Sylvain Rochex a réfléchi sur le Moi et le Nous et Sur la fameuse « affirmation de soi ». Où en est-on dans nos groupes ?. C’est bien là que ça coince. Partagez ! Volti
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Sylvain Rochex pour Déscolarisation.org
Ce soir, cette après-midi, la semaine prochaine ou le mois prochain, on va encore essayer de se rassembler, chacun va rejoindre le ou les quelques groupes qui maintiennent en eux encore un peu d’espoir concernant le social.
A ces occasions, on expérimente souvent de nouvelles formes et esthétiques. On essaie de se donner des principes soi-disant éclairés des erreurs du passés pour espérer assurer la pérennité des rassemblements. On pourrait aussi évoquer ici les différents « collectifs » qui essaient de s’installer ensemble sur un terrain et/ou dans un habitat. Mais tout le monde constate que « vivre ensemble », dans la très grande majorité des situations, ça ne « marche » pas.
Pour ces fameux éco-lieux, j’ai souvent évoqué l’écueil mal connu du mauvais dimensionnement (en ha) et la mauvaise articulation de l’individuel et du collectif. Et pour l’ensemble de ces situations sociales, on en a déjà tellement dit depuis la nuit des temps sur la psychologie humaine, sur les désirs, les attentes et les sources des conflits…
Je voudrais néanmoins aujourd’hui insister sur un point : l’antinomie qui continue d’exister — et plus que jamais ! — entre la quiétude d’un groupe et les volontés obsessionnelles d’affirmation de soi de chacun. Je trouve qu’à l’heure actuelle, cela atteint des proportions vraiment sordides, notamment parce que cette volonté d’affirmation de soi est concomitante d’une volonté réaffirmée et vécue comme urgente de faire collectif (et réciproquement). Quand on voit à quelle vitesse les individus d’un collectif en arrivent à l’affirmation de soi par de multiples voies, on ne peut que s’interroger sur les ressorts de tout ceci et sur les mécanismes profonds.
Dès la première soirée de naissance d’un collectif, nombreux sont ceux qui vont déjà saisir l’occasion de s’affirmer avec l’esprit de la revanche, sur eux-mêmes et sur leur passé. Mais revanche aussi vis-à-vis de l’esprit de groupe en général.
L’affirmation de soi dont je veux parler procède en fait de deux types de réactions (au sens de réactionnaire) assez similaires qui se combinent à la puissance. La première est une réaction vis-à-vis de nos souffrances et frustrations issues de nos expériences passées avec des groupes. Étant donné que l’enfance y tient une grande part, que ça soit dans la famille ou dans les groupes de types scolaires, notre lot à chacun de claques dans la gueule, de brimades, d’humiliations, de moments où l’on n’a « pas su comment s’y prendre », de timidités, de regrets, de sentiments d’injustice, de trahisons, de déceptions, est gigantesque.
Et malheureusement, la tendance générale de chacun est d’avoir régulièrement conclu pendant des décennies la chose suivante : « encore une fois, je ne me suis pas assez affirmé, la prochaine fois, il faudra que je m’affirme ! Il faut que j’arrête de me laisser marcher sur les pieds ! Il faut que je respecte ce que je ressens à l’intérieur de moi. Etc. ». Et c’est sur ces bases-là que chacun rejoint un nouveau collectif… L’autre type de réaction un peu similaire qui se combine, c’est vis-à-vis de l’essence même d’un groupe qui est la plupart du temps nocive.
On a une intuition forte (car réaliste et basée sur l’histoire) que le groupe constitue une menace à la fois pour chacun des membres mais aussi pour les autres groupes. On connaît la tendance rapide d’un groupe à glisser vers un totalitarisme, qui détruit les individus et les autres groupes humains. Je ne peux pas mieux en parler que Simone Weil dans ses fameux « Commentaires de textes pythagoriciens » : « il y a une espèce de renoncement à la personnalité et une espèce d’amitié où le Christ n’est jamais présent, même s’il est explicitement et passionnément invoqué.
Cela se produit quand on renonce à la première personne du singulier seulement pour y substituer la première personne du pluriel. Alors les termes en relation ne sont plus moi et l’autre ou bien moi et les autres, ils ne peuvent pas être liés par une harmonie. Ils sont liés par eux-mêmes et sans médiation. Il n’y a pas de distance entre eux, pas de place vide entre eux ou puisse se glisser Dieu. Rien n’est plus contraire à l’amitié que la solidarité, qu’il s’agisse d’une solidarité causée par la camaraderie, par la sympathie personnelle ou par l’appartenance à un même milieu social, à une même conviction politique, à une même nation, à une même confession religieuse.
