Beaucoup apprécient Sylvain Rochex, il désire aujourd’hui, partager un texte philosophique de son amie Mathilde Anstett. Aimerez vous autant que moi ce cri du cœur plein de vérités ? Je vous laisse méditer en souhaitant que ça ne vous laisse pas indifférent. Partagez ! Volti
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Auteur Mathilde Anstett proposé par Sylvain Rochex pour déscolarisation.org
La lecture du monde, aujourd’hui, nous offre un spectacle d’une obscurité terrifiante. En réalité, la désagrégation de ce qui fait notre humanité, notre Ensemble, notre interdépendance, est si avancée que tout cela nous est difficilement concevable. Nous sommes au bord du gouffre, en équilibre entre la terre et le vide, chancelants et pantelants. Face à l’abîme, deux forces antagonistes cohabitent et se débattent. Pour retenir la chute, on s’accroche, à tort et à raison, aux vestiges d’une humanité détruite nucléairement et méthodiquement depuis le chaos sans nom initié au début du XIXè siècle. Le constat présent, chacun d’entre nous, au tréfonds de son cœur, de manière consciente ou non, le vit et le subit. Nous pouvons essayer d’étouffer l’angoisse lancinante qui nous cerne, ou recevoir la terreur qu’engendre la déréliction. Quelle que soit la posture adoptée face au cataclysme ambiant, nous souffrons ardemment, seuls, et ensemble.
Alors, on étreint ce qui reste du lien qui nous unit tous, le lien d’Humanité, avec la frénésie du désespoir, pour attiser et maintenir sa faible flamme, et en cela nous maintenons vivant le feu qui nous anime et qui nous relie tous. Parfois aussi, trop souvent, on se réchauffe à tort, aveuglément, peureusement, à la maigre chaleur des chimères d’aujourd’hui, en reproduisant des rencontres humaines factices, codées et commerciales pour tenter d’oublier le pathétique de notre solitude organisée. Notre cœur hurle, nous étouffons ses pleurs par des mascarades et des semblants d’assemblée qui ont perdu la force du collectif et qui nient l’élan créateur spontané que peut engendrer un groupe d’humains solides, déterminés et vivants, pour modeler puissamment le réel.
On refuse de voir la réalité toute crue plutôt que d’admettre, une bonne fois pour toutes, que la situation est bouleversante, urgente, et demande toute notre attention, notre courage et notre disponibilité intégrale pour dévier l’ordre des choses face au délitement de nos forces respectives.
Ou bien l’on se résigne face à l’immensité de notre impuissante supposée.
Et si l’on se résigne, c’est que la confiance a disparu.
Confier, du latin, confidere. Cum: « ensemble« , et fidere « se fier« , « croire ». Croire, ensemble… Croire en l’Autre, en la possibilité d’un Nous équitable, et non soumis. Un Nous construit à deux, à trois, à plusieurs, avec la force ajoutée de nos convictions profondes comme moteur de la réalisation du groupe. S’inventer une foi, ensemble, et la partager en nos cœurs; la même foi, une foi collective, dans plusieurs cœurs, abritée, et protégée par le fait même qu’elle s’est démultipliée…
Pourquoi la confiance a-t-elle déserté nos êtres, nous esseulant dramatiquement, faisant de nous des cavaliers solitaires éternellement insatisfaits, puisqu’ incomplets de l’autre?
Nous avons tous été profondément malmenés depuis notre plus jeune âge, plongés dans un bain social corrosif alors que nos cœurs étaient tellement neufs, tellement accessibles et accueillants. Quand on est tout ouvert à la Vie, et que notre cœur est disponible à l’autre, la brûlure qu’engendre la négligence face à nos besoins premiers de contact et de chaleur humaine est bien plus virulente que lorsque nos défenses sont en place, et nous sommes intensément meurtris. Face à une agression, lorsqu’on est faible, l’attitude la plus judicieuse est le repli. C’est une sage attitude de survie. Mais à répétition, nous devenons chaque fois plus méfiants. Alors, progressivement, d’attaques en attaques, de non réalisation en non réalisation de nos besoins sociaux, on se referme, on se barricade.
Partout où je pose le regard, je mesure cette souffrance rentrée qui se traduit par un désengagement triste et masqué, par un manque total de confiance en l’autre, et par un renoncement à la socialisation joyeuse et dynamique. Les humains sont malheureux, coupés les uns des autres.
