Révolte interne à la BBC au sujet de Gaza

Signalé par Amar Djerrad

Par Marc Vandepitte pour Mondialisation.ca

Note de la rédaction :

La version néerlandophone de cet article a été censurée par Facebook. Les informations sur la censure sont, à leur tour, censurées…

Traduction :

« Nous avons supprimé votre publication.

Pourquoi cela s’est-il produit ? Il semble que vous ayez tenté, de manière trompeuse, d’obtenir des mentions “J’aime”, des abonnés, des partages ou des vues de vidéos. »

Les médias grand public [mainstream] se rendent rarement coupables de mensonges médiatiques flagrants, mais cela arrive parfois. Pensez à la fosse commune de Timișoara, aux bébés en couveuse au Koweït ou aux armes de destruction massive en Irak. (Pour plus d’explications sur ces mensonges flagrants, voir l’annexe à la fin de cet article.)

La distorsion de la réalité se fait généralement de manière plus subtile, par le biais de cadrages, de silences ou d’événements minimisés, d’omissions du contexte, du choix des experts, d’exagération des faits, de titres trompeurs, de photos suggestives, etc.

Dans la plupart des cas, cette distorsion de la réalité ne provient pas des journalistes eux-mêmes, mais est initiée et orchestrée par leurs rédacteurs en chef. Ces derniers, à leur tour, sont soumis à la pression des magnats des médias commerciaux. Dans le cas des médias publics, ils sont sous tutelle et contrôle politique.

Un autre filtre qui influence la couverture médiatique vient des annonceurs. Les informations contraires à leurs attentes en matière de profit sont autant que possible écartées.

Pour que les journalistes restent dans le rang, trois mécanismes sont en place. Tout d’abord, on s’assure que leur idéologie correspond plus ou moins à celle de la rédaction en chef et de l’employeur. Cela n’est pas toujours évident à l’embauche, mais peut devenir déterminant au fil du temps pour les opportunités de carrière.

Ensuite, pour préserver leur poste et leur carrière, les journalistes se conforment aux pressions rédactionnelles en pratiquant l’autocensure.

Enfin, si ces deux mécanismes ne suffisent pas, les rédacteurs en chef modifient lors de la relecture les éléments « perturbateurs » ou suppriment certaines parties. Dans le pire des cas, des articles ou des reportages entiers ne sont pas publiés.

La BBC et Gaza

Lors de sujets mineurs ou politiquement neutres, les interventions rédactionnelles sont généralement inutiles. Mais pour les événements politiquement sensibles, la couverture est souvent biaisée ou manipulée. Cela a été particulièrement vrai ces quinze derniers mois avec le génocide à Gaza.

Habituellement, nous ne savons pas, en tant qu’extérieurs, comment la couverture est manipulée et orientée. Il n’y a pas de véritable interdiction de parole, mais un journaliste isolé qui brise le silence risque sa carrière.

Ce n’est que lorsque la situation devient intenable et qu’un groupe de journalistes exprime publiquement ses griefs que l’on perçoit une partie de cette pression invisible mais omniprésente. Ces derniers mois, cela a été le cas avec la couverture par la BBC de la guerre contre Gaza.

En novembre 2024, plus de 100 journalistes de la chaîne publique ont signé une lettre ouverte appelant à une couverture plus honnête et précise.

Ils accusent la BBC de partialité systématique, mettant en avant les récits israéliens, minimisant les victimes palestiniennes et ne reflétant pas l’asymétrie du conflit.

Les critiques se concentrent principalement sur la section d’information en ligne, qui joue un rôle clé dans la manière dont des millions de personnes à travers le monde interprètent la situation à Gaza.

Partialité structurelle

Le mécontentement des journalistes résulte de frustrations accumulées sur plusieurs années. De nombreux employés affirment que la couverture sur Israël et la Palestine est structurellement influencée par des cadres supérieurs, en particulier Raffi Berg, responsable de la rédaction en ligne pour le Moyen-Orient.

Berg est accusé de modifier des articles et des titres pour atténuer les critiques à l’égard d’Israël. Les plaintes des journalistes sur son influence seraient systématiquement ignorées par la direction.

