Et si nous cessions de travailler à éviter le travail ?

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Travail d’équipe/123.RF

Par Sylvain Rochex

Vous savez quoi ? Nous avons continué de descendre. Car nous avons continué de vouloir faire du sur place alors que nous sommes dans un fluide soumis à la pesanteur. Nous avons continué avec ce que nous sommes, têtes de lard infinies, et donc le courant nous a emporté encore plus loin.

Nous avons continué de travailler à éviter le travail. Cela semble donc notre indépassable condition de refuser notre nature, de refuser la nature, l’ordre cosmique. Tous les jours nous nous levons pour continuer de travailler à éviter d’être des Hommes, à éviter de faire ce qui nous incombe en tant qu’Homme, au premier chef. C’est le sens de ce que nous faisons : individuellement et collectivement : éviter le (vrai) travail.
Nous nous agitons constamment aux quatre coins du globe, fourmilière géante qui s’active dans le but d’éviter de faire ce que nous avons à faire. Notre faux travail existe pour repousser le vrai travail. Nos activités sont toutes ce que Pascal nommait des « divertissements » : « La seule chose qui nous console de nos misères est le divertissement, et cependant c’est la plus grande de nos misères. Car c’est cela qui nous empêche principalement de songer à nous, et qui nous fait perdre insensiblement. Sans cela nous serions dans l’ennui, et cet ennui nous pousserait à chercher un moyen plus solide d’en sortir, mais le divertissement nous amuse et nous fait arriver insensiblement à la mort.»

La partie cruciale de cette citation de Pascal c’est : « cet ennui nous pousserait à chercher un moyen plus solide d’en sortir », car on mesure l’infini tristesse qu’il y a à refuser de traverser le feu puisqu’il y a un salut derrière. Mais nous refusons de faire le saut de la foi, de traverser les flammes pour rejoindre les fleurs. Il y a « un moyen plus solide » de sortir de l’ennui à la place de nos « divertissements » mais nous nous mettons jamais en chemin. Nous croupissons. Nous boudons éternellement comme un gamin de 5 ans qui ne veut pas sortir jouer dehors.
Plutôt que de paraphraser Simone Weil sans cesse, je vais vous copier la fin du livre « l’Enracinement » (plus bas). Car tout est donné dans ce passage pour mettre un terme à nos divertissements pascaliens (évitement du travail) pour rejoindre le vrai travail. J’en parle évidemment dans mes propos sur « Le travail physique et manuel » (https://youtu.be/mseBFtyXv4U) ou sur « l’hétéroalimentation » (https://youtu.be/Ynv9i8LHVd8). Comme Simone Weil et comme Léon Tolstoï, je pense que le salut des Hommes ne viendra que d’une spiritualisation du travail physique (pour en chasser la douleur), une spiritualisation du travail nécessaire à la conservation de la vie.

Si nous continuons de ne plus faire de différence (— à cause de l’idéologie de la spécialisation —) entre composer une sonate et planter des patates, avec cette idée saugrenue que l’un serait MUSICIEN et l’autre AGRICULTEUR, que tout est bien ainsi, que chacun fait ce pour quoi il est fait, et ce qu’il veut faire, et qu’on peut avorter la pensée sur ce mensonge, eh bien la catastrophe va continuer sa course folle. Si nous ne nous empressons pas de distinguer à nouveau ce qui relève d’une part de la conservation de la vie et ce qui relève d’autre-part du divertissement pascalien : nous ne pourrons pas continuer à vivre sur la terre. Ca sera terminé dans quelques années.

La fin du livre de « l’Enracinement » (ci-dessous), mais aussi le livre de Tolstoï et Bondareff sur « le Travail », devraient constituer un programme politique dans le sens où nous devrions nous en saisir collectivement. Tous ces collectifs soi-disant « éco-lieux » et Cie qui ne fonctionnent pas ou très mal, devraient s’en saisir pour enfin avoir un cap clair, une visée précise qui va entraîner tout le monde. Aujourd’hui, on veut du collectif, mais ça part dans toutes les directions et ça finit en bouillie à chaque fois. Car il manque à chaque fois un cap solide et le courage qui va avec. Et ce cap ne peut être que cette recherche du vrai travail et la fin de ce faux travail qui vise à éviter le vrai travail. Nos groupes implosent toujours car la majorité des protagonistes cherchent comment éviter le vrai travail et à le faire peser sur les autres (  — le paysan c’est l’autre, toujours l’autre —). Chacun revendique : sa Vie-son Oeuvre, sa PERSONNE, au lieu de s’effacer au profit du cosmos, au lieu de chercher l’inverse : L’IMPERSONNEL (Cf mon article sur l’Impersonnel ici : https://lesmoutonsenrages.fr/2020/05/31/limpersonnel-qui-guerit-tout-par-sylvain-rochex/).Ca va être très très très difficile, c’est sûr (probabilité infiniment petite) de convaincre tout le monde de cesser avec sa PERSONNE qui veut éviter le vrai travail, pour tous s’adonner enfin au vrai travail au service des autres et du cosmos. Ça va être très très difficile de spiritualiser le travail physique, de faire voir à tous, la grâce qui descend quand on décide de mettre les deux genoux à terre pour planter des betteraves.