Et ce décrochage constitue le premier des freins à notre évolution.
Nous sommes malades du manque de confiance, malades du peu de foi que l’on accorde à l’autre, puisque de duperie en duperie nous avons, par la force de l’expérience, « scientifiquement » établi que l’individu cherche avant tout sa réalisation personnelle au détriment de l’autre et de nous-mêmes, que nous ne sommes pas exempts de ce fonctionnement, que chacun est égoïste, que nous sommes des tyrans les uns pour les autres, qu’au delà de cinquante personnes aucune société humaine ne peut fonctionner, que rien ne changera jamais puisque chacun recherche avant tout son petit bonheur et son confort… par convention nous avons admis que l’homme est avant tout individualiste, et qu’ensuite l’autre survient. Dans ce contexte, la confiance est niée.
De fait, ces constats sont perspicaces, et se vérifient chaque jour, puisque nous sommes au point zéro de la convivialité, du partage, de l’entraide sans contrepartie. Le soin même est devenu sujet à un commerce et quiconque souffre devra payer un praticien du corps ou de l’âme pour voir son mal réduire, quand bien même notre humanité se mesure au degré d’empathie que l’on peut accorder à l’autre, et conséquemment à notre disponibilité à l’autre. La réalisation de chacun de nos besoins vitaux est soumise à chantage, sous forme de monnaie ou de contrats unilatéraux. Tous les échanges qui s’opèrent dans le modèle antisocial actuel se font sous la forme d’une hiérarchie de pouvoir ou de savoir qui efface l’horizontalité et la confiance mutuelle. Nous sommes réellement nocifs les uns pour les autres dans le contexte d’aujourd’hui, tout au moins nous ne comblons pas en l’autre son besoin de réciprocité amicale désintéressée, par les postes que nous occupons dans le monde qui nous rendent lointains de la simple rencontre bienveillante et fortuite.
Pour aussi sagaces soient-elles, ces allégations d’égoïsme inhérents à la condition humaine auxquelles nous donnons foi, et qui maintiennent l’homme dans son état de repli et d’enfermement (« enfermedad » en espagnol signifie maladie), ces considérations font abstraction de l’ensemble-monde dans lequel nous gravitons (école-travail salarié-loisirs-délégation de nos vies…), et qui nous maintient dans cet état de frustration intense qui génère des comportements maladifs, individualistes, de survie… Oui, nous avons besoin de satisfaire nos besoins organiques, mais nous sommes corps social au même titre qu’individu séparé, aussi nos besoins communautaires intrinsèques doivent-ils être comblés au même titre que nos besoins personnels. En chacun de nous et dans l’ensemble du grand corps social, les besoins collectifs s’entremêlent et s’unissent aux besoins individuels. L’être humain n’est pas qu’une unité séparée, et se confond à l’ensemble de son monde.
J’avance que quand les conditions d’épanouissement d’un être sont réunies au sein d’un groupe aimant, quand il fait corps avec ce groupe, quand la confiance lui est accordée, que ses besoins premiers sont remplis, qu’il est réconforté quand il a peur, qu’il mange à sa fin, qu’il trouve de la chaleur quand il a froid, qu’il est respecté dans les étapes de son développement personnel, qu’il peut rejoindre un lieu sécurisant quand il se sent dépassé par l’immensité de la vie ou au contraire déployer son esprit d’aventure quand il est porté vers l’exploration du monde, quand il est aimé inconditionnellement par le groupe d’humains qui l’entourent, quand la vie du groupe est féconde et animée, prenant en compte aussi bien l’ensemble que l’individu, alors cet être est porté à lui aussi accorder sa confiance à ceux et celles qui l’entourent, et non à la mesquinerie qu’on lui attribue aujourd’hui. L’état pathologique dans lequel se trouve l’humain n’est que le symptôme du manque de reliance et de confiance en nos potentiels de soin mutuel.
Enfin, accorderons-nous notre confiance ou de la défiance à l’égard du potentiel humain? Qu’allons-nous décider? Sommes-nous condamnés à vivre séparés les uns des autres puisque fondamentalement égoïstes, ou amenés à coopérer car enclins au partage? Quoiqu’il arrive, aucun de ces deux postulats ne peut être vérifié. Ce qui est certain c’est que l’attitude que nous adopterons face à la vie définira la création collective du monde de demain. Allons-nous continuer à donner du poids à l’égrégore actuel qui nous maintient dans un état de compétition et de calcul permanents pour préserver nos petits acquis individuels, en continuant à lacérer notre part communautaire, ou dessiner un chemin où l’on choisira comme postulat le sourire ?
