RAYMONDE CHEZ LE TOUBIB

Un sympathique texte de Marc Alombre. Les aventures de Raymonde m’ont remonté le moral …

Pour illustration/123.RF

RAYMONDE CHEZ LE TOUBIB

Comme à son habitude, lorsqu’elle a besoin d’un toubib, Raymonde décroche son vieux turlu à cadran en ébonite noir. La taille de ses doigts l’empêche de placer l’un d’entre eux dans les trous destinés à la numérotation. D’autant plus qu’aujourd’hui, l’extrémité de son majeur droit est gonflée façon bilboquet.

Comme chacun le sait, les mains de Raymonde sont plus proches d’une énorme pelle complétée de cinq saucisses format Toulouse. Le genre de dame qu’il faut traiter avec le plus grand respect sous peine de se prendre un petit soufflet qui emmène inéluctablement direct en réanimation puis aux soins intensifs. Gaffe, molo, sous peine de désossage !

Son stylo-plume PicDuMidi empoigné vient à la rescousse. Contrairement à l’accoutumée, ce n’est pas Marcel Ulloz son vieux généraliste situé à cinquante mètres de la loge qui répond : « Ne quittez pas, nous allons donner suite à votre appel… ». Le musique d’attente du genre ascenseur de parking, stridente, lui ruine les écoutilles. Putain, c’est quoi cette nouvelle connerie pour blaireaux ! peste Raymonde.

La voix doucereuse d’hôtesse de l’air façon miel des carlingues revient : « Pour prendre un rendez-vous, veuillez vous rendre sur doctoflip.fr, pour les urgences : composez le 15, pour toute autre demande : rappelez ultérieurement.» Couic. Mais c’est qu’elle me raccrocherait au nez la pouffiasse ! Foutredieu, il va m’entendre le Celmar de mes deux ! [Là, vous noterez que Raymonde a employé un juron d’un autre âge.

En fait, elle vient de lire « La Syphilis dans le buvard », du divin marquis.] Inutile de rappeler que Raymonde souffre de dyslexie depuis qu’un trou d’cul dont elle était tombée amoureuse l’avait laissée tomber, la trouvant trop féminine à son goût. C’est en tout cas ce que le demi de mêlée barbu d’à peine cent kilos, rencontré un soir de bal quatorze juillet à Chtarbes 1 avait prétexté.

Depuis ce temps, au-delà de ces troubles, Raymonde se plaît à dire : « je déteste tout le monde sauf les gens qu’j’aime ! ». Furax, elle enfile son bomber kaki à doublure orange fluo et ses rangers puis s’élance sur le trottoir en direction du cabinet de Marcel Ulloz. La neige et le froid ambiant ne ralentissent pas sa courte marche.

Telle une furie elle entre dans la salle d’attente. Vide. Son toubib n’a jamais eu d’assistante, et donc impossible de poser la moindre question. Depuis la chaise pliante en plastoc made in Sweden qui sert à poser son derche dans l’attente de l’ouverture du cabinet au bon vouloir de l’officiant, Raymonde entenddes bribes de jacasserie des échanges en cours :

– Docteur, j’ai toujours mal à la tête après le journal télévisé du soir. Aidez-moi, c’est insupportable…

– Chère Madeleine adorée, je vous connais depuis votre rougeole. Rien de grave. Un comprimé de Paracitamal 1000 et un Tranquil+ 0.5 mg et tout rentrera dans l’ordre. Je vous renouvelle votre ordonnance. Tenez. Carte Vitale s’il vous plaît…

Le terminal imprime ses conneries sur un ticket thermique que le griot s’empresse de ranger dans un tiroir.

– Au revoir docteur.

– Au revoir Madeleine. À la semaine prochaine. Et tenez-moi au courant.

L’hypocondriaque partie, le sorcier local délourde l’accès à la sacristie. Les croyances tiennent à peu de choses : les journalistes, la médecine, les baratins des spécialistes et autres experts médiatisés… et France 2 le dimanche matin. Nous ne sommes pas dimanche. Nous sommes juste chez Marcel Ulloz, médecin généraliste de quartier un mercredi après-midi de décembre.

– Ah Raymonde, qu’est-ce qui t’amène ?

Lui montrant son majeur qui maintenant ressemble à une boule de pétanque : tu l’as vu çuilà ?

– Houla… mais qu’as-tu fait ? C’est très infecté. Tu as besoin d’une incision mais surtout d’une prise massive d’antibiotiques. Tu es vaccinée contre la COVID ?

– Non…

– Tu devrais !

– Définitivement non.

– C’est grave ma Raymonde. Tu es inconsciente, irresponsable !

– Je peux t’avouer une chose mon Cécel ?

– Je t’écoute…

– C’est à force de faire des doigts d’honneur à des trous d’cul comme toi que j’ai pécho ce panari.

Marc Alombre

Volti

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