La photographie, un outil détourné ?

Il y a de cela quelques années (nombreuses, à force) j’étudiais à l’université un conflit artistique entre les peintres et les écrivains. Zola, Courbet, d’autres. Les cours sont loin, en revanche j’ai conservé l’idée essentielle, je pense : peindre, prendre une photographie et écrire sont des moyens pour l’homme de figer dans le temps. L’expression est consacrée :  » tu as une idée figée, clichée des choses « . Or, quoi de plus dangereux qu’un esprit figé, non alerte et incapable de s’adapter ? Le cliché, d’une certaine manière, c’est la mort. Parce que l’instant T auquel il se rattache, dans le réel, est soumis à moult changements : températures, ondes, phénomènes chimiques, physiques, biologiques, etc. Pourtant, figer une idée, c’est aussi le moyen de s’en détacher. Platon et le monde des idées, retour en arrière : les idées, une fois inscrites, se font-elles la malle de l’autre côté. Où ça ? Puis, intervient, je pense, la foi, la croyance, le choix : cette idée, ce concept, restera dans mon esprit et subira les changements inhérents à ma condition animale et aux interdépendances avec mon environnement. celle-là peut/doit s’en aller. Parce qu’elle encombre mon esprit, parce qu’elle est malsaine, toxique, envahissante ou encore parce que l’autre côté l’exige.

C’est qu’un artiste, à force de créer, possède un autre côté riche de concepts, idées et personnages : figés, d’une certaine manière. Et que le mouvement est indispensable et qu’il est question de choix, donc. A l’heure du tout connecté énergivore, et en l’absence de jardin pour figer mes idées dans la terre, les accrocher aux arbres ou les distribuer à mes poules : j’ai choisi d’écrire. Et puisque le monde des idées peut-être aussi lumineux que rempli de ténèbres, j’ai choisi de renvoyer des énergies, ondes et perceptions de mon esprit de l’autre côté. Un exorcisme, en somme ? Presque : à la force de ma volonté de figer comme ceci, comme cela et à cet instant T que je choisis, poursuivant la musique qui résonne à l’intérieur de moi. Certains appellent cela l’âme. Et cela me ramène à la société hyper connectée et énergivore : comme une entité qui veut toujours plus, de l’autre côté. Plus d’images : c’est figé plus rapidement, le rendement est meilleur. Moins de texte : c’est long à lire et le temps passe moins vite. Détruire va plus vite que créer, la nature nous explique cela de bien des façons (passons sur la rapidité avec laquelle le round up détruit un écosystème en biodynamie qui aura mis plusieurs saisons à se construire). La peinture, c’est différent : mais les appareils photographiques et autres outils modernes ont arraché beaucoup d’artistes à ce moyen d’expression chronophage : clic, c’est dans la boîte, j’ai figé dans le temps une vue de mon esprit, un phénomène d’interdépendance et j’ai ainsi plus de temps pour moi. Moins envahi, plus disponible. Mais attention : le monde des idées peut-être terrifiants et exiger toujours plus. Parce qu’il est le miroir du monde matériel ? C’est ainsi qu’à l’hyper connexion qui fige toutes sortes « d’idées » dans l’immatériel, comme un miroir de notre siècle décadent, j’ai opté pour l’écriture, longue et fastidieuse et pour un miroir déformant : de la lumière, pour combattre la noirceur.

L’hostellerie, roman fantastique en cours d’écriture, extrait :