On continuera de dire que la majorité ne voudra jamais s’y mettre, et on continuera de chercher à éviter ça. Mais nous le savons et je le sais, que le salut est la chose la moins probable, mais c’est là tout le sens de la foi et de l’Espérance. C’est là même, le fonctionnement de l’Univers : la Vie était infiniment improbable et pourtant… (Cf le texte de Jacques Ellul sur « la passion de l’Impossible » : « L’espérance est la passion de l’impossible. Elle n’a de sens, de lieu, de raison d’être que là où rien n’est effectivement plus possible et qu’elle fait appel non pas à la dernière ressource de l’homme, ou à quelque second souffle, mais à la décision extrinsèque qui peut tout transformer. Elle existe quand elle affronte ce qui est effectivement le mur sans issue, l’absurde dernier, la misère irrémédiable. Elle ne s’exprime donc jamais par une concurrence de moyens mais par l’absence de moyens. C’est quand il n’y a plus de connaître ni d’agir apparemment possibles que naît l’espérance et qu’elle évoque un autre connaître, un autre agir, d’ailleurs manifestement, réalistement impossibles.»)

Je vous laisse donc avec le texte de Simone Weil.

Si il y en a qui sont prêts, qui savent qu’il n’y a désormais plus qu’une seule issue. Je vous laisse me contacter.
« Le travail physique est une mort quotidienne. Travailler, c’est mettre son propre être, âme et chair, dans le circuit de la matière inerte, en faire un intermédiaire entre un état et un autre état d’un fragment de matière, en faire un instrument. Le travailleur fait de son corps et de son âme un appendice de l’outil qu’il manie. Les mouvements du corps et l’attention de l’esprit sont fonction des exigences de l’outil, qui lui-même est adapté à la matière du travail. La mort et le travail sont choses de nécessité et non de choix. L’univers ne se donne à l’homme dans la nourriture et la chaleur que si l’homme se donne à l’univers dans le travail. Mais la mort et le travail peuvent être subis avec révolte ou consentement.

Ils peuvent être subis dans leur vérité nue ou enrobés de mensonge. Le travail fait violence à la nature humaine. Tantôt il y a surabondance de forces juvéniles qui veulent se dépenser et n’y trouvent pas leur emploi; tantôt il y a épuisement, et la volonté doit sans cesse suppléer, au prix d’une tension très douloureuse, à l’insuffisance de l’énergie physique; il y a mille préoccupations, soucis, angoisses, mille désirs, mille curiosités qui entraînent la pensée ailleurs; la monotonie cause du dégoût; et le temps pèse d’un poids presque intolérable.
La pensée humaine domine le temps et parcourt sans cesse rapidement le passé et l’avenir en franchissant n’importe quel intervalle; mais celui qui travaille est soumis au temps à la manière de la matière inerte qui franchit un instant après l’autre. C’est par là surtout que le travail fait violence à la nature humaine. C’est pourquoi les travailleurs expriment la souffrance du travail par l’expression «trouver le temps long».

Le consentement à la mort, quand la mort est présente et vue dans sa nudité, est un arrachement suprême, instantané, à ce que chacun appelle moi. Le consentement au travail est moins violent. Mais là où il est complet, il se renouvelle chaque matin tout au long d’une existence humaine, jour après jour, et chaque jour il dure jusqu’au soir, et cela recommence le lendemain, et cela se prolonge souvent jusqu’à la mort. Chaque matin le travailleur consent au travail pour ce jour-là et pour la vie tout entière. Il y consent qu’il soit triste ou gai, soucieux ou avide d’amusement, fatigué ou débordant d’énergie. Immédiatement après le consentement à la mort, le consentement à la loi qui rend le travail indispensable à la conservation de la vie est l’acte le plus parfait d’obéissance qu’il soit donné à l’homme d’accomplir. Dès lors les autres activités humaines, commandement des hommes, élaboration de plans techniques, art, science, philosophie, et ainsi de suite, sont toutes inférieures au travail physique en signification spirituelle. Il est facile de définir la place que doit occuper le travail physique dans une vie sociale bien ordonnée. Il doit en être le centre spirituel.»
Je rappelle que le texte de « L’Enracinement » avait été écrit un peu comme un programme politique pour relever la France.

