1. La « tournée africaine », symptôme de la continuité d’une politique étrangère centrée sur les intérêts de la France.
1.1. La continuité de la politique étrangère de la France en Afrique de 1990 à nos jours.
Le président de la République française, Emmanuel Macron, a effectué la presque coutumière « tournée africaine », au Cameroun, au Bénin et en Guinée-Bissau du 25 au 28 juillet 2022 accompagné des ministres des Affaires étrangères et des Armées, Catherine Colonna et Sébastien Lecornu, du ministre délégué au Commerce extérieur Olivier Becht ainsi que de la secrétaire d’État chargée du Développement, Chrysoula Zacharopoulou[1].
Quelques heures après son arrivé au Cameroun le 26 juillet 2022 aux alentours de minuit, le Président français, a été accueilli « triomphalement » par des habitants de la capitale Yaoundé[2]. Des images qui en ont rendus plus d’un perplexe compte tenu de l’impopularité croissante de l’ancienne puissance coloniale sur le continent.
Rappelons les blocus de convois militaires de l’opération Barkhane au Burkina Faso et au Niger de novembre 2021 qui avaient fait plusieurs blessés et morts de balles françaises, ou les manifestations anti impérialisme français au Mali, au Sénégal, au Tchad et en Afrique du Sud en 2021[3]. Ainsi, comment expliquer cet accueil ?
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Dans un communiqué du 22 juillet 2022 du Maire de Yaoundé, Luc Messi Atangana, avait appelé la population de la capitale à se mobiliser le long de l’itinéraire présidentiel pour « réserver un accueil chaleureux » à Emmanuel Macron dès son arrivée[4].
Cependant, les journalistes du média camerounais, Naja TV, ont montré comment les autorités camerounaises avaient « nettoyé » Yaoundé avant l’arrivée de la délégation française en démolissant des dizaines de commerces de rue se trouvant sur l’itinéraire. Et ce, ruinant des années de dur labeur et d’investissements, et plaçant des dizaines de familles en difficultés financières à moyen-long terme[5].
Pire encore, le 25 juillet 2022, les journalistes camerounais ont pu accéder à un document signé par le Trésorier général du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), parti présidentiel, dans lequel l’on apprend que 10,5 millions de francs cfa (16 020,77 €) ont été versés à des militants du parti afin qu’ils accueillent le Président français lors de sa visite du 25 au 27 juillet 2022[6].
Si en 2021, annonçant la fin de l’opération Barkhane au Mali, Emmanuel Macron avait déclaré que la France « ne resterait pas aux côtés d’un pays où il n’y a plus de légitimité démocratique ni de transition », il semblerait que ce principe ne soit pas appliqué au régime autoritaire camerounais, puisque le 26 juillet 2022, Emmanuel Macron a déclaré que le Cameroun était « un partenaire stratégique »[7].
En effet, Paul Biya, actuel président camerounais, est au pouvoir depuis 1982, et sa présidence a été caractérisée par la multiplication des pratiques autoritaires. Par exemple, le parti d’opposition Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) avait organisé le 22 septembre 2020 une manifestation nationale « pour réclamer un dialogue national, des réformes du système électoral et le retour de la paix dans les régions anglophones du pays ». Interdite par les autorités dans plusieurs régions, plus de cinq-cents (500) personnes avaient été arrêtés arbitrairement[8]. En octobre 2021, deux-cents (200) d’entre eux risquaient d’être jugés par un tribunal militaire et accusées de terrorisme et d’atteinte à la sécurité nationale[9].
Selon les informations récoltées par les experts de l’ONU, des journalistes et opposants politiques ont été torturés durant leurs détentions. En 2017, le gouvernement de Yaoundé avait également eu recours à des coupures d’internet intentionnelles pour empêcher la population de se mobiliser[10].
En décembre 2021, 47 militants du parti d’opposition, Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), dont le porte-parole et le trésorier, ont également été condamnés à de la prison ferme pour « rébellion » et « tentative d’insurrection »[11].
Ainsi, dans un cas, la légitimité démocratique est présentée comme fondamentale pour toute coopération bilatérale, mais dans l’autre, celle-ci est ignorée, comment expliquer cette dichotomie ?
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François Mitterrand (1981 – 1995) avait été le premier Président français à « conditionner » l’aide publique au développement française aux efforts allant vers de meilleures pratiques démocratiques de l’Etat « partenaire » lors de son discours de la Baule en 1990. C’était notamment dans le contexte de la chute du mur de Berlin et des demandes populaires pour l’instauration de régimes démocratiques à travers le monde[12].