 » (…) Dans la salle commune, un homme dans la force de l’âge jouait aux cartes avec ce qui ressemblait à un commis de cuisine. C’est le tablier humide qui permettait cette déduction. L’homme retira son chapeau, sur le seuil de la salle, en guise de salutations. C’est qu’il savait se trouver dans un lieu où élégance, confort et tradition étaient de mise, c’était indiqué sur l’enseigne extérieure : hostellerie. Les salutations lui furent rendues, de signes de tête brefs et les deux joueurs reprirent leur occupation. L’homme, qui n’avait pas remis son chapeau parce qu’il avait pris la pluie et était trempé, attendait maintenant sur le seuil de la salle commune et nota que les deux hommes jouaient à la gagne : avec des allumettes. Il s’était mis en chemin depuis son domicile tôt le matin et n’avait pas prévu de découcher : sa femme allait s’inquiéter. Malheureusement, il avait pris du retard sur son travail dans la journée et la pluie l’avait surpris. On était en septembre et rien n’avait laissé présager, ce matin-là, que le ciel de cette région montagneuse, aux étés indiens longs et cléments, abattrait des trombes d’eau orageuses en fin de journée. L’homme au chapeau trempé était photographe, il était parti de bonne heure, avec son matériel pour son travail qui exigeait des clichés lumineux de fin d’été. Il s’agissait de répondre à la commande d’un magazine parisien : un article sur la flore et les insectes de la région. Et il s’agissait de répondre à cette commande rapidement et avec talent : en effet, le matériel était du dernier cri et les économies de son ménage avaient été investies avec précipitation et quelques angoisses. C’est que l’article en question était celui d’un éminent scientifique et que sa collaboration avait été entendue sous réserve de fournir des photographies nettes et spécifiques. Autrement dit, le paiement pour le travail était soumis à la satisfaction de l’auteur de l’article qu’il ne connaissait pas. Bien sûr, il avait accepté le contrat : c’est que la photographie était sa passion et qu’il désirait en faire vivre son foyer. Sa femme n’avait pas encore réussi à lui donner un enfant, il s’estimait dans les temps pour parvenir au but : élever celui qu’ils finiraient bien par avoir, grâce à son salaire de photographe de presse sérieux. La nature était son point fort : rien n’échappait à son objectif, dans les sous-bois, les forêts plus denses ou encore la vallée. Et lorsqu’il avait été question de Pied-de-griffon et d’abeille noire, il avait été certain de remplir le contrat tacite avec l’auteur de l’article naturaliste : Helleborus foetidus L. ou encore Hellébore fétide poussait en abondance près de la croix du Saint-Sauveur, il tenait des clichés de qualité. Les coudriers et les pulmonaires y poussaient également : les couleurs pour ses prises de vue seraient somptueuses car l’altitude était notable, la lumière diffuse et les orchidées sauvages également de la partie. C’est dans cet état d’esprit qu’il avait réalisé l’ascension et c’est les caprices météorologiques qui l’avaient mis en retard pour rentrer. Puis les trombes d’eau et la nécessité : celle de mettre son matériel et tout le travail de la journée qu’il contenait, à l’abri. L’enseigne extérieure de l’hostellerie était immense, le patio attrayant, il avait donc poussé la porte d’entrée en toute confiance.
Alors que les gouttes d’eau de son chapeau avaient fini d’être recueillies par l’épaisseur d’un tapis moelleux, il toussa : plus pour attirer l’attention du maître de maison qu’en raison de la fraîcheur et de l’humidité car il était de nature robuste à endurer un orage. C’est ce qu’il aimait dire à sa femme, pour favoriser leur parentalité tant attendue. L’angoisse de ne pas le voir rentrer aurait probablement son petit effet, aussi. Personne ne venait et il se fatiguait : c’est qu’il avait envie d’un bain chaud, pour détendre ses pieds et ses muscles tendus par la longue marche déjà effectuée. Sur sa gauche, il remarqua un feu de cheminée dans ce qui semblait être un petit salon ou une bibliothèque : il s’y dirigea, décidé à se réchauffer et à faire sécher un peu ses vêtements et son chapeau, d’ici à ce que le maître de maison se décide à se montrer. Les flammes étaient hautes, le feu bien disposé : chez lui, il ne faisait pas mieux. Une énorme bûche centrale donnait des braises incandescentes alors que des bûches latérales formaient des flammes hautes et crépitantes. La chaleur saisissait d’abord le visage, l’homme tournait lentement son chapeau toujours mouillé tout en appréciant la vue : sur sa gauche, une fenêtre donnait sur l’ouest et la lune était pleine et lumineuse. Un arbre immense dont il se demanda s’il s’agissait d’un cèdre dominait sur une petite colline, en face. Il se promit de vérifier cette hypothèse dès le lendemain matin…
