Collapse pour illustration
Un jour, dans le contexte d’une publication que j’avais posté sur les manipulations sémantiques opérées par les idéologues de la Droite mercantilo-industrielle, quelqu’un m’avait conseillé de m’intéresser à un auteur du nom de Pablo Servigne. Je voudrais commenter ici l’article de wikipedia qui lui est consacré. Dans un premier moment, ma réaction est plutôt enthousiaste : je vois des expressions comme « critique du darwinisme social, anti-productivisme, critique de l’idéologie de la croissance économique » qui correspondent à des idées que je juge très saines et pertinentes pour améliorer ensemble notre existence commune sur Terre.
Puis on me dit qu’elles ont été regroupées sous le terme de « collapsologie » pour que cette connotation peu vendeuse évite qu’on ne puisse les travestir en des notions creuses favorisant telle ou telle niche commerciale. Très bien, pourquoi pas.A titre anecdotique, nous apprenons d’entrée que ce monsieur, l’un des fondateurs de la collapsologie, donc, a joué un rôle crucial dans la mise au point des programmes de la politique écologiste officielle. Pour de la contre-culture et du contre-pouvoir, ça commençait un peu mal. Mais j’avais encore bon espoir de me tromper, les choses n’étant pas noires ou blanches. Ainsi rentrais-je dans le vif du sujet, les idées pures et dures, de cette « collapsologie » : sur mes gardes, mais sans envies particulières de faire encore l’étalage de ma méfiance.
La première chose qui m’interpelle c’est leur concept de « résilience ». La « résilience » nous disent-ils, c’est l’attitude qui permet de changer la société. Ah, la notion de résilience équivaudrait donc au concept de boycott ? Mais si tu regardes la définition de « résilience », tu te topes avec une notion de la psychologie clinique en rapport avec les traumatismes. Après, il ne faut pas s’étonner que les gens aient peur de boycotter les merdes que la publicité leur fait désirer, s’ils doivent pour cela se considérer comme traumatisés… Voici à ce propos les précisions que m’apporta par la suite un connaisseur de la collapsologie :
« La résilience, c’est la capacité qu’a un matériau à retrouver sa forme après un choc. Ce terme a été transposé en collapsologie pour décrire de quelle façon on peut supporter l’effondrement, et pour faire court, moins tu as de confort de vie, moins tu es impacté par les chocs. »
C’est peut-être une grille interprétative féconde en psychologie sociale, mais pas forcément motivante en politique… Et puis, le problème que je vois là-dedans, c’est qu’une notion de la psychologie, en dehors du cadre de la psychologie, ça devient de la moraline, et il ne faut pas s’étonner que ça énerve certaines personnes. Peur, énervement… je commençais déjà à me poser la question de savoir si l’on veut ici nous rapprocher du changement par l’auto-responsabilisation, ou plutôt nous en éloigner.
Je le redis ici d’une façon encore plus engagée : je nie que le développement de l’auto-responsabilité qui seule permet un changement politique et écologique, et de son application pratique, le boycott, représentent forcément la promesse d’un choc. Je crois au contraire tout ce que l’on doit faire à ce niveau, peut se faire en douceur. Et je rajoute et résume ainsi ma critique antérieure : Toute tentative de porter de l’ombre à cette possibilité me semble au mieux maladroite, au pire entachée de conflits d’intérêts.
Je précise ici ce qui me semble l’une des idées directrices de mon discours : qu’il faut se libérer de toute idée de violence autre qu’artistique dans notre recherche d’une modélisation utile et bénéfique à la fois. C’est sur ce point je pense que je rentre en grande partie en conflit affectif avec le mouvement de pensée de la collapsologie.
