Revenir à l’esprit de la Vème République, oui, mais instaurer le régime présidentiel américain, non

Ça n’est vraiment pas une bonne idée de copier les USA, on voit où ça nous mène, nous vivons déjà à crédit comme eux, sommes soumis à leurs « injonctions » qu’ils n’appliquent pas pour eux mêmes, suivons leurs guerres hégémoniques etc… N’oublions pas « qu’être ennemi des américains est dangereux mais, être leur ami est fatal » (Henry Kissinger) et, l »exécutif feint de ne rien voir(et contribue avec zèle) à la fin programmée de notre état en tant que nation.

Par Alain Tranchant, pour FranceSoir

TRIBUNE – Le serpent de mer de la réforme des institutions est de retour. Avec cette fois-ci un élément nouveau : les fanatiques de l’Amérique pointent le bout de leur nez.

Dans son allocution de nouvel an, c’est d’abord le président de la République qui nous parle d’instituer « quelque chose qui ressemblerait à des élections de mi-mandat, comme aux États-Unis ». Dans une interview au Figaro, le 13 janvier, c’est ensuite le secrétaire général de Renaissance, l’ex-République en marche, qui annonce – outre l’instauration de la proportionnelle aux élections législatives (comme si l’expérience en cours d’une Assemblée nationale sans majorité absolue n’était pas concluante !) – « le grand chantier de la réforme du Conseil constitutionnel, qu’il faut peut-être transformer en une véritable Cour suprême française ».

Depuis des décennies, il en va ainsi. Quand un pouvoir politique est en difficulté, en délicatesse avec le peuple français – il suffit de lire le niveau de confiance accordé au président comme à l’hôte de Matignon dans les sondages -, il ouvre le chantier institutionnel et joue aux apprentis sorciers. Bien sûr, pour le bon motif : donner la parole au peuple plus souvent. Qui peut être contre cette idée ? N’est-ce pas pour cela, du reste, que le quinquennat a été instauré ? Avec les résultats que l’on sait, et la majorité toute relative issue des urnes législatives du printemps 2022.

Mais il n’est nul besoin de changer les institutions pour donner la parole au peuple souverain. La Constitution de 1958 organise le recours au peuple, et même le recours à l’arbitrage du peuple français, de deux manières au moins : la dissolution de l’Assemblée nationale suivie de nouvelles élections législatives, et le référendum conçu comme une question de confiance posée par le président de la République, qui engage sa responsabilité devant le peuple qui l’a élu, avec la conséquence qui en découle : son maintien au pouvoir si les Françaises et les Français répondent « oui », sa démission si la réponse est « non ». Il est une troisième voie de recours au pays, que M. Macron ne peut pas utiliser, n’étant plus rééligible : sa démission, suivie d’une candidature à l’élection présidentielle.

Au moment où M. Macron et le secrétaire général de son parti puisent à l’évidence leur inspiration dans le régime présidentiel américain, comment ne pas leur rappeler certains propos des fondateurs de la Vème République ?

« L’incapacité de certains hommes à faire face aux vrais problèmes »

Le 7 janvier 1986, Michel Debré est interrogé par Le Quotidien de Paris, journal de Philippe Tesson, sur l’hypothèse d’un mandat présidentiel de cinq ans – nous y sommes désormais – « allant de pair avec l’instauration d’un véritable régime présidentiel ».

La réponse de Michel Debré est très ferme. « C’est une absurdité, dit-il. Le recours à des discussions institutionnelles est destiné à dissimuler l’incapacité de certains hommes politiques à faire face à nos vrais problèmes, qui sont d’ordre démographique et économique. L’homme politique conscient de ses responsabilités doit aujourd’hui faire face aux vrais problèmes et non en fabriquer de faux ».

Nous ne sommes pas en 1986, certes. Mais, en 2023, les problèmes ne sont plus seulement d’ordre démographique et économique. De tous côtés, le temps des additions est arrivé. À force de ne plus gouverner le pays, la France s’enfonce dangereusement. Alors que les taux d’intérêt augmentent, le premier budget de l’État est en passe de devenir la charge de la dette, qui dépasse désormais les 50 milliards d’euros, pour ne faire face d’ailleurs qu’aux seuls intérêts. Le budget de l’État pour 2023 a été voté avec 500 milliards de dépenses pour 345 milliards de recettes. Et le ministre de l’Économie et des finances ose nous parler le plus sérieusement du monde d’une gestion rigoureuse. 