Derrière lui, on se racla la gorge et, surpris de ne pas être seul dans la pièce, l’homme fit volte-face, presque effrayé. Sur un fauteuil, un verre à la main, se tenait une femme en peignoir de bain, jambes croisées. Elle lui sourit pleinement et s’excusa pour l’effet de surprise. Joignant le geste à la parole, elle se leva, s’avança et posa son verre sur le rebord de la cheminée puis s’abaissa pour ramasser le chapeau tombé à terre, dévoilant une poitrine libre, charnue et inopportune pour un photographe en devenir, un mari jusqu’ici fidèle et père prochainement, il n’y avait aucune raison d’en douter. L’homme reprit son chapeau, rendit son sourire à l’inconnue sortie du bain qui dégageait une odeur d’agrumes et rejoignit l’entrée de l’hostellerie pour y attendre le maître de maison. Derrière lui, il entendit rire à gorge déployée et rougit légèrement : à la table des joueurs de cartes, on ricanait. La femme avait retrouvé son sérieux et récupéré son verre, elle se tenait devant lui, le peignoir resserré sur ses formes, ce qui, peut-être, était pire encore : la vue plongeante sur ses seins avait peu duré et le souvenir avait été éloigné avec loyauté alors la suggestion devint d’une ardeur presque insoutenable. Peut-être était-ce la chaleur du feu de cheminée…
 » C’est pour une nuit seulement ? L’orage, je suppose…
Et alors que l’homme avait remis son chapeau presque sec sur sa tête, en guise de réponse, il balbutia :
– Une nuit, oui… Le maître…
– La maîtresse. C’est moi…
Et souriant toujours, amusée, la femme lui tendit une clé. – Chambre A. Second étage. C’est indiqué.
Et déjà elle s’éloignait vers la salle commune où elle prit soin de remplir à nouveau son verre, derrière un bar, avant de s’installer près des joueurs, soudain grave et pensive. L’homme déglutit et emprunta les escaliers pour rejoindre sa chambre : il avait soudain froid, à nouveau, envie d’un bain brûlant et de draps propres, pour se reposer.
Il pénétra dans la chambre sans trop s’attarder dans le couloir: effectivement, les indications pour la rejoindre avaient été efficaces. Les escaliers étaient simples et les chambres signalées par des lettres sur des plaques de bois fléchées de noir. À l’entrée de celle qui lui avait été attribuée arbitrairement, il trouva la même lettre que celle qui avait été gravée sur sa clé et la porte s’était ouverte sans difficulté. L’hostellerie prenait soin de sa ferronnerie, il appréciait. Dans la chambre, près d’un lit immense, une petite table sur laquelle il prit soin de déposer son matériel de travail. Nul besoin d’en vérifier l’état : l’appareil dernier cri avait été vendu avec une mallette en cuir imperméabilisée et il lui avait suffit d’en soulever la sangle de fermeture, dont l’ardillon propre, acéré et pointu brillait de neuf pour être entièrement rassuré. La bouclerie de l’ouvrage était de qualité et l’eau n’avait pas pénétré la mallette. Il prit tout de même le temps d’en sortir l’appareil photo, pour le déposer à côté de son contenant de cuir, sur la table basse. C’est qu’il avait ses manies professionnelles et qu’il aimait à s’endormir avec l’objectif en ligne de mire. Par ambition et par plaisir, aussi. La salle d’eau était très spacieuse et alors que la baignoire se remplissait, il constata que des braises encore rouges éclairaient une cheminée, dans la chambre : près de l’âtre, un panier rempli de bûches et de petit bois sec. Il y avait même deux ou trois pommes de pin et du journal, daté de la semaine précédente. L’homme se demanda où diable les pommes de pin avaient pu être ramassées car il sillonnait la région à pied, souvent et savait que le pin y était rare. Tout de même, il fut satisfait : il y avait assez de braises pour redémarrer un feu digne de ce nom, ses vêtements seraient parfaitement secs le lendemain et les flammes avaient des vertus d’endormissement qu’il connaissait. Il observa la vue : un arbre immense, à nouveau, dont il savait quasiment avec certitude que celui-là était un cèdre, pour l’avoir dépassé à pied peu de temps avant. Mais la précipitation, la nuit et la pluie laissaient tout de même place au doute. Sous la fenêtre, un petit bar en bois verni : il se servit un verre d’alcool dont rien n’indiquait la provenance. Seulement une inscription à la main, sur une étiquette collée de manière artisanale : alcool de macération de fleurs de sureau, de bananes et de raisins secs. Il supposa que c’était une fabrication de la maison et songea à l’hydromel. Puis à l’abeille noire et au Pied-de-griffon et il jeta un regard en arrière vers son appareil, toujours déposé sur la table basse. La chaleur du feu était appréciable, le bain devait être prêt, il ferma les volets intérieurs, termina son verre et se dirigea, légèrement ivre, vers la baignoire fumante. Il avait parfumé cette dernière avec les sels prévus à cet effet sans prendre la peine de regarder quels en étaient les composants. Des sels de bain n’étaient après tout que des sels de bain et les manies de femme, pour les femmes. Son corps douloureux reçut avec délice l’immersion dans la chaleur de l’eau et il lui sembla reconnaître l’odeur fraîche d’herbes locales. Il fut alors certain de se trouver dans un établissement qui maîtrisait l’art de l’herboristerie et en fut charmé. Il se laissa aller