementale et des influences des fortunes de France.

« Média Crash, qui a tué le débat public ? » Depuis le 16 février au cinéma dans toute la France lors de projections-débats

Auteur(s): FranceSoir

Un Commentaire

  1. Bonjour. Et l’AFP. Puisque tous les médias mainstreem tirent principalement leurs sources de là si je ne m’abuse ?

Les commentaires sont clos.