Le système de santé, l’un des meilleurs au monde en 1986, est aujourd’hui à l’agonie. L’immigration n’est pas maîtrisée. L’autorité de l’État est défiée, bafouée. L’insécurité est partout. La justice rend des décisions qui ne sont plus exécutées. L’école ne transmet plus les savoirs fondamentaux, et la France glisse d’année en année dans les classements internationaux. Parler de nos approvisionnements en énergie revient à dresser un constat accablant. Nous avons réussi la prouesse de renoncer à l’avantage compétitif que nous donnait notre parc électronucléaire. Et, non contents de cela, nos gouvernants subissent sans réagir le diktat européen et allemand qui nous vaut un prix de l’électricité qui met en péril nos entreprises et ampute lourdement un pouvoir d’achat de nos concitoyens gravement attaqué par le retour de l’inflation, en particulier dans le secteur de l’alimentation. 

Et c’est au moment où la France est au bord de la crise de nerfs que le pouvoir engage sa réforme des retraites. Même si nous ne sommes pas « à mi-mandat », l’article 11 de la Constitution, dans sa rédaction consécutive à la révision constitutionnelle de Jacques Chirac (jamais mise en œuvre à ce jour !) permet l’organisation d’un référendum sur ce sujet. Mais avec M. Macron, comme avec ses prédécesseurs, c’est encore : « Le référendum, en parler toujours ; en organiser, jamais ». 

Le sport national rehausse un peu ce triste tableau. Le peuple français n’a cependant pas élu un sélectionneur de l’équipe de France de football, mais un président de la République…

« La Cour suprême, c’est le peuple »

S’agissant de la Cour suprême, vieux débat s’il en est, on cite souvent – et à juste titre – la déclaration du général de Gaulle, dans une conférence de presse, le 1er octobre 1948 : « Je crois qu’en France, répondait le Général à un journaliste, la meilleure Cour suprême, c’est le peuple et que, lorsqu’il y a divergence ou impossibilité d’accorder le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, ou bien lorsque le pouvoir législatif ne parvient pas à dégager une majorité – ce qui est très souvent le cas chez nous pour beaucoup de raisons et notamment des raisons de tempérament – le meilleur arbitre est alors le peuple. Il faut se résoudre à demander au peuple de trancher. C’est cela le vrai fonctionnement de la démocratie ».

En faisant du peuple français la source du pouvoir et le recours du président de la République, non seulement De Gaulle mettait fin à la toute puissance des partis sous la IVème République, mais il dotait la France d’un régime qui lui était spécifique, et qui en aucune façon n’entendait reproduire le régime présidentiel américain et sa Cour suprême.

« L’incapacité de certains hommes politiques à faire face à nos vrais problèmes », disait Michel Debré. « Se résoudre à demander au peuple de trancher », déclarait le général de Gaulle. Les fondateurs de la Vème République avaient mis la barre haute. Manifestement trop haute pour des femmes et des hommes politiques qui occupent les palais nationaux, mais ne gouvernent pas véritablement le pays, au moment où il en aurait d’ailleurs le plus grand besoin.

S’il est vrai qu’« en aucun temps, et dans aucun domaine, ce que l’infirmité du chef a en soi d’irrémédiable ne saurait être compensé par la valeur de l’institution », comme l’écrivait De Gaulle, ce n’est pas une raison suffisante pour remettre en cause des institutions qui ont amplement fait la preuve de leur solidité et de leur efficacité depuis bientôt 65 ans, et qui ne sont nullement à l’origine des erreurs et des fautes de nos gouvernants. Et l’on ne saurait oublier que ces institutions ont été adoptées par le peuple français, par référendum. Si le pouvoir entend aller au bout de ses intentions, c’est donc le peuple français, et non les députés et sénateurs réunis en Congrès à Versailles, qui doit être appelé à approuver ou à rejeter les changements institutionnels envisagés en ce début d’année.

Revenir à l’esprit de la Vème République et à une pratique gaullienne des institutions, oui. Modifier la Constitution pour changer de régime politique, non.

Alain Tranchant

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