au plaisir de son bain et aux arômes, sans plus de cérémonie. Le moment était inhabituel. Il pensa à sa femme et à ses inquiétudes mais elle fut rapidement chassée de son esprit par le souvenir fugace des seins de son hôtesse au sourire sensuel, au rire déployée et à la gorge professionnellement dissimulée ensuite sous son peignoir de bain. Il se souvint de l’odeur des agrumes et réalisa soudain que son propre bain ne sentait pas seulement les herbes fraîches et locales. Il ferma les yeux pour se concentrer sur la composition des sels de bain : sureau, menthe, mélisse et citron. Pour le citron, il hésitait. Était-ce orange ? Et alors que cette hésitation superficielle ne le tourmentait déjà plus, il crut entendre rire, à nouveau. Une chaleur inonda son bas ventre et il se laissa aller au souvenir fugace des seins de la maîtresse de maison. Comme pris par l’ivresse de l’alcool artisanal de l’hostellerie, le souvenir se matérialisa soudain devant ses paupières closes : plus de peignoir, des seins découverts entièrement et un sexe dont la toison noire brillait d’humidité. Il ouvrit les yeux, pris de panique et constata, presque fiévreux, que la bouche rieuse venait de s’emparer de sa langue pâteuse et que la toison brune pénétrait maintenant l’eau encore fumante. La jouissance imminente, il paniqua et ses mains malhabiles empoignèrent les seins aux mamelons tendus de désir. Sous l’eau, la toison trempé s’amusait de la violence des appétits bientôt impossibles à contenir et alors qu’il aurait aimé supplier pour empaler ce sexe taquin, il fut muselé par une main fine et délicate dont il suça un doigt, affamé et au bord de l’explosion. La main devint tout à coup plus ferme et sembla vouloir jouer davantage, elle pressa vivement la bouche gourmande en renversant la tête vers l’eau. L’homme eut une envie furieuse de sortir du bain pour, à son tour, renverser cette femme autoritaire sur le lit mais il se laissa aller à l’excitation de la soumission, inhabituelle : après tout, il n’était pas chez lui. L’eau du bain tiédie avait atteint son front, ses yeux clos et sa bouche et seul ses narines dépassaient. La toison brune dont il avait pu sentir l’ouverture, du bout de son sexe à l’agonie, jouait toujours et il se laissa définitivement plonger dans l’abîme de la dépendance de sa chair : il était sur le point de jouir lorsque ses narines s’emplirent d’eau. Le manque d’air le glaça soudainement et il ouvrit les yeux, effaré. Ses doigts avaient lâché les seins pour s’agripper aux rebords glacés de la baignoire, sa bouche cherchait avidement de l’air et il surgit de l’eau, apeuré et suffocant. Le désir violent avait disparu : pour laisser sa place à la honte et au soulagement. Un songe, vraiment ? L’eau était froide, il avait fallu qu’il s’endorme, bercé par le crépitement du feu qui s’était éteint et par l’ivresse légère et implacable de l’alcool artisanal de l’hostellerie. Bien sûr, dans son bain, aucune trace de la maîtresse de maison, seulement celle d’une jouissance éperdue et celle du froid mordant de l’eau et de la solitude. Il sortit de la baignoire avec précipitation, confus et tremblant. Il se sécha mollement et se réfugia dans les draps propres et sous la couverture, fort heureusement épaisse. Dehors, il pleuvait toujours à grand renfort de rafales de vents. Les averses étaient virulentes et se succédaient. Le tonnerre avait quant à lui cessé et les éclairs se faisaient plus rares, lointains et diffus. Dans l’âtre de la cheminée, il ne restaient que quelques braises, presque éteintes et l’homme se remettait de ses émotions, allongé dans le lit confortable et immense de la chambre A. Il songea à sa femme avec un mélange de tendresse et de satisfaction de lui-même. Était-il coupable d’infidélité ? Certes, non : la diablesse dans son peignoir, nue, dormait quelque part où il ne se trouvait pas et on ne pouvait pas reprocher à un homme le fantasme brumeux d’un coït inabouti, bref et interrompu avec brutalité. Il souffla de soulagement et cherchait désormais activement le sommeil : il avait assez médité sur son ivresse passagère, qu’il avait payée d’une belle frayeur et une dure journée de marche l’attendait le lendemain. Les yeux clos, il se concentra sur sa propre respiration et sur les photographies qu’il avait prises dans la journée. Assurément, il serait payé pour ce travail. Il le fallait. L’angoisse de l’insatisfaction du scientifique le prit à nouveau au ventre : pour la chasser, généralement, il avait recours à sa femme. Il tenta de voir son visage mais les seins de la maîtresse de maison et sa toison sombre et pleine de promesses refit surface avec malice. Il se releva, dans son lit, et chercha l’apaisement dans l’obscurité de la pièce : il pouvait distinguer les meubles, les braises mourantes et la table basse, à l’entrée. La mallette était visible également et tout à côté luisait l’objectif de son appareil. Il retint son souffle : il n’ôtait la protection de l’objectif que lorsqu’il prenait des clichés. Jamais, avec de telles averses et malgré la