Aux bons entendeurs.

A tous ceux qui savent que le seul avenir possible pour l’humanité est de détruire l’argent. Cet argent qui nous sert justement à éviter le vrai travail, ce vrai travail qui met fin à l’argent parce qu’il confère une autonomie et parce qu’il répond aux besoins essentiels de nos frères. Un homme qui a froid et faim a besoin de chaleur et de nourriture, pas de musique.

Sylvain Rochex, 11 juin 2020.

Pour contacter Sylvain, envoyez un courriel à aavoltigeur@gmail.com

15 Commentaires

  1. « aux quatre coins du globe »
    Sans commentaire…….

  2. Le chemin qui mène à l’autonomie par l’activité fondamentale est celui qui sèvre l’Homme du poison argent coulant dans les veines de la société …

    M.G.

    • l argent est avant tout un moyen d échanger des biens ou des services ,d ailleurs je me demande comment tu paies ton abonnement internet , en bottes de poireaux ??

      • Comme tout le monde j’utilise la monnaie privative et imposée au monde pour payer certains services soumis à cette même monnaie, dont mon abonnement au FAI. Par contre, si tu as bien lu ce que j’écris plus haut, il existe un moyen pour s’exonérer de cette monnaie qui reste la propriété des banquiers qui nous maintiennent en esclavage par celle-ci.

        Plus on se focalisera sur les activités essentielles à la vie, moins on dépendra de ce moyen d’échange vérolé. Par contre, rien ne nous empêche d’utiliser un autre moyen pour nos échange, un outil plus juste, plus équitable, accessible à tous (je ne te fais pas un dessin 🙂 )

        M.G.

  3. Donc l’impôt sur votre travail est illégal, il devient un acte de guerre produit par tous ces parasites. Un peu comme le glaive des rois en le remplaçant par l’impôt il s’est fait social.
    Le pouvoir de soumettre ou de tuer l’autre me permet de vivre sur le travail de l’autre. Mai, cette arme n’est que celle qui se voit, l’autre est spirituelle, psychologique elle est dans l’art de faire croire. L’argent fait croire et toutes ces armes réunies, glaive, mensonge, argent ne peuvent être possédées par un seul individu.
    Celui qui détient ce pouvoir le monde lui appartient.
    La vie est courte vivons la en harmonie dans le respect de l’autre avec des instants de joie à inventer.

  4. Un homme qui a froid et faim a besoin de chaleur et de nourriture, pas de musique…..on va donc rester le ventre à table ,le dos au feu ,avec comme seule distraction d attendre la mort https://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/plugins/wp-monalisa/icons/wpml_negative.gif

  5. Il y a ceux et celles qui « travaillent »
    et il y a ceux et celles qui « œuvrent »

  6. – En France(et dans une moindre mesure ailleurs), il y a 1 vrai-actif-productif vrai créateur de richesse rajouté, pour 11 personnes pseudo-productives ou inactives.

    Ou dit autrement :

    – 11 personnes vivent du travail, ou à travers le travail d’une personne.

    …Ca calme !!!

    – Voilà pourquoi, tant que le « 1 » ne crèvera* pas, nous irons jusqu’au bout du bout et que rien ne changera.
    Et c’est aussi pour cela que le social revêt une telle importance en Rance.

    *) Ca ne saurait tardé, vu la fantastique gestion du Covid19 par notre gouvernement.

    • Le « 1 » s’habille de jaune.
      Très moyennement soutenu par le peuple, pourtant ce peuple est enclin à soutenir la cause noble et justifiée, mais retissant tant aux conséquences néfastes pour lui-même.

      « L’égalité de traitement, ça a des limites ,quand même, merde ! » https://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/plugins/wp-monalisa/icons/wpml_whistle3.gif

  7. Je ne comprends pas pourquoi cette invitation à le contacter https://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/plugins/wp-monalisa/icons/wpml_scratch.gif
    Très bonne réflexion comme d’habitude. On touche l’essence de notre condition humaine, l’origine de nos maux. Dommage que si peu y accorde de l’importance. C’est pourtant dans ce genre de réflexion que se trouve notre salut.

    • Artisan vient de « art ».
      ..Et pour être un « artiste » dans son domaine, il faut se donner cœur et âme.

    • Laurence, Sylvain n’est pas farouche et aime bien discuter des bonnes idées, la monnaie libre en est une, et avoir son avis (s’il connaît le principe) serait intéressant. J’ai ses coordonnées si ça te dit 😉

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