Arrivent ensuite dans l’article de wikipedia quelques points qui, derrière des apparence de modération, ne font en fait que répandre certains préjugés sur lesquels se base l’idéologie des dominants :
– un monde binaire, dans le cadre du (mal nommé) manichéisme existentiel servant à diviser les esprits : « Toutefois, Gauthier Chapelle et Pablo Servigne ne nient pas l’existence de la compétition qui est aussi indispensable pour poser des limites, un territoire ou lors de la reproduction. »
Histoire pour eux de ne surtout pas s’attaquer à la source de l’individualisme, et encore moins de cautionner des « extrémismes » du genre « tout est amour », on ne sait jamais : on ne voudrait pas non plus que le nombre de religieux sincères ou de hippies de bonne foi augmente ; ou qu’un grand nombre se mette à découvrir un certain mysticisme selon lequel nous sommes tous Un et toute compétition, illusoire et irrationnelle. Parce que ça, ce serait un réel danger pour la civilisation mercantilo-industrielle.
– l’utilitarisme anglo-saxon : « Les deux montrent enfin que l’altruisme et l’entraide sont des éléments de cohésion sociale qui se développent spontanément chez les humains. Par exemple, les situations de catastrophes naturelles sont des évènements générant des comportements d’entraide, d’auto-organisation et de calme. » La coopération existe et est dominante, mais : attention, c’est parce qu’elle est utile à notre survie biologique. Histoire que l’on ne découvre pas trop le pouvoir de la gratuité. Pour une critique du darwinisme social, ça semblait plutôt cuit. Je comprends et respecte ce point de vue, mais si l’on doit échanger nos réactions affectives à certaines idées, je me dois de préciser que je ne perçois qu’un maigre apport d’espoir dans les justifications utilitaristes de l’altruisme (fut-ce un utilitarisme se réclamant du naturalisme scientiste). Enfin, il faudrait voir si dans nos sociétés actuelles l’altruisme s’en est allé, ou s’il est là, étouffé, et étouffé par quoi. Au-delà du chipotage verbal, il me semble qu’il y ait quelque chose à creuser dans le questionnement de savoir s’il faut re-créer la présence même l’altruisme dans la psyché des gens, ou seulement annuler les facteurs qui entravent ses manifestation.
Je pense que le véritable altruisme n’a pas de but autre que le plaisir du moment ; et pour ressentir un plaisir intense, les gens font parfois des choses contraires à leurs intérêts matériels et à leur survie : cela est un fait. N’y aurait-il jamais d’altruisme spontané et non causé par autre chose que l’inéluctabilité de notre instinct de survie ? Pas de possibilité de sacrifice absurde du point de vue utilitaire ? Pourquoi pas, mais alors que l’on ne vienne pas me dire, encore une fois, que l’on se trouve dans le cadre d’une « critique du darwinisme social », car pour préciser ma pensée, ce que l’on fait ici, c’est ni plus ni moins que d’annuler le concept d’altruisme pour tout réduire à l’égoïsme et donc à la compétition.
J’ai voulu ne pas en rester là, et suis parti sur la page de la notion centrale autour de laquelle gravite cette histoire de collapsologie : « l’effondrement environnemental » : https://fr.wikipedia.org/wiki/Risques_d%27effondrements_environnementaux_et_soci%C3%A9taux
Nous apprenons ici que : « Alors que les effondrements de civilisations du passé ont été géographiquement limités à celles-ci, les analyses actuelles envisagent un bouleversement systémique qui pourrait être mondial. Elles n’envisagent pas nécessairement la fin de l’humanité mais plutôt celle de la société industrielle. »
Donc, en fait, ce qui est ici réalisé, c’est l’assimilation de la fin de la société industrielle à un événement absolu car se produisant partout, et violent, car je remarque que le mot le plus récurrent est ici « effondrement » et qu’un effondrement doux que je sache ça n’a pas trop d’autre sens que poétique. Si l’on glisse dans les esprits que la fin de l’industrie, c’est absolument violent, il ne faut pas, là encore, s’étonner que les gens soient rétifs au changement.
Voilà que ça se concrétise un peu plus loin, lorsqu’on nous donne la définition de l’effondrement en question : « un processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, mobilité, sécurité) ne sont plus fournis à une majorité de la population par des services encadrés par la loi. »
Quelque part, la précision de cette définition ne fait qu’empirer les choses : non seulement la fin de l’industrie est présentée comme un événement absolument violent, mais la raison de sa violence résiderait dans le prétendu fait que, sans l’industrie, et bien nous n’aurions pas de services publics et pas de loi : ce serait forcément le le chaos. Pris dans l’autre sens, ça présuppose que toute notre organisation collective est causée par et dépend de l’industrie. Mais c’est grave ça quand-même, comme manipulation.
