Comment les supermarchés veulent vous rééduquer. Exemple projet Migros-Coop. Par Vincent Held

Tout le monde à des yeux pour voir ce qui se passe, bien peu réfléchissent aux conséquences. Comme suggéré par Vincent Held, il faudra pour éviter cet espionnage généralisé, se tourner vers les petits commerces de proximité et les circuits courts. Le monde orwellien dystopique n’est plus un cauchemar, il devient réalité. Partagez ! Volti

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Par Vincent Held pour Antipresse via LHK

La conversion numérique de la grande distribution est peut-être l’une des manifestations précoces du grand «reset» économique qui s’annonce. De ce point de vue, la Suisse est un labo idéal: petit marché plutôt nanti et plutôt discipliné, largement au mains d’un cartel Migros-Coop qui annonce sa fusion!**
Adieu les caissières et bonjour le tracking! Bienvenue dans le supermarché de demain où la marchandise, ce sera vous! Nous espérons que cet article vous incitera à devenir très amis avec des maraîchers et des artisans de votre patelin. Une analyse troublante de Vincent Held.

Les supermarchés suisses se résument assez précisément à deux enseignes: Migros et Coop. Or, voilà que ce gigantesque duopole vient de nous annoncer sa fusion « d’ici la fin 2021»! Une nouvelle détonante, qui n’a pourtant trouvé que très peu d’écho dans la presse helvétique. Et de fait, il paraît fort peu probable que la Suisse se retrouve un jour avec une seule enseigne de marchés sur la quasi-totalité de son territoire!

Et si le véritable but de cette coopération renforcée était de mettre en commun les ressources numériques de nos deux mammouths de la grande distribution?

De fait, les groupes Migros et Coop sont aujourd’hui en train de transférer leurs données sur le cloud d’IBM. Celle-ci les faisant bénéficier, en retour, des bienfaits de ses systèmes d’intelligence artificielle. Et notamment en matière de «vidéosurveillance automatisée».

Mais avant toute chose, commençons par dissiper l’écran de fumée qui entoure la genèse de Trade Marketing Intelligence SA. Une société technologique issue de la coopération entre IBM et le groupe Migros — et qui est au cœur d’une véritable révolution silencieuse en Suisse. Aussi bien dans les domaines économique que sociétal.

Des stands à fromage à l’intelligence artificielle

Le site web d’IBM nous explique en effet «qu’en 2015, le [groupe] Migros avait créé une unité de Trade Marketing Intelligence (TMI)» afin de «faire la promotion de denrées de base telles que le fromage, le pain ou les shampooings». Le travail des collaborateurs du TMI consistant à «tenir des stands de présentation, expliquer le produit [fromage, pain…], répondre aux questions des clients, etc.»

Mais voilà que dépassée par son succès, l’unité TMI s’est soudain retrouvée à gérer une équipe de «quelque 300 promoteurs et huit gestionnaires de terrain»! Une situation de planification extrêmement «complexe» à gérer sans solution informatique high-tech! C’est à partir de ce moment-là que les cadres du TMI ont commencé à suivre des formations chez IBM, dans la Silicon Valley…

Entretemps, Migros avait rejoint SwissCognitive, un groupement d’intérêt soutenu par la Confédération suisse et consacré à la digitalisation de l’économie. Il faut dire que SwissCognitive est justement organisée autour d’IBM et de son spin-off IPSoft, une société spécialisé dans le remplacement des emplois administratifs par une «main d’œuvre digitale» peu coûteuse et supposée fiable.

Dès le mois de juin 2018, la centrale du groupe Migros annonçait ainsi la suppression de quelque 300 emplois «dans l’administratif». Emboîtant le pas à Nestlé, elle aussi membre de SwissCognitive, Migros avait commencé à récolter les dividendes de la «révolution numérique»…

Mais voilà qu’en octobre 2018, Migros allait subitement «vendre» son unité TMI aux deux directeurs de l’unité, pour en faire une société à part entière: Trade Marketing Intelligence SA! Migros ne conservant dès lors plus qu’une « participation minoritaire» dans la nouvelle entreprise, dont elle demeurait néanmoins «un partenaire stratégique». Et de très loin le plus gros client.

A noter que si le siège de TMI est aujourd’hui situé à Zurich (non loin de celui du groupe Migros), la société avait été initialement fondée à Suhr, en Argovie. Une région dans laquelle le groupe Migros a justement annoncé l’année dernière la suppression de 300 emplois administratifs supplémentaires.

