Par Pierre Duval pour Observateur-Continental
L’appel d’un certain nombre d’hommes politiques français à retirer le pays [la France] de l’Otan n’est pas un vain mot. Il gagne de plus en plus de partisans qui ne sont pas d’accord avec les actions des Etats-Unis et veulent retrouver l’indépendance de la France.
Le Figaro écrit à ce sujet en titrant: «La France doit-elle quitter le commandement intégré de l’Otan?». Si, un tel journal ayant une telle importance dans le paysage médiatique français, l’écrit c’est que quelque chose de puissant a lieu actuellement dans le pays vis-à-vis de l’Otan.
Aujourd’hui, malgré le fait que la demande de sortie de l’Otan soit, comme Le Figaro le souligne, portée principalement par des souverainistes de tous bords, «de Jean-Luc Mélenchon à Marine Le Pen en passant par Eric Zemmour», le quotidien français fait remarquer que «le départ de l‘organisation fait de nouveaux adeptes face à l’attitude des Etats-Unis. Toutes ces figures politiques et médiatiques, citées plus haut, s’accordent sur l’inefficacité de l’Alliance atlantique, souligne Le Figaro qui note qu’«il convient de rappeler les paroles du président, Emmanuel Macron, en octobre 2019 selon lesquelles «l’Otan est en état de mort cérébrale »», sans oublier «le récent fiasco avec le retrait des troupes américaines d’Afghanistan et l’humiliation de la France en lien avec l’annulation du contrat d’achat de nos sous-marins par l’Australie sous pression américaine [qui] n’ont fait qu’exacerber la situation».
En avril 2020, Paris a choisi Hubert Védrine pour réfléchir à l’avenir de l’Otan. Comme l‘écrit Le Monde, il n’est pas «réputé [être] atlantiste militant». Hubert Védrine a notamment déclaré: «J’ai pu vérifier que les idées françaises étaient isolées au sein de l’Alliance atlantique.
Déjà dans son rapport de 2012 sur l’Otan, il faisait «un bilan assez mitigé des apports de notre réintégration dans le commandement militaire de l’Otan». Il expliquait qu’ «il nous faut être beaucoup plus dynamiques, offensifs et combattifs au sein de l’Alliance atlantique», «il nous faut anticiper plus, et nous approprier le fonctionnement de l’Alliance».
La principale conclusion de son rapport de 2020 est qu’une sortie du commandement intégré n’est pas une option et que la France doit au contraire s’efforcer de retrouver toute sa place au sein de l’Alliance. Dans le rapport rendu sur l’Otan, il en ressort la volonté d’avoir «le renforcement de la vision transatlantique commune, fondée sur des valeurs et des principes, et de la coopération Otan-UE».
Cependant, le rapport indique que «l’ampleur de la méfiance qui s’est installée progressivement vis-à-vis du lien transatlantique ces quatre dernières années a de nouveau été mise en évidence fin 2020 par un sondage effectué pour le compte du centre de réflexion European Council on Foreign Relations (ECFR)»: «Dans leur majorité, les citoyens interrogés espèrent réduire leur dépendance envers les Etats-Unis, la relation transatlantique étant désormais jugée moins adaptée aux enjeux du moment et la fiabilité des Etats-Unis sujette à caution. A peine 10 % des personnes interrogées sont désormais d’avis que les Etats-Unis protégeront le continent en cas de conflit. A l’inverse, 67 % jugent que leur pays ne peut pas compter sur le soutien de Washington en cas de crise majeure».
En novembre 2020, Heiko Maas et de son homologue Jean-Yves Le Drian affirmaient: «L’Europe et l’Amérique doivent inventer ensemble une nouvelle donne transatlantique».
En 2013, Hubert Védrine avait reçu une lettre de Régis Debray demandant à quitter l’Otan comme le rappelle Le Monde diplomatique d’octobre 2021. Le leadership de Nicolas Sarkozy (président de 2007 à 2012) sur la scène internationale a fait de la France un partenaire respecté. Mais, ses successeurs ont affaibli la France et son influence, et nous ne sommes plus respectés».
