Reporterre consacre une enquête de cinq volets sur ce compteur controversé.
Déploiement accéléré, passages en force, ignorance des questions des usagers… Enedis, le promoteur du compteur communicant Linky, provoque des levées de boucliers dans les communes, des débats au Parlement et une forte opposition. Dans une enquête en cinq volets, Reporterre passe au crible le dossier : méthodes de pose, santé, protection des données, utilité écologique… Premier volet.
« Enedis m’a obligée à barricader mon compteur. Maintenant, il est scellé. » Dans un café d’Oullins, en bordure de Lyon, Sandrine est venue accompagnée d’autres membres du collectif anti-Linky Sud-Ouest lyonnais (SOL). Autour de la table, chacune feuillette son propre dossier pour vérifier les informations qu’elles partagent : extraits de presse, documents d’Enedis, notes et études s’y mélangent. À tour de rôle, elles racontent leur première expérience avec le compteur controversé. « Des installateurs m’ont appelé un jour : ils étaient en bas de chez moi, garés dans la rue. Je n’ai pas voulu les faire entrer. Ils m’ont expliqué que c’était obligatoire, que j’allais devoir payer des frais supplémentaires si je refusais l’installation d’un compteur Linky », raconte Jocelyne en sirotant un thé. « Quand des installateurs viennent chez vous, sans avertissement, poser un Linky, ça peut donner l’impression d’une intrusion dans la vie privée. Ça touche au foyer, à l’intime », ajoute sa voisine Marie-France.
Pourtant, selon ses défenseurs, le Linky serait un bond en avant : véritable outil de la transition énergétique, le compteur communiquant pourrait mieux informer ses usagers de leur consommation électrique, permettre une connaissance plus fine du réseau et de ses besoins pour les fournisseurs d’énergie, raccorder plus facilement les installations d’énergies renouvelables chez les particuliers… Mais nombreux sont ceux qui se méfient du Linky, qui est accusé de tous les maux : « Il enverrait des ondes néfastes pour la santé », « il permettrait à Enedis d’espionner les foyers et d’en revendre les informations », « il serait imposé de force ou par la ruse par des installateurs peu scrupuleux, sans possibilité de le refuser », « il ne servirait pas la transition écologique, mais l’intérêt financier d’Enedis »… Des interrogations légitimes, auxquelles Reporterre a cherché les réponses.
Pour comprendre cette défiance, il faut revenir quelques années en arrière. En 2008, une étude comparative internationale réalisée par Capgemini pour le compte de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) poussait la France à déployer chez tous les consommateurs en basse tension un compteur « communicant ». En 2009, une directive européenne soumettait le choix de la généralisation des compteurs communicants à une analyse coût-bénéfice favorable et à une décision souveraine de chaque État membre de l’UE. Les premiers tests ont lieu en France dans la région lyonnaise et en Indre-et-Loire en 2010, et il est alors baptisé « Linky ».
« Enedis menace les personnes qui refusent le Linky d’une procédure au civil »
Si certains pays, telle l’Allemagne, ont choisi un déploiement limité, la France s’est engagée à remplacer les compteurs électriques de tous les foyers français grâce aux efforts d’Enedis, ex-ERDF et filiale à 100 % du groupe EDF. « Aujourd’hui, 11 millions de familles disposent du Linky, précise Enedis à Reporterre, nous en installons 30.000 par jour, pour atteindre les objectifs posés par la Commission européenne et la CRE. » Soit 35 millions de compteurs communicants d’ici 2021. Une opération massive et un calendrier serré… Mais par des opérations de pose à marche forcée sans prendre en considération les doléances des usagers, Linky s’est aliéné la population.
Il faut dire que les méthodes d’installation d’Enedis sont pour le moins expéditives : pour réussir sa mission, l’entreprise incite ses installateurs à poser coûte que coûte les compteurs, même quand les habitants s’y opposent. En témoigne une fiche de conseil distribuée aux techniciens, qui rappelle qu’« Enedis ou l’Entreprise de Pose mandatée est en droit d’accéder au compteur, même situé dans les parties privatives d’une propriété ou copropriété, dans la mesure où il s’agit de l’une de ses missions légales ». Qu’importe alors l’avis des usagers, le remplacement s’effectue parfois sans qu’ils ne soient informés du jour de l’intervention pour peu que le compteur soit positionné sur leur palier ou aux abords de leur propriété, et que la présence des habitants ne soit pas nécessaire pour y accéder.
La même fiche précise les situations pouvant être rencontrées et la conduite à adopter au cas par cas. Dans celui où un cadenas ou des affiches interdisent l’accès au compteur, il est recommandé de « ne pas en tenir compte », de « casser le cadenas si besoin » pour « remplacer les compteurs ». Une « erreur de communication », s’excuse Enedis, qui affirme à Reporterre avoir suspendu la production et l’envoi de ces consignes. Quant aux appareils qui se situent au sein même d’un logement, certains sous-traitants n’hésiteraient pas à user de la ruse pour entrer dans les foyers. « Un installateur est venu un matin, ma colocataire lui a ouvert, et il lui a expliqué que j’avais pris rendez-vous ce jour-là. Ce n’était pas le cas. Quand je suis revenu le soir, le compteur était installé », témoigne Nolwenn, habitante du 19e arrondissement de Paris.