Quant aux responsables de stands de fromage et autres «denrées de base», ils allaient être transférés bon gré mal gré dans la nouvelle société. Et se retrouver très rapidement désœuvrés…

Le «I» de TMI: la vidéosurveillance automatisée

Inutile à ce stade de préciser que l’unité Trade Marketing Intelligence n’a pas été créée par Migros pour vendre du camembert. D’autant qu’en anglais, le terme «Intelligence» se traduit littéralement par «renseignement». Au sens de l’espionnage traditionnel.

Or, il se trouve de fait qu’aujourd’hui, TMI propose bel et bien des solutions de traçage quelque peu intrusives!

Loin de s’arrêter à mesurer la «fréquence de visite» et autres «opportunités d’interaction» en vue d’optimiser l’agencement des magasins, l’outil TRACK-IT (!) de TMI propose en effet également des senseurs équipés de «reconnaissance faciale et vocale». Le but affiché étant d’offrir à la clientèle des publicités interactives réminiscentes de nos films de science-fiction préférés…

Évidemment, on se doute bien que ces technologies — qui rendent d’ores et déjà les caissières obsolètes, ouvrent des perspectives plutôt vastes!

Et avant tout en matière de surveillance. N’oublions pas, en effet, qu’IBM a proposé ses systèmes de « vidéosurveillance automatisée» à l’État suisse, il y a bien des années déjà!

Or, la «crise sanitaire» liée au covid-19 semble être l’occasion rêvée pour imposer ces technologies controversées.

Surfant sur l’angoisse sanitaire, TMI propose ainsi aujourd’hui d’utiliser ses systèmes d’intelligence artificielle pour «mesurer la température» des clients (fever testing) et vérifier qu’ils « gardent leurs distances». Un service qui aurait tout pour séduire les politiciens angoissés par l’épidémie — ou tout simplement intéressés à déployer des outils de surveillance de masse. La surveillance numérique faisant, de fait, partie intégrante du cahier des charges de la 5G tel que défini par la Confédération suisse.

Il pourrait d’ailleurs y avoir là une clé essentielle pour comprendre la campagne du groupe Migros en faveur de l’adoption de « bons comportements» (masque, etc.) face à la «crise sanitaire». Les supermarchés n’auraient-ils pas vocation à servir de porte d’entrée pour imposer des technologies de traçage dont l’opinion ne veut pas?

Par ailleurs, les applications commerciales de ces dispositifs quelque peu orwelliens sont-elles réellement limitées au seul «marketing numérique» ? Car comment, sinon, expliquer l’enthousiasme de supermarchés quasi-hégémoniques pour des technologies aussi puissantes aux applications aussi restreintes?

Des synergies high-tech avec les assurances maladie

Voici en effet une autre application concrète du traçage des clients en magasin: la surveillance de nos comportements alimentaires!

Dès 2016, la présidente de CSS, la plus grande caisse maladie suisse, avait en effet expliqué qu’elle envisageait d’introduire «un rabais pour les clients qui démontrent qu’ils s’alimentent sainement». Une idée d’autant plus concrète que les assurances maladie helvétiques sont parfaitement libres d’acquérir des données personnelles sur leurs clients. Et ce, notamment, via les sociétés de la Tech.

On sera donc peu surpris d’apprendre que tout comme Migros, CSS fait justement partie de SwissCognitive. Le but étant, bel et bien, de participer à des synergies autour des outils d’intelligence artificielle d’IBM!

Il n’est d’ailleurs pas anodin que le gouvernement suisse (tout comme la Commission européenne) participe à l’Observatoire européen des systèmes de santé.Une «organisation partenaire» de l’OMS qui préconise une approche «de la carotte et du bâton» (!) en matière d’assurance maladie:

«Les carottes peuvent consister en un paiement ou une réduction de prime. […] Les bâtons sont des pénalités ou des surcoûts […] Le principal obstacle est de déterminer qui a un mode de vie sain et qui a un mode de vie malsain. Comment savoir si quelqu’un fume, ce qu’il mange et boit — et s’il prend d’autres risques?»(1)

De fait, la crise financière majeure qui nous pend aujourd’hui au nez pourrait bien se charger de nous convaincre de l’urgence de réduire la facture sociale. Quitte à imposer une vigoureuse reprise en main de notre hygiène de vie en général — et de nos modes d’alimentation en particulier.

A cet effet, le dossier électronique du patient, hébergé sur le cloud des Big Tech, pourrait fournir une base objective pour l’émission de recommandations alimentaires personnalisées à l’intention des assurés…

Les comportements réfractaires (régimes contre-indiqués, trop forte consommation de viande rouge, etc.) devant dès lors être considérés comme antisociaux. Et donc sanctionnés. Par exemple en refusant d’accorder aux contrevenants des réductions de primes, sans lesquelles leurs frais d’assurance maladie seraient fortement surévalués (cf. la notion de «surcoût» préconisée par l’Observatoire européen des systèmes de santé).

