Auteur Pétinos pour Agoravox
Lorsque j’ai lu récemment nombre d’articles et d’études sur la puissance des réseaux sociaux qui ont même créé de nouveaux métiers comme les « influenceurs », par exemple.
En plongeant là-dedans, je me suis rappelé le contenu d’une conférence que j’ai suivie (il y a quelques années), à Sciences Po Paris. Je ne me rappelle plus du nom du conférencier. Cependant, je me rappelle qu’avant la conférence intitulée « La politique culturelle de la Turquie d’Erdogan » je me suis promis de ne pas intervenir, ni poser des questions.
Première bourde (d’après moi), le professeur/conférencier a commencé par dire qu’il avait été invité par le gouvernement turc pour organiser un colloque en Turquie sur le thème de son intervention du jour.
Deuxième bourde (toujours d’après moi), il a dit que le gouvernement (islamo-conservateur, ndr) était tellement satisfait de la qualité de ses travaux et du colloque qu’il a financé la publication des interventions au colloque ainsi que de ses travaux personnels.
A ce stade on ne pouvait pas intervenir ; il ne fallait pas couper la parole au conférencier qui a dit plein d’autres choses contestables sur la politique culturelle turque sous la férule du néo-sultan d’Ankara, en précisant que le monde politique turc souhaitait copier l’exemple de la Grande-Bretagne en matière de politique culturelle. Je ne sais pas si le conférencier croyait ce qu’il disait ou s’il était obligé de le dire. Toujours est-il il avait l’air de croire que le seul fait de copier certains articles d’un texte juridique considéré comme démocratique et libéral, suffisait à rendre la copie et surtout la pratique, démocratiques… Le conférencier regrettait même que l’AKP (parti du président turc) n’avait pas encore eu le temps de former des cadres chargés de la culture, chose qu’ils étaient en train de faire. Enfin, il a complété en disant que tous les postes culturels qui se libéraient étaient confiés aux membres de l’AKP.
A la fin de son exposé vinrent les questions.
Personnellement je me tenais à mon engagement d’avant la conférence, jusqu’au moment où un turc de l’auditoire, habitant en France, a osé poser une question sur l’opposition aux islamo-conservateurs.
La question en elle-même n’était pas dirigée ou agressive. La personne a demandé ce que devenaient les artistes proches des milieux de gauche et des kémalistes.
Le conférencier a dit textuellement que ces artistes étaient libres de travailler et de créer, mais qu’ils devaient faire un peu plus attention à leurs travaux et à leur expression pour ne pas froisser le gouvernement et le parti au pouvoir !
Je n’ai pas pu me retenir et tenir ma promesse, faite à moi-même.
J’ai pris la parole et j’ai juste dit que cela équivalait à l’autocensure, fléau pire que la censure.
Personne ne nie la puissance des réseaux sociaux. Cependant, ceux-ci peuvent provoquer dans certaines circonstances, la peur et conduisent souvent à l’autocensure[1]. Nombre d’utilisateurs réfléchissent à deux fois avant de poster un message et nombreux sont ceux qui s’abstiennent de commenter certains sujets dits sensibles. En réalité, les réseaux sociaux et notamment les groupes qui ne connaissent plus des frontières de quelque nature que ce soit, deviennent les vecteurs principaux de l’autocensure, sous la menace et les accusations diverses et variées, provoquant la peur, le repli sur soi et la limitation de la liberté d’expression[2].
Pour clore ce papier, rappelons-nous qu’en Turquie, sous l’AKP, plus des 95% des médias du pays ont été rachetés ou fondés par les amis ou parents du président Erdogan, laissant la portion congrue aux partis politiques de l’opposition qui en plus, par les lois adoptées par l’AKP et las nationalistes, les médias d’opposition ne peuvent parler du président et de sa famille, sauf pour les encenser. Ils ne peuvent pas parler non plus des problèmes extérieurs et intérieurs de la Turquie, sauf pour soutenir la politique d’Erdogan. Dans le cas contraire, ces médias encourent des peines extrêmement lourdes, les conduisant le plus souvent à la faillite. Des procès retentissants pour trahison, espionnage, collusion avec les ennemies de la patrie et insulte contre le chef de l’Etat ont eu lieu et les médias d’apposition ont toujours payé les pots cassés !!! Pour survivre et ne pas finir en prison, les journalistes sont obligés de s’exiler. Aucune tolérance n’est admise sous le néo-sultan et aspirant calife Recep Tayyip Erdogan.
Nous vivons dans un monde pire que celui imaginé par George Orwell…
[1] Voir aussi dans ce cadre, l’éditorial (du 15 décembre 2020) de Laetitia Strauch-Bonart – L’autocensure, pire que la censure, dans :
[2] La censure d’Etat est un autre sujet et s’exerce des manières différentes. Je vais l’aborder dans un autre papier.
Merci de mentionner l’auteur et la source, quand il y a reprise d’article
« j’ai juste dit que cela équivalait à l’autocensure, fléau pire que la censure. »
C’est un peu ridicule ça… L’autocensure, c’est la crainte des conséquences de la censure. Qu’elle soit explicite ou implicite.
Un exemple assez simple. imaginons cette petite phrase :
Put… d’enc… de bordel de merde, ça me pète les cou…lles/ovaires.
Demandez donc à quelqu’un de crier cette phrase dans un lieu loin de toute oreille indiscrète, comme un jeu, pour se défouler un bon coup genre… La personne ne sera pas très dure à convaincre.
Demandez à cette même personne de le dire simplement assez fort (sans gueuler non plus) dans un endroit plein de monde… Là ça va être beaucoup plus dur de la convaincre. Elle s’autocensure. Mais pas parce que ça lui pose vraiment un problème de le dire, mais à cause du regard des autres, de la désapprobation que ça implique.
Bref, c’est un langage implicitement censuré par la politesse, la bonne morale et compagnie, et si on s’autocensure, c’est d’abord pour ne pas subir la désapprobation générale, les commentaires, les regards noirs, bref, les conséquences de la censure.