Les pensées qui explicitement ou implicitement enferment la première personne du pluriel sont encore infiniment plus éloignées de la justice que celles qui enferment la première personne du singulier ; car la première personne du pluriel n’est pas susceptible d’être prise dans un rapport à trois termes dont le terme moyen soit Dieu. C’est pourquoi Platon, s’inspirant très probablement des Pythagoriciens, nomme animal tout ce qui est collectif. Ce piège est le plus dangereux qui soit tendu ici-bas à l’amour. D’innombrables chrétiens y sont tombés au cours des siècles et y tombent de nos jours.»C’est un des passages de Simone Weil qui va selon moi le plus loin. C’est sur ces mêmes bases qu’elle a écrit « la note sur la suppression générale des partis politique » (qui revient de plus en plus au goût du jour).
La dissertation sur le problème des « nous » et des « je » traverse l’œuvre de Simone Weil. Elle est une de nos meilleurs alliés pour tenter de comprendre quelque-chose à ce lieu où réside tant de paradoxes, de dilemmes et de contradictions. Pour reprendre mon fil, je veux donc dire que cette connaissance plus ou moins intuitive que nous avons du problème bien formulé par Simone Weil, nous place en réaction et en situation de défiance et de méfiance absolues.
Et quand cela se combine avec le souvenir brûlant de nos propres expériences collectives passées : les nouveaux collectifs qui se forment, agrègent donc des individus écorchés, méfiants au dernier degré, bienveillants seulement en apparence et en surface et évoluant avec une très violente volonté d’affirmation de soi et un esprit guerrier dont le fer de lance est : « Cette fois, je ne me ferai pas bouffer ! Cette fois, je serai moi-même ! Cette fois je dirai ce que je pense vraiment ! Il y a le groupe d’accord ! Mais je ne dois pas me nier pour autant ! ».
En fait, le premier type de réaction concerne notre passé individuel et le deuxième le passé de l’humanité. Or, que se passe-t-il quand des individus vont les uns vers les autres avec chacun en eux presque constamment présent à l’esprit : « Cette fois, je ne me ferai pas bouffer ! Cette fois, je serai moi-même ! Cette fois, je dirai ce que je pense vraiment ! Il y a le groupe d’accord ! Mais je ne dois pas me nier pour autant ! ». Eh bien c’est juste explosif.
En fait, chacun est dans l’attente d’un soin prodigué par les autres (en terme d’attention, de prise en compte, de compréhension, de sentiment d’exister) qui crie sa revanche sur : à la fois notre passé et celui de l’humanité. Or, c’est justement à l’instant où l’exigence de soin pour une personne se fait sentir, même y compris de façon légère, que les mécanismes de réaction se déclenchent.
Exemple cardinal concernant une prise de parole où, très rapidement, celle-ci est vécue comme une imposition, une domination, et où il apparaît donc tout aussi rapidement la compétition plus ou moins silencieuse concernant le temps de parole. Quand quelqu’un se met à parler, il ne faut pas très longtemps avant que les gens autour se disent intérieurement quelque-chose dans le style : « Pfffff, c’est long, je ne suis pas venu pour ça, j’ai assez souffert dans ma vie des gens qui parlent, qui parlent, et qu’il faut toujours écouter, et moi, est-ce qu’on m’écoute ? D’ailleurs, je pense que je vais dire ce que je ressens actuellement à voix haute dans un instant,… mmmh J’hésite… Mais pourquoi est-ce que j’hésite !? Il ne faut pas que j’hésite ! J’ai assez hésité dans ma vie ! Bien-sûr que je vais le dire, car il faut désormais que je m’affirme, je me suis trop souvent tue par le passé pour ne pas blesser. Certes, il ne faut pas blesser les gens, faire attention à eux mais je ne dois pas me nier non plus !»
Voilà donc un des mécanismes les plus pernicieux et des plus courants : celui qui consiste à se dire à soi-même quelle est la vertu la plus haute à avoir mais que l’on fait suivre du petit mot magique « MAIS » afin d’effectuer un retour à soi vécu comme complètement légitime. De cette manière la vertu la plus haute entrevue sert uniquement de parement hypocrite. On se ment à soi-même en se faisant croire que la vertu la plus haute serait la situation majoritaire et qu’il faudrait ponctuellement céder un peu de terrain à la minorité oubliée pour réaliser une vertu d’équilibre (c’est dingue comme nous sommes forts pour donner naissance à toutes sortes de fausses balances). Or, quand on passe sa vie à se dire : « Certes, il ne faut pas blesser les gens, faire attention à eux, MAIS je ne dois pas me nier non plus.», la vertu la plus haute disparaît purement et simplement de la circulation.
Voilà donc, comment cette fameuse affirmation de soi est une source abyssale de conflits et de destruction dans les groupes qui se forment.