qualité indéniable de la mallette de cuir imperméabilisée, il n’aurait pris le risque d’endommager son matériel tout neuf. Ne l’aurait-il pas été, du reste, que ce serait la même chose : il était un maniaque du travail bien fait et soigné et il ne voyait pas comment un appareil maltraité pouvait donner de belles photographies. L’objectif, sur la table basse, luisait toujours et il le fixait dans une sorte de fascination proche de l’extase : la maîtresse de maison avait-elle donc vraiment joué de sa toison sombre et humide, dans son bain, plus tôt dans la soirée ? En ce cas, comment était-elle repartie, si vite, sans laisser de trace, seulement l’effroi de la noyade et une eau froide. Il se concentra à nouveau sur sa respiration : pour réfléchir. Malheureusement, une chaleur proche de la fièvre venait de le saisir : il transpirait à grosses gouttes, avait chaud et extrêmement soif. Il se leva pour boire directement au robinet du lavabo de la salle d’eau. Il avait chaud et à nouveau des désirs inavouables de plaisir infidèle : cette femme était joueuse et il réalisa combien il aimait cela. L’objectif de l’appareil posé sur la table, par la porte de la salle de bains ouverte, était visible et luisait toujours. Il se passa de l’eau fraîche sur le visage et but encore, goulument. Du coin de l’œil, toutefois, il put apercevoir la lumière : foudroyante, blanche et accompagnée du mécanisme qu’il ne connaissait que trop bien. Celui de la prise photographique, avec flash. Il crut déceler une silhouette : celle de la maîtresse de maison. Incapable de penser, il souffla de soulagement : il n’avait donc pas seulement songé à son corps, ses seins et sa toison. Il les avait véritablement palpés, goûtés, aimés. Oui, ce ne pouvait être que de l’amour : il avait le sang bouillant et se prêtant au jeu coquin de sa maîtresse, il se recoucha, docile et fiévreux de désir et d’attente. Tentant de maîtriser son souffle, immobile sous les draps, la couverture rejetée aux pieds du lit malgré le feu mort dans l’âtre et le froid humide de la pièce, il lorgna vers l’objectif et constata, ému et rassuré, qu’il luisait toujours. Il se surprit à prier pour un second flash et lorsqu’il advint enfin, la silhouette s’était déplacée et se tenait à ses pieds. Il eut à peine le temps d’en vérifier la nudité et la félinité : penchée sur les draps, les seins les effleuraient et la croupe était aussi blanche que ce qu’il savait la toison sombre. À nouveau l’éclair bref du flash de l’appareil et l’intensité lumineuse de la lumière : sur son ventre, le visage gourmand de sa maîtresse plein de promesses non tenues. Il respirait avec mal, la fièvre était insoutenable et l’immobilité aussi excitante que glaçante : et s’il rêvait à nouveau. Il lorgna vers l’objectif toujours luisant et pria à nouveau, avec dévotion et empressement, n’osant toujours pas bouger. À nouveau l’éclair bref, et le visage sensuel penché sur le sien : la bouche respirait contre son nez, la toison sombre était humide. Proche de la jouissance, il tenta de saisir une lèvre de ses dents, pour glisser sa langue dans cette bouche audacieuse et oublia tout le reste : l’appareil sur la table basse, l’objectif luisant, son travail de photographe, sa femme, l’article sur Helleborus foetidus L. et l’abeille noire et même sa paternité à venir, pourtant tant désirée.
Au bord de l’extase, il pria à nouveau pour un flash : il aimait à voir ce dont il jouissait, par habitude maritale. Il advint à nouveau et le glaça d’effroi : sur son visage était penché celui d’une morte. Les orbites, vidées de toute lueur sensuelle de vie étaient un abîme noir et le corps charnu s’était changé en cadavre décharné : plus de toison humide, plus de poitrine généreuse. Seulement les ténèbres dans les orbites, le froid glacial et l’horreur : il hurla et retrouva sa mobilité. Ses pieds se battaient avec les draps, ses bras fouettaient l’air et lorsqu’il cessa de lutter et parvint enfin à se relever, dans le lit, il constata que le jour s’était levé. Le volet intérieur était endommagé et la lumière avait pénétré la chambre. Toujours glacé d’effroi, il n’osait plus regarder en direction de son propre appareil photographique. Contraint par le jour, il se décida à jeter un coup d’œil et constata, terrifié, que l’objectif ne luisait pas : la protection bien en place, comme d’habitude. Toute ardeur l’avait quitté, toute fièvre avait disparu : il se sentait glacé et parvint à se hisser hors du lit, à s’habiller, à rassembler ses affaires et à sortir, mû par une terreur insondable. Ses mouvements étaient mécaniques et il ne put prononcer un mot en quittant l’hostellerie : à l’accueil, il crut reconnaître le commis de la veille, le joueur de cartes mail il ne lui accorda pas une seconde. Le jeune homme, surpris, raconterait plus tard qu’il était parti sans son chapeau et qu’il était blanc comme un linge. C’est que l’homme, sans son chapeau, n’était jamais rentré retrouver sa femme et honorer ses contrats : avec le scientifique et avec la paternité et l’avenir. (…) « 

