Par Alexandre Lemoine pour Observateur-Continental
En octobre, la Géorgie a été visitée par deux hauts responsables: le nouveau chef du Pentagone Lloyd Austin et le nouveau représentant spécial du secrétaire général de l’Otan pour le Caucase du Sud et l’Asie centrale Javier Colomina.
Selon l’analyste géorgien Zaal Anjaparidze, le secrétaire américain à la Défense a fait à Tbilissi seulement une déclaration générale que son pays saluerait l’adhésion de la Géorgie à l’Otan, tout en signant un accord important.
« D’après moi, c’était une déclaration de circonstance comme celles qui étaient faites plus tôt par de hauts représentants de l’administration américaine. Parce que l’adhésion de la Géorgie à l’Otan nécessite un consensus entre tous les membres de l’Alliance. Je pense que cette déclaration a été faite pour encourager en quelque sorte notre establishment politique pro-occidental », a expliqué Zaal Anjaparidze.
L’expert trouve plus importante la signature à Tbilissi d’un accord de coopération militaire et d’aide à la Géorgie pour « renforcer la défense et les capacités d’endiguement ». Conformément à cet accord, les États-Unis développeront activement le potentiel militaire de la Géorgie.
« Un tout nouveau programme de coopération militaire a été annoncé, qui prévoit une présence permanente sur le territoire de la Géorgie des représentants de l’Otan et des forces armées américaines, qui entraîneront les unités géorgiennes. C’est le résultat le plus important de la visite d’Austin en Géorgie », a noté Zaal Anjaparidze.
La Géorgie reste aujourd’hui le seul allié des États-Unis et de l’Occident dans le Caucase, et cela a été souligné par le chef du Pentagone pendant la conférence de presse à Tbilissi. L’expert explique les visites devenues plus fréquentes en Géorgie par le fait que les voisins influents les plus proches tentent activement d’impliquer Tbilissi dans le nouveau format « 3+3 », alors que les autorités géorgiennes ne peuvent pas directement accepter d’y participer à cause des engagements devant l’Occident.
On y voit une sérieuse contradiction que crée pour la Géorgie, d’une part, le partenariat de l’Occident et, d’autre part, les relations avec ses voisins directs. Et la Géorgie se retrouve dans une situation très difficile parce qu’il faut faire un choix: qu’est-ce qui est plus important – entretenir de bonnes relations avec les voisins directs ou jouer le rôle d’avant-poste de l’Occident dans la région.
Le seul message sérieux de Lloyd Austin, d’après l’expert militaire géorgien Vakhtang Maïssaïa, a été l’accent mis sur la sécurité en mer Noire et la manière dont la Géorgie, l’Ukraine et la Moldavie peuvent se protéger contre « l’agression russe ». Selon lui, le message de Lloyd Austin contenait un « message net et intéressant » concernant le format « 3+3 » et l’avis de Washington quant à la participation de la Géorgie à celui-ci.
Sur fond de sérieux processus géopolitiques qui se déroulent aujourd’hui dans le Caucase du Sud, ainsi que de renforcement net du rôle et de l’influence de la Russie et de la Turquie, la Géorgie devient l’objet d’une attention particulière de l’Occident. Ce pays pense que dans les conditions actuelles c’est le seul partenaire fidèle et dans l’ensemble docile de l’UE, des États-Unis et de l’Otan dans la région. Du moins, l’orientation européenne et euro-atlantique du pays est officiellement fixée dans la Constitution, et le nouveau programme du gouvernement approuvé à l’issue des législatives de 2020 parle clairement de l’intention du pays de déposer une demande d’adhésion à l’UE en 2024 ainsi que de se rapprocher de l’Otan.
Toutefois, la tension politique, qui se renforce notamment avant et après les élections, et la confrontation entre le parti au pouvoir et le reste de l’opposition inquiète les partenaires occidentaux et les force à « faire des efforts » pour régler les divergences politiques qui surviennent en Géorgie. Mais parfois ces efforts sont si insistants et condescendants qu’ils suscitent le mécontentement de certains politiques géorgiens, même dans le parti au pouvoir ainsi que parmi les experts. Aux remarques « arrogantes » des représentants géorgiens concernant l’inadmissibilité d’une grossière ingérence dans les affaires intérieures du pays, les diplomates occidentaux, les députés du parlement européen ou les législateurs américains réagissent tout aussi brutalement, avertissant que cette « créativité » remet en question « l’avenir européen et euro-atlantique » de la Géorgie, remettant ainsi à leur place les politiques géorgiens.
Dans le cadre de la visite d’octobre à Tbilissi, le chef du Pentagone a mis l’accent sur l’importance de la région de la mer Noire pour les États-Unis en termes de « création d’une société unie, libre et mondiale », confirmant l’attachement à « l’idée de maintenir le partenariat stratégique » avec la Géorgie, éveillant ainsi un certain espoir en Géorgie.
Dans le cadre d’une « tournée de reconnaissance régionale », la Géorgie a été visitée par le représentant spécial du secrétaire général de l’Otan pour le Caucase du Sud et l’Asie centrale Javier Colomina. Le premier ministre géorgien a dit espérer que les relations entre la Géorgie et l’Otan deviendront encore plus profondes et que des démarches concrètes seraient entreprises pour l’intégration euro-atlantique.
Les interlocuteurs ont noté que le Substantial NATO-Georgia Package (SNGP) restait le mécanisme principal du soutien pratique de l’Otan à la Géorgie, et que sa réalisation était une priorité du gouvernement géorgien. Il était également question de la modernisation de l’infrastructure de formation conformément aux normes de l’Alliance et de la disposition des autorités géorgiennes à mettre à disposition des alliés « un environnement conforme aux normes élevées pour organiser des manœuvres de l’Otan ».
Cela fait 30 ans que la Géorgie a choisi de s’engager sur la voie d’adhésion à l’UE et à l’Otan, mais au cours de cette période elle n’a pas beaucoup avancé, recevant de l’UE un accord d’association contraignant et un régime sans visa limité, et de l’Otan l’affirmation que les portes de l’Alliance étaient ouvertes et qu’un jour la Géorgie deviendrait son membre. Les représentants occidentaux s’abstiennent de préciser les délais pour mettre en application cette promesse.
Alexandre Lemoine
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