Ils ont proposé de mentionner explicitement qu’Israël interdit l’accès à Gaza aux journalistes étrangers, de mieux souligner la responsabilité d’Israël et d’assurer une représentation proportionnelle des experts en droits humains et crimes de guerre.

Ces demandes ont été largement ignorées, alimentant davantage la frustration des employés.

Incidents

Certains incidents ont exacerbé les tensions internes. En décembre 2024, Amnesty International a publié un rapport accusant Israël de génocide à Gaza. Les journalistes ont critiqué la BBC pour le traitement minimal et tardif de ce rapport.

Alors que d’autres médias en ont fait un sujet principal, le rapport n’a été mentionné sur le site de la BBC que 12 heures après sa publication et seulement en septième position sur la page d’accueil. Il était initialement absent de la section spéciale « Guerre Israël-Gaza », entraînant une audience bien moindre.

Un autre cas très discuté concernait la couverture de Muhammed Bhar, un Palestinien atteint du syndrome de Down, attaqué par un chien militaire israélien et laissé pour mort.

Le titre original, « La mort solitaire d’un homme de Gaza atteint du syndrome de Down », a été critiqué pour ne pas rendre clairement Israël responsable. Après des pressions publiques et internes, le titre a été modifié, mais la responsabilité de l’armée israélienne est restée insuffisamment mentionnée.

Traduction : Cet article remplace une version antérieure afin de mettre à jour un titre qui représente plus précisément l’article. 

Le rôle de la direction

Raffi Berg est vu comme un problème central. Il aurait une influence disproportionnée sur la ligne éditoriale, modifiant les articles pour favoriser Israël et affaiblir les revendications palestiniennes.

Berg aurait modifié des titres et des textes pour mettre en avant le point de vue israélien et affaiblir les revendications palestiniennes.

La direction est accusée d’ignorer ces préoccupations. Malgré plusieurs « séances d’écoute » où les journalistes ont exprimé leurs critiques, peu ou rien n’a été fait pour remédier à la situation.

Inégalité dans la couverture

Une analyse de données de plus de 2 900 articles et titres sur le site de la BBC montre que les victimes palestiniennes sont décrites de manière moins humaine et émotionnelle que les victimes israéliennes.

Des termes comme « massacre » et « atrocité » sont utilisés de manière disproportionnée pour des actions palestiniennes plutôt que pour des opérations militaires israéliennes. Seuls 27 % des cas où des Palestiniens meurent mentionnent explicitement le responsable dans le titre, contre 43 % pour les victimes israéliennes.

Dans la couverture de l’Ukraine, les crimes russes sont explicitement nommés, ce qui montre, selon les employés, que la BBC est réticente à critiquer Israël. Ce schéma renforce le sentiment que l’organisation ménage le gouvernement israélien.

Réactions de la BBC

La BBC a rejeté ces accusations, affirmant qu’elle respecte des lignes directrices strictes sur l’impartialité. Dans une déclaration, la BBC a souligné : « Nous rapportons sans crainte ni préférence. »

Bien que des erreurs soient reconnues et corrigées, de nombreux journalistes estiment que des lacunes cruciales persistent et que les corrections arrivent souvent trop tard. Ils jugent que la couverture actuelle ne respecte pas les normes journalistiques que la BBC affirme défendre.

Comme l’a dit un journaliste : « Si ce n’est pas le moment de prendre une position morale, alors quand ? »

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Les manipulations dans la couverture médiatique de la BBC et les pressions exercées par la direction ont été révélées grâce au courage des journalistes de cette chaîne, qui ont décidé de ne plus se taire. La pression exercée par les rédactions ne sera peut-être pas aussi forte partout, mais on peut supposer qu’elle existe dans tous les médias traditionnels et qu’elle influence leur manière de rapporter l’information.

Aujourd’hui, plus que jamais, les médias traditionnels sont des entreprises avec d’importants intérêts commerciaux et un impact politique considérable. La couverture médiatique – et le cadrage de celle-ci – influence profondément la compréhension des citoyens, les décisions des électeurs et les comportements des consommateurs. Il y a donc beaucoup en jeu.

