Arrache-coeur. Il y a 60 ans, Boris Vian désertait l’écume de nos jours pour voir si l’herbe était plus rouge ailleurs. Flash-back ! par Pierre Martial..

Boris Vian le sublime, qui n’en a pas entendu parler à défaut de l’avoir lu ? C’est l’été, vous pouvez prendre le temps de lire. Partagez ! Volti

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Pierre Martial pour Des Livres Partout

Un certain Boris Vian… © D.R

Ce matin du 23 juin 1959, Boris Vian a un mauvais pressentiment. Celui que l’avant-première de la projection du ” film « J’irai cracher sur vos tombes“, adapté de son roman éponyme, va mal se passer.

Organisé au cinéma Le Marbeuf, près des Champs Elysées, l’évènement rassemble nombre de ses amis ainsi que les producteurs du film.

Boris ne voulait pas s’y rendre. Mais ses proches ont tant insisté qu’il y va tout de même, en restant persuadé que l’adaptation faite de son roman n’est que trahison, contre-sens et mauvaise interprétation.

Hélas, il n’a plus aucun pouvoir sur son écrit puisque les droits cinématographiques ont été vendus par son éditeur à la société SIPRO.

Laquelle société se vante d’avoir remanié du tout au tout le roman d’origine afin d’en élaguer… « les incongruités faciles »!

A peine les lumières se sont-elles éteintes au Marbeuf et le générique ne s’est-il mis à défiler sur l’écran noir que Boris Vian, à la vue de son nom cité contre son gré, se lève d’un coup de son fauteuil et hurle: « Ah non!“ !

Puis, la main crispée sur la poitrine, il s’effondre au milieu des travées.

Ainsi Boris Vian, terrassé par une crise cardiaque à l’âge de 39 ans, déserte-t-il à jamais une existence chaotique et accidentée au cours de laquelle il n’aura jamais vraiment été reconnu et aura sans cesse dû tirer le diable par la queue…

Cuillère d’argent et mystérieux assassinat
Boris Vian bébé © D.R

Boris Vian avait pourtant tout pour “réussir” dans la vie. Il nait le 10 mars 1920 à Ville d’Avray avec une cuillère d’argent dans la bouche.

Paul, son père, est si fortuné de naissance, qu’il n’a jamais eu besoin de travailler. La famille Vian, qui habite un bel hôtel particulier, mène une vie insouciante et privilégiée avec personnel de maison, chauffeur, jardinier et même coiffeur à domicile.

Las! Le krach de 1929, de sinistre mémoire, les ruine du jour au lendemain et à partir de là, la chute sera sans fin. Le père de Boris Vian se met à faire tous les métiers – avec des fortunes diverses -, pour faire vivre sa famille et finira mystérieusement assassiné en 1944 sans que l’on sache jamais ni par qui ni pour quoi.

Quant à Boris Vian, atteint d’une grave insuffisance cardiaque, il comprendra dès son plus jeune âge, que lui non plus ne fera pas de vieux os, même si c’est pour de toutes autres raisons.

Cette enfance incertaine, chaotique et bohème, anxiogène et passionnante tout à la fois, marquera à jamais Boris Vian et fera de lui, ce touche-à tout génial et inquiet, impatient et révolté, excentrique et marginal, bourré de talents mais jamais – ou si peu – reconnu de son vivant…

Vernon, le vénéneux et toxique jumeau de Boris Vian
Vernon Sullivan ou… Boris Vian? Boris Vian ou… Vernon Sullivan? © D.R

Surdoué, Boris Vian mène de brillantes études et, entré à l’Ecole Centrale en 1939, il en ressort en 1942 diplôme d’ingénieur en poche.

Malgré ses tenaces envies d’écriture, de musique et d’excentricités de toutes sortes, Boris Vian, qui s’est marié, se fait embaucher à l’Office National du Papier pour subvenir à ses besoins et à ceux de son ménage.

Mais il étouffe dans cet univers étriqué et courtelinesque qui est à mille lieux de la vie dont il rêve. Alors il ne dort plus et passe ses nuits à écrire ce qu’il espère être l’oeuvre du siècle qui lui apporterait reconnaissance et liberté.

Grâce à certaines de ses relations – en particulier Ramond Queneau -, ses deux premiers romans (« Vercoquin et le Plancton” ainsi que “L’écume des jours”) sont acceptés par les éditions Gallimard, ce qui n’est pas rien! Hélas, ils n’ont aucun succès et l’opération se solde par un bide intégral.

Alors Boris Vian va avoir une idée… diabolique! S’inventer un « double », une sorte de jumeau maléfique, soi-disant écrivain vénéneux de polars américains dont il serait le traducteur exclusif en français.

Ainsi allait entrer en scène, publié par le jeune éditeur Jean d’Halluin, (qui y perdra sa chemise en raison des différentes et interminables poursuites engagées contre Vian), le désormais célèbre, bien qu’imaginaire, “Vernon Sullivan”, auteur de romans policiers aux scènes fort érotiques pour l’époque.

Premier titre sur les tables des librairies et dans les rédactions: “J’irai cracher sur vos tombes!”. Qui sera suivi, au fil des années, par “Les morts ont tous la même peau”, « Et on tuera tous les affreux” et “Elles se rendent pas compte!”.

Enfin le succès! Du moins auprès des tribunaux – dont Vian et son éditeur deviendront des habitués – mais aussi auprès d’un certain public friand, en ces temps-là, de ce genre de littérature « américaine”.