7 Commentaires

  1. @Volti : ton correcteur recorrige ou quoi ? Selon quel dico ?

    https://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/plugins/wp-monalisa/icons/wpml_wink.gif

  2. heureusement que l on n a pas obligation de lire https://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/plugins/wp-monalisa/icons/wpml_yahoo.gif
    ça sert à quoi de nous balancer ce texte ?

  3. @predateur : bah à rien, bien sûr ! ^^
    L’art doit-il servir à autre chose qu’à la politique ?
    La politique = ne pas consommer = s’occuper avec une passion = kiffer ! ^^

  4. Pour moi, le texte est beaucoup trop serré. Il manque d’air. Au moins pour une lecture sur écran.

  5. @biquette : désolée, je n’y pense jamais. Ce sont des extraits, courts, de travaux en cours, en général. Et prévus pour une publication écrite : extraits de manuscrits (tapuscrits, pour être exacte). Je suis un peu vieille école ^^

  6. trop long
    trop serré
    trop ..

    Alors que l’art n’ai pas trop..

    respiration, du grand bleu .. forstner gregory..

    Et comme souvent : la biZzzz amicalehttps://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/plugins/wp-monalisa/icons/wpml_cool.gif

    Et , la bonne soirée.

  7. L’apnée est indispensable, dans un roman fantastique, je pense…
    Alors, grand merci !

    https://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/plugins/wp-monalisa/icons/wpml_smile.gif

Les commentaires sont clos.