Ainsi, dans le discours, la légitimité démocratique est un critère fondamental menant la France à collaborer ou non avec des Etats depuis les années 90. Cependant, la littérature a montré comment de l’ère coloniale à nos jours, la politique étrangère française, notamment en matière d’aide au développement et à la démocratisation, étaient concentrées sur les Etats riches en ressources naturelles et sur les Etats membres des zones CEMAC et CEDEAO[13]. La politique de « démocratisation » française était également de court terme et centrée sur les élections[14].
Enfin, celle-ci était conduite dans le seul but de satisfaire les intérêts économiques, politiques, diplomatiques, sécuritaires et stratégiques français (Bolle 2000, Obiang 1996, Mélonio 2012, Ndiaye, 2019), et avaient des effets négatifs sur le long terme (Bolle 2000, Obiang 1996, Akindès, 1996)[15].
La dernière « tournée africaine » d’Emmanuel Macron illustre donc la continuité de cette politique africaine française. Patrice Talon, actuel Président béninois, seconde étape de la tournée est également notoire pour ses pratiques autoritaires.
Par exemple, en décembre 2021, Reckya Madougou, ancienne ministre de la Justice, leader de l’opposition béninoise et élue lors des primaires pour les présidentielles de 2021, a été condamnée à 20 ans de prison pour « complicité d’actes de terrorisme ».
Plusieurs leaders d’oppositions, dont Reckya Madougou, avaient aussi été empêchés de participer aux élections présidentielles de 2021, en raison d’une modification constitutionnelle à l’initiative de Patrice Talon. Ces élections ont vu le Président sortant être réélu avec 86 % des voix[16].
Réagissant à la visite au Bénin, environ quatre-vingt (80) députés français, dont certains du parti présidentiel ont interpellés le chef d’Etat au moyen d’une lettre ouverte dénonçant les pratiques autoritaires du gouvernement Talon, et protestant contre cette visite officielle. Les députés ont été ignorés[17].
Le fait que les autorités françaises n’aient pas officiellement visité le Cameroun depuis 2015, et qu’aucun Président français n’ait officiellement visité la Guinée-Bissau avant Emmanuel Macron, illustre d’autant plus l’existence d’intérêts. Mais, lesquels ?
1.2. La France tente de contrer les efforts diplomatiques russe
Lors de la conférence de presse du 26 juillet 2022 de Yaoundé, Emmanuel Macron, a évoqué les axes sur lesquels les deux Etats seront amenés à coopérer dans le futur[18] :
- La réduction de l’insécurité alimentaire au travers de l’initiative Food and Agriculture Resilience Mission (FARM)
- L’aide au développement économique au travers de l’Aide Française au Développement (AFD)
- La lutte contre le terrorisme dans le Bassin du Lac Tchad et le Golfe de Guinée au travers de formations de l’armée camerounaise.
- La volonté de décentralisation de l’Etat vers une régionalisation
- La « préoccupation» au regard de l’ingérence russe en République centrafricaine
La lutte contre l’influence médiatique, politique et militaire russe en Afrique, et une redéfinition des partenariats de défense dans la lutte contre le terrorisme djihadiste ont également été présentés comme les principaux axes de coopération lors des conférences de presse au Bénin et en Guinée-Bissau. L’accent a particulièrement été mis sur la sécurité alimentaire et sur l’influence russe en Afrique.
Lors de la conférence de presse au Bénin, Emmanuel Macron a accusé la Russie de mener « un nouveau type de guerre mondiale hybride » en instrumentalisant l’information, l’énergie et l’alimentation pour manufacturer un soutien politique en Afrique.
« […] La Russie est l’une des dernières puissances impériales coloniales, elle décide d’envahir un pays voisin pour y défendre ses intérêts. Quand vous les voyez poindre leur tête chez-vous, n’y voyez pas autre chose, même s’ils vous tiennent le discours inverse.
La deuxième chose, ils (la Russie) font du chantage sur l’alimentation. Ils font du chantage parce que ce sont eux qui ont bloqué les céréales en Ukraine, ce sont eux qui régulent leurs céréales.
Il n’y a eu aucune sanction décidée par les Américains ou les Européens sur l’alimentation, par qui que ce soit. Ce sont eux qui décident de comment réguler le robinet, faire monter les prix, les baisser, faire venir la nourriture ou pas. Et puis, ils font une tournée en expliquant aux gens : « c’est de leur faute ».»[19].
Emmanuel Macron a aussi dénoncé « l’hypocrisie », des Etats africains sur la question ukrainienne. En effet, le 1er mars 2022, lors du vote de la résolution A/ES-11/L.1 de l’Assemblée Générale des Nations unies visant à condamner l’intervention militaire russe en Ukraine du 24 février 2022, quatorze des trente-cinq abstentionnistes (14/35), huit des douze absents (8/12) et un Etat des cinq (1/5) ayant voté contre, étaient africains.