Voici donc pourquoi Migros a commencé, il y a un certain temps déjà, à relier tous ses produits à la blockchain (via le cloud d’IBM) : afin d’assurer un traçage du moindre de nos achats. Une logique qui n’a toutefois de sens que dans la mesure où elle est suivie par Coop.

Ne doutons pas que le partenariat aujourd’hui officiel entre Coop et Migros (et auquel semblent participer dans une certaine mesure Credit Suisse et UBS) porte avant tout sur le développement de ces systèmes de surveillance un brin envahissants.

Gageons que les supermarchés suisses n’ont pas fini de nous inculquer de «bons comportements»!

Vincent Held

https://antipresse.net/projet-migrocoop-ou-comment-les-supermarches-vous-vous-reeduquer/

Ses livres Crépuscule de la Banque nationale suisse (éd. Xenia) et de Après la crise et Une civilisation en crise (éd. Réorganisation du monde) disponibles ICI:https://reorganisationdumonde.com/

NOTE
  1. Eurohealth, Vol. 20, « Health Behaviours & Incentives», juin 2014.
  • Article de Vincent Held paru dans la rubrique «Désinvité» de l’Antipresse n° 254 du 11/10/2020.

Source Liliane Held Khawam

3 Commentaires

  1. Je ne sais pas pour la Suisse, mais heureusement, de plus en plus de Français fuient les hypermarchés, ce qui évite le traçage et le conditionnement acheteur des cons-sommateurs . C’est visible quand on regarde le niveau d’occupation de leurs parkings qui a fortement diminué . C’est plus agréable d’acheter les légumes , les fruits, les oeufs et un peu de viande aux petits producteurs locaux sur les marchés, au moins on sait qu’ils sont payés correctement pour leurs produits, et de compenser la dépense supplémentaire en faisant soi-même ses autres produits de base comme ses yaourts le soir ( pas besoin d’une yaourtière électrique, une simple cocotte-minute et une serviette de bain pour l’envelopper suffisent afin qu’elle conserve sa tiédeur pendant la nuit ) , de fabriquer soi-même en un quart d’heure 3 litres de produit de lessive écologique à base de savon de Marseille pour moins de 0,50 centimes le litre et tous les produits de nettoyage faits maison, le shampooing doux , les cosmétiques faits maison etc …Les grands groupes qui font la loi comme Nestlé , Unilever , Loréal ne vont pas aimer cela ! Quant aux vêtements, les braderies Emmaüs à 2 ou 3 € le kilo de vêtements que nos ados redécoupent et ré-assemblent à leur guise en jouant sur les couleurs , sont une manne inépuisable . Ce sont eux qui, les dimanches pluvieux, se réunissent autour d’une machine à coudre maternelle pour créer leur propre mode bigarrée, admirée par les copains, sans rien se laisser imposer par les maîtres milliardaires des « marques » . Cette attitude est un début de résistance .

  2. mouais
    A l’ époque de l’ occupation allemande, la résistance faisait sauter les trains de la Wehrmacht ou les Kommandanturs….
    Aujourd’ hui, on fabrique soi même ses yaourts et sa lessive….
    On n’ arrête pas le progrès !

  3. Il y a longtemps que je tente de persuader les gens sur ce qu’il se passe dans cet article. Il faut absolument faire des liens entre tous ces sujets. Le « je n’ai rien à cacher » devient une stupidité à toute épreuve.
    Surveiller ce qu’on achète pour vendre les données aux assurances, par exemple. Voilà qui pourrait donner des sueurs froides à certains qui pourraient se trouver un jour privés d’assurance, laquelle reste quand même obligatoire. Ce qui veut dire se retrouver assuré pour un coût exorbitant simplement parce qu’on ne se nourrit pas selon les standards décidés en haut-lieu.
    On peut tout imaginer maintenant, sans que ce soit de la science-fiction.

    Il devrait y avoir au moins une centaine de commentaires sur ce post tant ça va très loin.

    @ Mianne, je suis bien d’accord avec toi. MAIS, malheureusement, dans mon coin, juste un petit producteur bio, l’autre étant aussi cher que le bio et n’ayant pas de plus beaux produits. Même l’eau n’est pas potable et il faut l’acheter en bidons. Pour le reste, oui, c’est l’hypermarché, ou bien des kms de voiture et des heures de perdues pour aller chez tel ou tel autre petit producteur.
    Alors un HP, et un grand magasin bio. Sûr que le premier trace. Pas le second, même s’il faut ôter les RFID sur beaucoup de leurs produits.

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