Quand un usager s’oppose à la pose d’un compteur Linky, il lui est régulièrement répondu qu’il n’a pas le droit de le refuser. « Enedis menace les personnes qui refusent le Linky d’une procédure au civil pour les forcer à leur donner accès, assure Me Magarinos-Rey, avocate de maires anti-Linky. On a vu une grande quantité de lettres annonçant ça, mais pour l’instant aucune procédure. » Des affirmations que réfute catégoriquement Enedis, mais que maintient la juriste, documents à l’appui. Certains témoins contactés par Reporterre affirment également avoir subi un harcèlement téléphonique des équipes d’Enedis pour leur imposer des compteurs.
Le distributeur d’énergie utiliserait un double langage, selon Me Magarinos-Rey : « Enedis dit de temps en temps dans les médias “pour les personnes qui refusent, nous n’installerons pas de compteur”. Mais pour l’instant, c’est du vent. Ils continuent de forcer l’accès aux compteurs. » Parmi les anti-Linky, nombreux sont ceux qui ont fait savoir par lettre recommandée leur opposition à la pose de l’appareil dans leur logement. Mais ces missives sont restées lettres mortes. « Les usagers ne peuvent pas vraiment refuser, explique Me Magarinos-Rey, le pouvoir réglementaire a prévu le déploiement de ces compteurs qui, rappelons-le, n’appartiennent pas aux particuliers. Il n’y a qu’une solution : il faut saisir le tribunal civil en demandant à ce que le compteur ancien soit réinstallé, ou en mesure de prévention que le compteur ne soit pas remplacé. »
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Auteur Moran Kerinec pour ReporTerre
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Là, il y a beaucoup à dire…
Hulot s’est pointé dans une commune du Var. Personne ne lui a posé de question sur le sujet Linky. Je ne me suis pas déplacée non plus. Ce gr-os malin pense encore que les compteurs appartiennent à Enedis ! Que voulez-vous faire avec un tel individu !!
Résistez aux menaces et au harcèlement d’Enedis: pour le moment, le refus de la pose est légal et il n’est absolument pas prévu de payer ni le compteur, ni les relevés, par la suite. On verra bien si un jour une loi était votée en ce sens. Il y aura bien un délai pour se mettre en conformité. Ou pour faire couper l’électricité si on n’en veut pas (ce qui serait mon cas).
J’ai un document émanant d’Enedis – document non contractuel – expliquant les bonus et les malus, destinés aux sociétés de pose. Elles doivent changer 70% des compteurs dits non accessibles. Comment peuvent-elles le faire sans forcer les portes, harceler, menacer … compte-tenu du nombre de gens qui le refusent ? Enedis lui-même est harcelé par la Commission de Régulation de l’Energie, avec bonus et malus. Bref, l’Etat est bien au sommet de ce scandale.
Ce que dit l’avocate est faux. Le compteur n’appartient pas aux usagers, certes, en tant que particuliers. Mais qu’est-ce que la commune si ce n’est une entité faite des membres qui la composent ? Le compteur n’appartient pas davantage au maire. Il appartient à cette entité communale, donc à nous tous. D’où la décision d’un tribunal affirmant que la légitime défense est reconnue en matière de protection des biens, dont du compteur (l’histoire de l’île de Ré).
Oui, nous devons laisser libre l’accès au compteur, ok. Mais pour de la gestion. Le changement contre un Linky n’est en rien un acte de gestion. Il s’agit d’un capteur de données, connecté, qui plus est évolutif. C’est totalement différent. Il injecte un courant de type numérique dans nos câbles qui ne sont pas faits pour le supporter. Promotelec préconise même de faire intervenir un électricien après la pose pour vérification de notre réseau interne, ceci pour éviter les incendies.
Donc Enedis est dans l’illégalité car il modifie unilatéralement notre contrat et il est interdit de mettre chez un particulier un objet connecté sans son autorisation. Or obligation et autorisation sont deux choses bien différentes.
Alors qu’il ne vienne pas nous bassiner parce que, à cause de son comportement… nous barricadons nos compteurs !
Les tribunaux, sauf à présenter un dossier médical d’électrohypersensible, se basent sur le rapport de l’Anses, dont les « experts » n’ont fait qu’étudier des rapports et des articles dits « scientifiques » (de la presse autorisée je suppose) pour donner ses conclusions sur la relative non nocivité des ondes. Faisant fi de milliers d’articles indépendants, prouvant le contraire.
Excellente mise au point. Merci.
Je rajoute ceci en matière de révolte… je ne sais pas où est cette révolte… disons que ceux qui s’intéressent au dossier ne peuvent qu’être contre.
Aucune révolte dans mon village, juste quelques personnes qui me demandent quoi faire. Mais il est vrai aussi que la technique de pose d’Enedis, en tâches de léopard, est propre à éviter autant que possible les rassemblements et les actions de protection groupées.
Le monstre est futé !!
Chez moi toujours pas de news de mon maire. Je vais t’inviter à le rencontrer en ma présence, pour lui expliquer de quoi il retourne… 😉