Par contre, pas du tout auprès du « milieu littéraire » et de la presse. Bien au contraire! L’étiquette d’écrivain scandaleux, “pornographique” et immoral sera désormais collé sur le front de Boris Vian,- dont il devient évident pour tous qu’il est le véritable auteur de ces livres – jusqu’à la fin de sa vie.

Certes, Vernon Sullivan lui aura donné un peu plus d’aisance matérielle – bien que relative – grâce aux droits d’auteur de ses polars et surtout une belle aura sulfureuse dans le petit monde des caves de Saint-Germain des Près, mais il l’empêchera désormais et jusqu’à son dernier souffle de devenir l’écrivain brillant et reconnu qu’il rêvait d’être…

Vivre mille vies en une… avant de mourir

Dans les caves de Saint Germain des Prés © D.R

Dès lors, Boris Vian – qui continue malgré tout d’écrire – décide de noyer ses espèrances déçues dans une foultitude d’activités aussi différentes que passionnées.

Il peint, écrit des pièces de théâtre, fait des chansons qu’il interprète lui-même ici et là, écrit des articles pour les journaux tout en continuant, lui le dandy décalé et insolent, à multiplier provocations et scandales partout où il passe.

Il devient également l’un des plus fidèles aficionados de cette nouvelle musique à la mode, inventée par les noirs américains et que l’on nomme le jazz. C’est lui qui va contribuer, entre autres, à faire connaitre en France le fameux Duke Ellington, invité au Club Saint-Germain, fief de Boris.

Bien que de plus en plus fatigué et dans un état de santé précaire, il passe toutes ses nuits dans les caves de Saint-Germain et s’épuise à souffler dans sa « trompinette”, malgré ses problèmes pulmonaires et son insuffisance aortique.

« Inconscience”, pensent certains. « Fuite en avant », analysent d’autres.

En réalité, Boris Vian sait très bien ce qu’il fait et où il va. Comme son existence sera indéniablement courte, – il le sait et le pressent depuis son plus jeune âge -, il a décidé de vivre mille vies en une! Tout voir, tout connaitre, tout tenter, tout goûter avant de mourir, voilà son programme!

Qui pourrait lui donner tort? Il n’a plus que si peu de temps à vivre…

Une énigmatique tombe sans nom…

Boris Vian, l’immortel, fêtera ses 100 ans l’an prochain © D.R

Au fond du petit cimetière de Ville d’Avray, on trouve une bien modeste et très énigmatique tombe. C’est en effet la seule à ne posséder aucune inscription permettant l’identification de celui qui y repose.

Cette tombe, que l’on reconnait juste aux photos et objets symboliques que certains visiteurs y déposent, c’est celle de Boris Vian.

C’est lui qui l’a voulue ainsi. Anonyme et presque clandestine.

Lui, l’homme aux 35 pseudonymes et aux mille activités. Lui qui n’a jamais supporté les étiquettes réductrices, les codifications étroites, les règles étouffantes, lui le déserteur, le libertaire, le dandy et l’éternel rebelle!

Lui que la jeunesse des années 70 – et celle d’ensuite et de toujours – a tiré de l’oubli et de la non-reconnaissance – grâce à l’action inlassable de sa femme et de ses enfants – pour le hisser au rang des plus grands, des plus en avance sur leur temps, des plus « éternels »!

Boris Vian, l’immortel!

L’année prochaine, toujours aussi jeune, surprenant et dérangeant, il fêtera ses 100 ans! Et l’on sera nombreuses et nombreux, un peu partout en France et dans le monde, à faire la fête avec lui!

Salut et fraternité à Toi, éminent satrape du Collège de Pataphysique et grand maître de l’Ordre de la Grande Gidouille!

Ici ou ailleurs, à bientôt!

Pierre Martial Ecrivain et journaliste

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POUR EN SAVOIR PLUS
– Site officiel de la Fondation Boris Vian (Coherie) (1)
– Biographie (exhaustive!) de Boris Vian – BNF – (2)
– Archives de la SACEM sur Boris Vian dont la partition originale du déserteur (3)

Pour lire d’autres épisodes de ma chronique, c’est ICI…

Citation sur le site de Pierre Martial

4 Commentaires

  1. Boris Vian, mort à 39 ans, a chanté Monsieur le Président.
    Emmanuel Macron, président à 39 ans .
    La resemblance physique des deux personalitè est frappante.

    • « On est curieusement entrés dans l’ère de l’écume des jours. » se résume à des gens qui deviennent puérils, ludiques, avec un espace vital se rétrécissant

      les « adulescents » sont très ludiques ; ils sont aussi techno-dépendants, rêvent de pianocktail et de patinage ; ils ne sont pas très sexués et ne sont du tout politisés.
      Ils rêvent d’être des ignares, et d’ailleurs on va tuer le Jean-Sol Partre pour bien marquer ce rêve américain. On rêve de jazz et de négritude, comme aujourd’hui de rap et d’exotisme cheap.
      Avec certitude, on ignore où l’on est, on ignore même si l’on est. Vian a célébré le modèle du jeune con, qui allait vieillir un beau jour et on en a fait un modèle du progrès, du moderne, de la jeunesse, de la mode. Imaginez les héros de Boris Vian avec cinquante de plus, et vous avez les retraités et les Zira d’aujourd’hui

    • Ressemblance physique ? Typiquement ashkénaze, sans plus .https://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/plugins/wp-monalisa/icons/wpml_smile.gif

  2. « j irai craché sur vos tombes  » le livre que j ai eu le plus plaisir à lire et qui correspondait à l époque à mon état d esprit en vers les bourgeois ….quelques passages bien hard ….
    pour ce qui est du déserteur la version reggiani est la meilleure

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