Le problème avec l’idée que toute organisation sociale proviendrait forcément de la bureaucratie réside là où elle fait porter l’exclusivité de la responsabilité de l’organisation sur quelques-uns seulement. Je crois qu’il faut laisser la place à la possibilité d’une organisation collective spontanée et non bureaucratisée qui pourrait très bien gérer une grande partie des difficultés rencontrées par la société. Si on la laissait faire bien entendu : c’est-à-dire si l’on ne réprimait pas ses impulsions par la force et la manipulation. Faire de l’ombre à cette idée me parait là aussi jouer le jeu du pouvoir, que ce soit délibéré ou pas est encore une autre question. Pour finir, assimiler l’effondrement de la civilisation à celui de notre système socio-économique me dérange également dans la mesure où je nie que notre civilisation se résume ou se réduise – même pour la majeure partie – à la grande industrie minière et chimique ainsi qu’au commerce malhonnête. Je répète que je ne crois pas que l’effondrement de ces derniers provoquerait forcément un cataclysme social et encore moins culturel. Peut-être serais-ce le contraire. Et nier cette possibilité, ça me semble enfermer les gens pour rien dans une vision démotivante. Enfin, « pour rien » dans le meilleur des cas, à moins – encore une fois – qu’il n’y ait des raisons cachées derrière, ce qui représente un soupçon raisonnable lorsqu’on se retrouve face à un tel tapage médiatique.
Je continue cet article et je constate que les « collapsologues » semblent également se faire l’écho de certaines thèses sinistrement reliées à la matrice intellectuelle de la Droite et de sa justification idéologique des inégalités socio-économiques :
– la théorie de la surexploitations de matières premières critiques. Si l’on exploite trop, ce serait parce qu’il n’y aurait pas assez de ressources pour tout le monde. Lorsqu’on fait partie d’un pays riche, cela nous fait sentir privilégiés malgré nous, et c’est dans la nature humaine d’une grande partie de la population de vouloir conserver ses privilèges par peur du manque. Encore une fois, le jeu de la peur et la culpabilisation de cette dernière afin de nous placer dans une situation de discordance avec nos instincts. A mon sens, la vérité que l’on veut ainsi noyer depuis longtemps, c’est que l’on n’exploite pas trop, mais mal. Nous sommes dans le cas où l’on exploite les ressources d’une façon qui permette de générer des fortunes privées colossales à partir du rationnement artificiel et criminel de denrées, dont la production raisonnée et écologique pourrait en fait s’avérer bien plus prodigue que ce qui est sous-entendu ici. Au sujet de la finitude des ressources terrestres, je dirai que différents penseurs mutuellement leurs intuitions philosophico-scientifiques sans vraiment pouvoir donner d’arguments en leur faveur. Et pour cause, je ne pense pas que la science puisse encore calculer le montant des ressources matérielles présentes sur Terre ; je ne crois même pas qu’elle puisse fournir une estimation solide. Par ailleurs, concentrer la question des ressources sur la production énergétique et le minerai constitue une déformation implantée dans nos têtes par les lobbys correspondants, lesquels font partie des plus puissants avec le lobby pharmaceutique. Peut-être veut-on ici nous empêcher de réaliser qu’avec une décentralisation massive (mais douce) de la responsabilité, on n’a peut-être pas du tout besoin de ces quantités colossales d’énergie pour nourrir, chauffer, divertir et éduquer tout le monde. Mais l’abondance ne génère pas de conflits sociaux jouant sur la peur de manquer, qui à leur tour font stagner les inégalités ayant des causes politiques et économiques en focalisant l’attention sur des prétendues causes matérielles, physiques.