Choisir d’avoir confiance en l’autre, en nous-mêmes, en la Vie, en l’avenir, en la force d’un groupe sans hiérarchie, où l’égalité des individus s’exprime au profit d’une création collective, c’est un pari sur la vie, un bond dans l’inconnu. Cela implique, pour le grand saut que nous amorçons, de nous séparer de nos carapaces de protection. Nous les avons à juste titre forgées pour tolérer la violence du monde, et quelquefois elles sont en place depuis si longtemps que nous n’avons plus conscience de leur présence. Pourtant elles empêchent considérablement notre envol en direction d’un autre paradigme. S’en séparer suppose de choisir, profondément, sincèrement, entre ces deux possibilités: l’autre est-il un frère ou un ennemi? Opter pour l’idée de la confiance soulage d’un tel poids…
Au vu de l’état actuel du monde, choisir cette posture nous engage inévitablement à souffrir plus. Nous n’échapperons pas aux quiproquos et malentendus, relents d’un monde malade qui entreprend pourtant de guérir, ni au doute lancinant. Nous deviendrons aussi beaucoup plus fragiles puisque de nouveau nos cœurs s’ouvrent et redeviennent vulnérables, et ce qui nous apparaissait jusqu’alors comme violence nécessaire nous apparaîtra maintenant comme brutalité sans nom au service de la division.
Débarrassés de nos coquilles nous sommes plus légers, mais aussi plus sensibles. Alors, se réunir devient un besoin premier. Ensemble. Aussi, si nos cœurs s’ouvrent, nous allons vers la rencontre, et d’immenses potentiels s’offrent à nous, le collectif reprend corps avec ses surprises et son bouillonnement créatif. La Vie sociale reprend substance et puissance. Le soin renaît. Tout est à inventer depuis ce nouvel angle.
C’est un pari sur la vie sans autre garantie que de vivre la confiance et la chaleur qu’elle diffuse, plutôt que la crainte et le renoncement. Et c’est déjà, tout simplement, immense. Avons-nous vraiment le choix pour dignement accueillir, héberger et honorer en nous, en tant que corps social et corps individuel, la Vie?
Mathilde, le 28 septembre 2018
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c’était pour faire avancer le schmiltroumpf ?
c’est toi le preum’s!
Se faire confiance est évidemment la solution! ……à cela près que pour se rassembler autour d’un projet, il faut un but commun (hors des sujets clivant)…. il faut donc que les humains s’extraient du flux d’information incessant (et surtout dérisoire face au défi que doit relever l’humanité) qui les divisent chaque jours un peu plus!!!….
surtout dérisoire face au nombrilisme génétique
Voilà un sujet qui devrait susciter d’autres commentaires. Mais…
Pourtant c’est quand même une des bases de la vie, une base que nous perdons toutes et tous souvent dès le plus jeune âge.
Ce que j’ai pu apprendre, c’est que la confiance n’exclut en rien le discernement. La confiance ne vient pas de l’autre, elle vient de notre perception de l’autre. Nous établissons des théories, et nous attendons de l’autre qu’il les applique, alors même qu’il ne connaît pas les règles du jeu, de notre jeu, de notre je.
La confiance, c’est permettre à l’autre de se tromper, et donc, souvent, de nous tromper. Oui, ça fait mal. Mais ça fait mal aussi de se renfermer, de vivre dans sa tour d’ivoire, de se retirer de toute confrontation. La peur de souffrir fait encore plus mal que la souffrance elle-même, car elle cristallise nos énergies en permanence. Tandis que la souffrance, si on reconnaît à l’autre le droit à l’erreur, ne va pas durer.
La confiance ne va pas sans discernement. Je reconnais que l’autre a ses limites, et je sais que, moi ayant les miennes, il y a des choses que je peux demander et d’autres non. C’est ainsi que je vérifie ma monnaie au magasin, ou que je ne m’engage pas sur la route sans regarder. « Tout le monde peut se tromper », et moi aussi donc. Je m’autorise à me tromper.
Bien vrai, ce que tu écris, biquette !
La confiance est devenus un bien tellement précieux qu’il est devenu bien difficile à partager. Reste la sympathie 😉
Akasha.