Les manipulations au sein de la BBC montrent comment l’establishment s’efforce de structurer et d’orienter la couverture médiatique vers une vision favorable ou, à tout le moins, inoffensive pour ses intérêts. Cela souligne, une fois de plus, l’importance des média alternatifs comme Mondialisation.ca.

Marc Vandepitte

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Annexe : Mensonges médiatiques

Fosse commune de Timișoara

Dans le sillage de la chute du mur de Berlin, de vastes manifestations éclatèrent en décembre 1989 à Timișoara, une ville de l’ouest de la Roumanie. Pendant les jours chaotiques qui suivirent, des informations émergèrent affirmant la découverte d’une fosse commune à Timișoara, contenant des centaines de corps supposément enterrés.

Les médias internationaux rapportèrent largement cette prétendue preuve de meurtres systématiques par le régime. La nouvelle de cette fosse commune amplifia la colère contre le dirigeant Ceaușescu, tant en Roumanie qu’à l’international. À la suite de ce « scandale », des voix s’élevèrent en Occident pour envisager une intervention militaire.

Il s’avéra par la suite qu’il s’agissait d’une mise en scène. Les corps provenaient d’un mortuaire et n’avaient aucun lien avec les manifestations.

Les bébés en couveuse au Koweït

En 1990, l’Irak sous Saddam Hussein envahit le Koweït. Les États-Unis formèrent une coalition militaire pour intervenir au Koweït et repousser l’armée irakienne. Dans la préparation de cette intervention, une adolescente de 15 ans témoigna devant le Congrès américain.

Elle affirma avoir travaillé dans un hôpital au Koweït et avoir vu de ses propres yeux des soldats irakiens retirer des bébés des couveuses et les laisser mourir sur le sol froid.

Ce témoignage fut largement relayé par les médias internationaux et devint un symbole des atrocités de Saddam Hussein. Cette histoire joua un rôle crucial pour obtenir le soutien du public à l’invasion militaire planifiée.

Après la guerre, il fut révélé que cette histoire des bébés en couveuse était une fabrication. La jeune fille était la fille de l’ambassadeur du Koweït aux États-Unis. Son témoignage avait été soigneusement orchestré par Hill & Knowlton, une grande agence américaine de relations publiques engagée par le gouvernement koweïtien pour obtenir un soutien à l’intervention militaire.

Les armes de destruction massive en Irak

Dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme », les États-Unis voulaient envahir l’Irak et procéder à un changement de régime. Pour légitimer cette attaque, le président américain George W. Bush et le Premier ministre britannique Tony Blair affirmèrent que l’Irak possédait des armes chimiques, biologiques et potentiellement nucléaires.

Ils déclarèrent que le dirigeant irakien Saddam Hussein était un dictateur dangereux qui pourrait transmettre ces armes à des groupes terroristes, comme Al-Qaïda, et qu’il représentait donc une menace pour le monde entier.

Ces affirmations furent reprises et relayées par les médias grand public. Par la suite, il fut prouvé que les renseignements et les prétendues « preuves » sur lesquels les États-Unis et le Royaume-Uni avaient fondé leurs arguments étaient non fiables, mal interprétés ou manipulés. L’administration Bush avait délibérément fait des déclarations trompeuses sur cette menace supposée.

Références :

The BBC’s Civil War Over Gaza

La source originale de cet article est Mondialisation.ca

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3 Commentaires

  1. Dans le monde, si crimes il y a, délibérément en réalité AU MOINS 80% sont du fait de l’ANGLOSAXONNERIE, englobant le régime qui sévit entre la Méditerranée et le Jourdain. Il serait surprenant que le grand public en soit conscient, vu les manipulations éhontées des grands moyens dits « d’information ». Là c’est la BBC qui est montrée du doigt, mais en France il semble bien que nous vivions une situation au moins identique, voire pire.

  2. C’est hélas un constat alarmant qui concerne tous les médias dans le monde entier. Ce n’est même pas nouveau tant les pouvoirs en place, les multinationales ou les services secrets ont de pouvoir pour juguler l’information qui ne leur plait pas…..Nous fustigeons depuis longtemps les dictatures comme la chine ou la corée du nord mais nos pays occidentaux ne font pas mieux à part que c’est mieux dissimulé pour que les citoyens ne s’en rendent pas compte……

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