Ensuite Malthus, encore lui : « La croissance démographique, si elle se poursuivait de façon exponentielle, entraînerait une surpopulation. Cette surpopulation était déjà redoutée par Thomas Malthus au XVIIIe siècle, qui la théorisa notamment en prônant la restriction démographique. D’après l’Institut national d’études démographiques, la population mondiale devrait atteindre un maximum à 10,9 milliards d’habitants un peu après 2100. »
Cela fait littéralement des siècles que la gouvernance mercantile mondialiste de Droite nous paralyse avec cet argument qui fonctionne de la même manière que le précédent, en jouant sur la peur de manquer afin d’intimider notre capacité de développer notre responsabilité individuelle et nos capacités d’altruisme, alors que le développement de ces capacités constitue pourtant le but affiché des discours de la collapsologie.
Encore un peu plus loin mes craintes se retrouvent finalement fondées : « Les phénomènes sous-jacents, qui selon ces théories pourraient conduire à un effondrement civilisationnel, s’appuient sur diverses études scientifiques et dont la réalité et la gravité est prise en considération par de nombreux organismes publics, parmi lesquels le Club de Rome, le GIEC, des autorités militaires internationales, la Banque mondiale et le Forum de Davos. »
Me demander de croire que ces messieurs puissent s’intéresser à autre chose qu’à l’argent et au pouvoir, c’est me demander à la fois de leur faire confiance dans une certaine mesure, et de sous-estimer le terrible pouvoir de l’addiction dont ils sont malades. Ici on peut dire que le rideau tombe et l’on pourrait arrêter le commentaire. On nous dit clairement qui semble se trouver derrière la collapsologie. Notez que toutes mes remarques précédentes ont été faites avant de tomber là-dessus. Je ne veux pas dire par là que je suis très intelligent, mais plutôt que le style et l’odeur des manipulations de la Droite mercantile se répète ; la répétition étant la marque d’un plan.
Cette phénoménale entreprise, menée par les puissants de ce monde, de création de confusion intellectuelle, déborde bien-sur amplement par-delà les auteurs qui ont crée le mouvement de la collapsologie, et les précède. D’autre part, il se peut tout à fait que beaucoup de penseurs adhèrent à ces idées avec une bonne foi exemplaire, sans se rendre compte des implications concernant l’origine et la forme particulière de leur difusion. Par ailleurs, ma critique ne porte pas sur le contenu des connaissances scientifiques auquel fait appel ce mouvement intellectuel, contenu dont je n’ai jamais suspecté le moins du monde qu’il puisse être inventé ni même déformé, si l’on prends ses points séparément. Ce que je critique, c’est la façon d’agencer entre elles ces connaissances afin de justifier certaines conclusions au-delà du statut d’une hypothèse plausible, ainsi que la forme dont ces connaissances sont présentées, avec des relans de moralisme protestant (seul l’effort individuel peut nous apporter la salvation), de paternalisme complaisant (« si vous ne faites pas ce que je dit vous ne vous en sortirez pas », en caricaturant pour simplifier bien-sur) et de sensationnalisme médiatique.
Je vous laisse en beauté avec une citation de James Lovelock, qui d’après wikipedia serait l’auteur de certaines thèses de la collapsogie parmi les plus médiatisées : « Je considère avec beaucoup de sérénité un genre d’évènement, pas trop rapide, qui réduirait notre population à environ un milliard ; je pense que la Terre serait plus heureuse. » Gloups ? Voici encore : en mars 2010, dans une interview au journal The Guardian, il déclare que la démocratie devrait peut-être être suspendue pour prévenir le changement climatique :
« Même les meilleures démocraties admettent qu’à l’approche d’une guerre importante, la démocratie doit être suspendue provisoirement. Il me semble que le changement climatique est peut-être une chose aussi grave que la guerre. Il pourrait être nécessaire de suspendre la démocratie pour un certain temps. » Alors, ou l’on a à faire avec une fourbe tentative de discrédit de la part de wikipedia, ou alors : derrière la collapsologie se cache décidément une certaine dose de neo-nazisme déguisé en moine franciscain.
Xelnaga
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