Autrement dit, 44 % des cinquante-deux Etats ayant refusé de se prononcer ou ayant ouvertement soutenu la Russie lors du vote de la résolution onusienne, étaient africains, c’est presque la moitié du continent[20].
Le 7 avril 2022, la résolution portant suspension du droit de la Fédération de Russie de siéger au Conseil des droits de l’Homme, AE/ES-11/L.4. a également révélé un manque de soutien africain aux efforts occidentaux. Si la résolution a été adopté, vingt-quatre des cinquante-huit Etats abstentionnistes (24/58), neuf des vingt-quatre ayant voté contre (9/24), et dix des dix-huit absents (10/18) étaient africains. En parallèle, seuls quatre-vingt-treize Etats avaient voté en faveur de la résolution[21].
D’après les propos tenus par Emmanuel Macron, ces résultats s’expliqueraient par le « chantage » russe exercé sur l’alimentation.
Par ailleurs, si l’on tient compte des votes des résolutions AE/ES-11/L.1. et AE/ES-11/L.4., l’on constate que tous les Etats visités fin juillet 2022 par Sergeï Lavrov, font partie des Etats abstentionnistes ou ayant voté contre mentionnés plus haut. De même, parmi ceux visités par la France, seul le Bénin a voté en faveur du vote visant à condamner la Russie, les deux autres faisant partie des absents. Concernant le second vote, visant à suspendre la Russie du conseil des droits de l’Homme, aucun des Etats visités n’a voté en faveur.
Enfin, cette « tournée » s’est effectuée au même moment que la visite de Sergeï Lavrov, ministre des affaires étrangères Russe, en Egypte, en République du Congo, en Ouganda et en Ethiopie, sur fond de sécurité alimentaire[22].
Ainsi, dans un contexte international marqué par la guerre en Ukraine, les sanctions économiques contre la Russie, la hausse des prix des carburants et de l’alimentation, et par les efforts occidentaux d’isoler la Russie, il parait clair que les enjeux, étaient centrés sur l’alimentation d’une part, et sur le soutien politique africain à la Russie d’autre part.
Par conséquent, cet article tend à répondre à trois questions centrales : la guerre en Ukraine aggravera-t-elle l’insécurité alimentaire au sud du Sahara ? Quels seront les effets de l’initiative FARM dans les Etats subsahariens visés ? Et enfin, comment ces effets informent-ils sur les objectifs sous-jacents de la France en Afrique ?
Le deuxième chapitre revient sur la narration officielle justifiant l’adoption de l’initiative FARM, le troisième chapitre analyse la validité des arguments officiels au travers d’études de cas et montre comment la guerre en Ukraine aura des effets marginaux sur la sécurité alimentaire des Etats étudiés.
Ce chapitre, examine ensuite les effets qu’auront l’initiative FARM sur la sécurité et la souveraineté alimentaire, puis analyse les objectifs officieux des autorités françaises dans l’application de l’initiative.
Le quatrième chapitre analyse si le « chantage » russe sur l’alimentation est la raison expliquant les abstentions africaines lors du vote de la résolution AE/EZ-11/L.1. La dernière partie propose une conclusion et des recommandations.
Les données suggèrent que l’initiative FARM est une réaction au soutien politique des Etats africains à la Russie depuis le début de la guerre en Ukraine. En effet, 44 % des Etats ayant affirmé leurs soutiens ou leurs neutralités lors du vote de la résolution des Nations Unies visant à condamner l’attaque de l’Ukraine par la Russie (AE/EZ-11/L.1) sont africains.
Ainsi, les effets de la guerre en Ukraine sur la sécurité alimentaire en Afrique sont un prétexte permettant de faciliter l’accaparement des terres arables cultivées et non cultivées Africaines par les multinationales françaises et américaines, et ce, afin de générer plus de profits. Cet accaparement des terres arables se fera au détriment de la sécurité et de la souveraineté alimentaire, et générera une dépendance durable des Etats subsahariens visés en matière d’alimentation.
Cette dépendance, servira de levier aux Etats-Unis et à la France pour mieux imposer leurs volontés aux Etats africains sur les questions internationales, notamment sur l’Ukraine. Le but de l’initiative est donc d’empêcher la Russie d’intensifier ses relations avec ces Etats, et de faciliter la stratégie de renversement du régime Poutinien initié par les Etats-Unis.
Source Affaires-Africaines
faudrait jeter un oeil au vrai responsable de ce bordel , qui a une super récolte 2022 a écouler , et qui fait tout pour que les prix ne s écroulent pas ……
Prenez le temps de lire l’article sur notre site, en particulier la section 3.2.5 qui montre « comment la France exagère les effets de la guerre en Ukraine sur la sécurité alimentaire en Afrique ? », et la section 4.2.2, « le piège tendu à la Russie par les Etats-Unis ».
Vous comprendrez pourquoi ce choix a été fait.