Eric Ciotti, député des Alpes-Maritimes, Les Républicains, a publié sur Twitter le 23 septembre 2021: «Je demande que la France se retire du commandement intégré de l’Otan. Notre ennemi n’est pas la Russie. La guerre froide n’a plus lieu d’être. Nous devons retrouver des liens forts avec la Russie avec qui nous partageons des racines chrétiennes et une histoire».
Plus en détail, Eric Ciotti, a déclaré à TV5 Monde: «Aujourd’hui, cette Alliance [Otan] est paradoxale. Il y a la Turquie, qui, à bien des égards, nous menace avec une montée de l’islamisme. Et, on considère toujours que notre ennemi, c’ est la Russie. Cette guerre poursuit une période qui est révolue avec l’ancienne Union soviétique. [Cela] doit changer. Nous pouvons avoir des partenariats nouveaux avec la Russie. La Russie a combattu l’islamisme, notamment au Moyen-Orient. Nous avons les mêmes racines. Arrêtons de nous tromper d’adversaire et rebâtissons une France forte au plan régalien, au plan militaire».
Selon Eric Ciotti, l’intervention au Mali a prouvé que la France était seule, malgré les alliances, et la défaite en Afghanistan a prouvé que l’Otan est dépassée. Sur la question de la présence de la France au Mali, il, sans évoquer le poids ou le rôle des Etats-Unis, signifiant que la France était seule dans cette zone, a estimé que «la question de notre présence doit se poser. Nous sommes là pour lutter contre le terrorisme, éviter la constitution d’un nouveau Etat islamique» et «il faudra reconfigurer notre position dans cette zone». Cependant, avec le départ rapide des Etats-Unis d’Afghanistan, le député des Alpes-Maritimes a écrit: «La déroute afghane a prouvé que l’Otan était dépassée. L’ère de la suprématie américaine s’est achevée, c’est une réalité à laquelle notre diplomatie doit s’adapter en retrouvant une voix singulière dans le concert des nations, dans une vision gaullienne».
L’ancien ministre français de la Défense, Hervé Morin, (du 18 mai 2007 au 13 novembre 2010) est au contraire convaincu que la présence du pays dans le commandement conjoint de l’Otan n’entrave en rien son indépendance. Il a, notamment, déclaré, même si «elle doit évoluer en profondeur sur ses relations avec la Russie», «à part l’Otan, aucune autre organisation ne peut aujourd’hui garantir la sécurité collective du continent européen» et que «le seul fait de remettre en cause l’Otan ,fait reculer la construction de l’Europe de la défense». Il a expliqué que «l’Otan doit évoluer en profondeur», «mais , malheureusement, la condamner comme l’a fait Emmanuel Macron est une erreur, car l’Europe de la défense intégrée n’est voulue par personne sauf par la France».
Comme le souligne Le Figaro, pendant 43 ans (de 1966 à 2009) la France n’a pas fait partie du commandement interarmées de l’Otan, tout en restant membre de l’Alliance atlantique. La décision de se retirer a été prise par le général de Gaulle, qui s’est notamment opposé au contrôle américain de la dissuasion nucléaire française. Et la France doit son retour dans l’Otan au président Nicolas Sarkozy. La France ayant participé à toutes les opérations militaires de l’Otan depuis 1995, Sarkozy a jugé nécessaire qu’elle soit présente dans les instances de décision.
Dans un entretien accordé à BFMTV ce 5 octobre, John Kerry a déclaré en parlant de la perte du contrat avec l’Australie: «Nous avons une relation avec la France qui est tellement plus grande que cet évènement». L’ancien secrétaire d’Etat réfute le terme «trahison», préférant évoquer un «manque de communication» entre les deux pays. Il a tenté d’assurer que le président américain, Joe Biden, «est pleinement engagé à l’idée d’améliorer les relations américano-françaises et agit dans ce sens». A savoir si les paroles des Etats-Unis se limitent à un discours diplomatique pour emballer son mépris envers la France, cela sera vite découvert lors du projet sommet de l’Otan à Madrid en 2022, mais aussi durant la présidence française de l’UE à partir de janvier 2022.
Pierre Duval
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