Par Christelle Néant pour Donbass-Insider
Après la discussion entre Joe Biden et Vladimir Poutine, qui n’a abouti à aucun résultat concret, et le refus manifeste des États-Unis de satisfaire l’Ukraine en matière de fourniture d’armement et de soldats américains, la Russie, via son chef d’état-major met en garde Kiev contre toute provocation dans le Donbass. Une mesure rendue nécessaire par la tentation des autorités ukrainiennes de détourner l’attention des problèmes intérieurs par une guerre, même sans soutien occidental. Une tentation savamment entretenue par certains pseudo-experts et journalistes occidentaux complètement hors sol.
Malgré le fait qu’après la discussion entre Joe Biden et Vladimir Poutine, les sanctions contre Nord Stream 2, et plusieurs citoyens russes aient été retirées du projet de budget de la défense américain, que le Canada refuse d’envoyer ses instructeurs militaires jouer les boucliers humains, et que Washington refuse de satisfaire la « liste de cadeaux de Noël » demandée par l’Ukraine en matière d’armement, il semble que les autorités ukrainiennes n’aient pas renoncé à relancer la guerre dans le Donbass.
Si Kiev est pour l’instant dans l’expectative après ces déconvenues à répétition, il semble que l’Ukraine n’a pour autant pas renoncé à réchauffer la guerre du Donbass. Il faut dire que la situation à l’intérieur du pays est très mauvaise.
Alors qu’officiellement 3,6 millions d’Ukrainiens (soit en gros 10 % de la population) ont déjà attrapé le coronavirus, et que près de 95 000 en sont morts, le ministre ukrainien de la santé vient d’annoncer qu’en réalité seuls 40 % des cas réels de coronavirus avaient été comptabilisés, et que les autres étaient passés sous les radars, car beaucoup de gens ne sont pas allés voir un médecin. Une déclaration inquiétante quand on sait que l’Ukraine a actuellement officiellement 12 000 nouveaux cas et près de 500 morts par jour à cause du COVID-19.
Entre les manifestations contre la vaccination obligatoire, et celles contre les hausses sans fin des tarifs des charges communales, la cote de Zelensky s’est effondrée. Une motivation suffisante pour tenter de faire oublier les problèmes intérieurs avec une bonne vieille méthode : lancer ou relancer une guerre. Et ce, même si les occidentaux ne viendront manifestement pas à la rescousse de l’Ukraine.
Une tentation qui est entretenue par les analyses militaires délirantes de certains « journalistes » occidentaux présentés comme des « experts militaires », tel David Axe du journal Forbes, dont les derniers articles sur une hypothétique guerre entre l’Ukraine et la Russie laissent pantois.
Ainsi après un premier article où il explique que les chars russes auront du mal à franchir les tranchées ukrainiennes, parce que les soldats ukrainiens ont des Javelins et d’autres missiles antichar tout neufs, David Axe nous a gratifié d’un article expliquant pourquoi le fait que la Russie a plus de chars que l’Ukraine pourrait ne pas lui suffire pour gagner dont les arguments sont aussi risibles que ceux du premier article, il finit cette « trilogie » en expliquant pourquoi l’aviation russe pourrait ne pas participer aux opérations.
Les chiffres donnés par ce « journaliste » dans ces articles sont tous plus douteux les uns que les autres. Ainsi il annonce que l’Ukraine n’aurait que 900 chars d’assaut, quand le site Global Firepower en annonce 2 430. Donc soit le site Global Firepower a des chiffres bidonnés, soit c’est Axe.
Ensuite, ce dernier nous explique que face à ces 900 chars ukrainiens, la Russie en a déployé 1 200, mais que cela pourrait ne pas suffire parce que 300 chars de différence c’est peu si l’Ukraine gère bien sa défense. Sauf que ce « journaliste » a oublié que l’armée russe dispose de 13 000 chars au total. Ce qui veut dire que le rapport réel en matière de chars est de 1 pour 5 en faveur de la Russie (si on prend les chiffres de Global Firepower) ! Ce qui fausse totalement son « raisonnement ».