Et on pourrait ajouter à ce tableau bien noir, le problème actuel de la part prise dans le virtuel concernant notre rapport à autrui. Ce virtuel nous met en situation d’être des tyrans les uns pour les autres car le smartphone (et autres appareils) est réalistement un équivalent électronique d’une fortification avec herses, pont-levis, cachots et chemins de ronde (avec notre tour d’ivoire bien au centre). Cela nous donne donc l’habitude d’un contrôle total sur ce que nous acceptons d’autrui. En présentiel, les choses sont radicalement différentes : le contrôle, comparativement au virtuel, est quasi impossible et le réel des rencontres offre une dose énorme (infini même) d’impromptu et d’inconnu.
Si c’est ce que nous voulons en partie en rencontrant les autres, nous en perdons l’habitude à cause de nos expériences virtuelles, la peur vient vite et le risque d’emprunter et d’importer des comportements qui viennent du virtuel dans la vraie vie est grand. Ainsi, si nous avons tous rêvé un jour de pouvoir exécuter la commande Ctrl-Z dans nos vies, il en va de même pour tous les blocages et tous les systèmes de filtrage et de contrôles d’autrui offert par le virtuel : on est tenté de les appliquer dans le réel de la même manière au risque de se comporter en tyran (les uns pour les autres).
Mais jusqu’où ira donc cette fameuse « affirmation de soi » ? Ce qui aujourd’hui se traduit aisément par l’expression suivante : Ma bagnole, mon smartphone, mon fric et mon cul.J’avais pourtant ouï-dire qu’un certain courant spirituel né il y a plus de 2000 ans nous intime de nous dépouiller, de « consentir à n’être rien » et de faire d’abord la volonté d’autrui avant la sienne…
Mais parce que, semble-t-il, nous sommes face à des nécessités terrestres qui nous échappent, une armée va s’en venir pour me répondre : « Non mais ça, d’accord ! C’est évident ! Il faut penser à l’autre. MAIS…. !! »
La Vérité, c’est que la balance dont nous parlons a toujours été déséquilibrée dans le sens de l’égoïsme et que si on veut aller vers un peu plus de lumière, le « MAIS » devrait être positionné dans l’autre sens, par exemple : « Il faudrait un peu plus penser à soi, à s’affirmer, MAIS… », car c’est bien ce qui vient après ce « MAIS », et non avant, qui va avoir le plus de vigueur puisque il s’agit là d’un mouvement spirituel de rééquilibrage.
Sylvain Rochex, jeudi 31 octobre 2019.
Haha il est bizarre ce titre, lorsque je l’ai vu je me suis senti visée…. 🙂
Sinon il faut bien e rendre compte d’une chose, avec le matérialisme ou le fric, cela devient indécent à partir du moment où on cherche à se définir par rapport à ça.
Ou cela deviens ridicule lorsqu’on cherche à vivre au dessus de ces moyens pour être « Be yourself », comme tout le monde. Là on est dans la mauvaise voie, dans l’erreur !
Par contre on peu posséder certaines choses avoir un certains train de vie et ne pas lui accorder plus d’importance que ça en a. Et en parallèle aspirer à autre chose, la voie spirituelle, s’éloigner de ce monde insipide et artificielle et se rapprocher de l’essentielle.
Akasha.
Certes,
MAIS il est tout aussi indécent de vouloir excuser sa compréhension intuitive.
« Parce que je le vaux bien »
https://fr.wikipedia.org/wiki/Parce_que_je_le_vaux_bien
En fait, je ne suis pas sûre d’avoir bien compris. Sylvain reproche à l’individu de laisser libre la bride de l’affirmation de soi, aux dépens de la collectivité. C’est bien ça ?
Et si l’affirmation de soi se faisait au profit de la collectivité ? Si la personne timide qui a une « bonne » idée pouvait l’exprimer ?
La Prophétie des Andes nous en dit beaucoup sur les rapports entre nous, et comment permettre à chacun de s’exprimer en lui envoyant de l’énergie, pour le bien de tous. On peut ensuite être d’accord ou non, alors on en discute, sereinement, aussi objectivement que possible.
S’il y a une « brebis galeuse », les personnes les plus équilibrées du groupe peuvent l’aider à mieux exprimer ce qu’elle a à dire (vocalement ou non). Et si ça ne va pas, elle est invitée à quitter le groupe.
Bien sûr que ce n’est pas facile. Bien sûr qu’il y a des débordements, que chacun peut, à un moment, se sentir frustré car tout ne se passe pas comme on voudrait et que la majorité à parlé.
Mais…
Il y a quelques années, un Allemand m’avait expliqué que, dans sa société (d’aviation), même le balayeur d’avions pouvait, s’il lui venait une idée, laisser un message. Son idée pouvait être adoptée si elle était jugée intéressante pour la collectivité.
Article confus … Un résumé en dix lignes serait utile.
Décidément j’adore ce titre, ça pourrait être le titre du roman autobiographique que je compte écrire un jour ^^
Akasha.