De plus son article part du principe que la Russie utilise encore la doctrine militaire soviétique, et que la bataille se jouera principalement sur terre (d’où à mon avis le fait qu’il a écrit ensuite un article expliquant pourquoi l’aviation russe n’interviendra probablement pas pour justifier ce postulat foireux).
Sauf que cet « expert » a oublié que l’armée russe s’est profondément modernisée depuis la chute de l’URSS et qu’elle a adapté sa doctrine aux nouvelles armes dont elle dispose, dont les drones, les missiles à longue portée comme les Kalibr, et surtout les armes de guerre électronique. Même sans intervention de l’aviation conventionnelle, la Russie a de quoi couper les communications de l’armée ukrainienne, faire tomber ses avions et ses drones, et détruire les centres de commandement et défenses enterrées sans même bouger de son territoire !
Concernant la menace venant des drones types Bayraktars, et des Javelins et autres missiles antichars en dotation en Ukraine, la Russie a déjà pris en compte cette menace et a créé des systèmes protégeant la tourelle de ses chars contre les missiles qui arrivent par le dessus.
Enfin, concernant son opus sur la difficulté d’utiliser l’aviation russe contre l’armée ukrainienne, notre expert de canapé part là encore de postulats foireux pour arriver à sa conclusion. En effet, il part du principe qu’au vu des pertes de l’aviation russe en Ossétie du Sud en 2008 et celles de l’aviation ukrainienne dans le Donbass en 2014, la Russie n’ira pas risquer ses avions en Ukraine.
Le problème c’est qu’encore une fois, Axe prend les postulats et chiffres qui l’arrangent. En 2008, l’armée russe était encore très loin d’avoir mené pleinement sa modernisation, elle souffrait encore de beaucoup de problèmes (comme celui des communications sécurisées, et d’autres) qui ont mené à des pertes qui auraient pu être évitées.
Histoire de renforcer son postulat, il prend aussi des chiffres non-officiels sortis d’on ne sait où qui font encore gonfler le nombre d’avions russes abattus par la Géorgie. La réalité est que six avions russes ont été abattus par la Géorgie lors de cette guerre éclair de quelques jours. Et c’était il y a 13 ans !
L’armée russe d’aujourd’hui n’est plus la même. Et pour être plus honnête, Axe aurait dû prendre les chiffres de la guerre de Syrie, plus récente. Mais ceux-ci (trois avions abattus seulement en trois ans, dont un par accident par la défense anti-aérienne syrienne suite à l’attaque d’un avion israélien qui s’est caché derrière l’avion russe, un abattu par des avions turcs, et un seul abattu par des djihadistes) sont moins vendeurs pour promouvoir son « analyse ».
La seule chose vraie dans son article, c’est que l’aviation ukrainienne ne pourrait quasiment pas intervenir vu le peu d’avions en état de marche qu’il reste après l’hécatombe de 2014 (12 avions abattus par les milices populaires).
Le problème de telles analyses foireuses, c’est qu’elles maintiennent l’Ukraine dans l’illusion qu’elle pourrait tenir (ou infliger de lourdes pertes à minima) face à l’armée russe si cette dernière intervenait dans le Donbass, en minimisant la capacité de frappe russe. Une illusion dangereuse quand elle est soufflée à des autorités déjà enclines à choisir l’option guerrière.
C’est à mon avis pour ramener tout ce petit monde à la raison, que le chef d’état-major russe, Valéri Guérassimov, a déclaré que toute provocation de l’Ukraine visant à résoudre par la force la situation dans le Donbass sera stoppée.
« Les livraisons d’hélicoptères, de drones et d’avions à l’Ukraine poussent les autorités ukrainiennes vers des mesures drastiques et dangereuses. Kiev ne met pas en œuvre les accords de Minsk. Les forces armées ukrainiennes revendiquent le début de l’utilisation dans le Donbass de systèmes de missiles antichars Javelin fournis par les États-Unis, et utilisent également des drones de reconnaissance de fabrication turque. En conséquence, la situation déjà tendue dans l’est de ce pays s’aggrave », a déclaré Guérassimov.
« Cependant, toute provocation des autorités ukrainiennes visant à résoudre le problème du Donbass par la force sera stoppée », a assuré le chef d’état-major général.
Il reste à espérer que le message sera reçu cinq sur cinq à Kiev !
Christelle Néant