« Vérité de la Tranchée » – Avancée diplomatique pour le Donbass ?

En souhaitant que les passions vengeresses se mettent en veilleuse et que la paix revienne en Ukraine. Ce que la politique n’a pas réussi à faire, le dialogue médiatisé entre les deux camps le pourra t-il ? C’est un fragile espoir, mais un espoir tout de même, malgré les critiques de part et d’autres pour cette initiative télévisée. Quand les politiques persistent à entretenir un conflit meurtrier, n’est-ce pas à ceux qui paient avec leur sang de résoudre le problème ? Paix aux hommes de bonne volonté. Partagez ! Volti

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Christelle Néant pour Donbass-Insider

Samedi 24 août 2019, la chaîne russe « Rossia 24 » a diffusé une émission intitulée « Vérité de la tranchée » qui a déchaîné les passions et suscité pas mal de commentaires souvent négatifs sur les réseaux sociaux. Mais certains soulignent, à l’instar de Daniil Bezsonov, que de telles émissions pourraient aider à faire avancer la résolution diplomatique du conflit dans le Donbass.

Retour sur ce qui s’est passé le samedi 24 août. Le journaliste de « Rossia 24 », Alexandre Rogatkine, a réuni sur un même plateau à Moscou, trois vétérans de l’armée ukrainienne ayant combattu dans le Donbass et deux soldats plus un vétéran des milices populaires des Républiques Populaires de Donetsk et de Lougansk (RPD et RPL), pour discuter de la guerre dans laquelle ils s’affrontent.

Voir la vidéo, en russe : Une telle idée peut sembler farfelue, mettre des ennemis face à face sur un même plateau télévisé pour discuter de la guerre qu’ils mènent… Et pourtant pas tant que ça.

C’est d’ailleurs l’un des vétérans de l’OAT (« Opération Anti-Terroriste », qui était le nom initialement donné par Kiev à la guerre dans le Donbass), Alexandre Medinski, qui est à l’origine de cette émission. Rogatkine dit d’entrée de jeu en début d’émission que c’est sur son initiative qu’il a décidé de réunir ces six soldats ou ex-soldats.

Medinski n’est pas un inconnu. Participant actif du Maïdan en 2014, puis soldat dans le Donbass jusqu’à 2016, il finit par se rendre compte qu’il s’est totalement fourvoyé, et se lance alors comme journaliste indépendant pour dire la vérité. Mais cette vérité ne plaît pas aux néo-nazis ukrainiens, qui le kidnappent et le torturent fin 2017, en plus de publier ses informations personnelles sur le site Mirotvorets. Après cela Medinski a dû fuir en Union Européenne, et y demander l’asile politique.

En plus de dire la vérité sur ce qui se passe dans son pays natal, Medinski a été jusqu’à demander publiquement pardon pour ce qu’il a fait et soutenu, lors du Dimanche du Pardon en février 2018.

Vidéo sous-titrée en français:

Cette émission s’inscrit donc dans la lignée des actions de Medinski pour essayer de changer le cours des choses qu’il a participé à mettre en place, comme les vidéo-conférences qu’il avait organisée avec Denis Lotov, un activiste anti-Maïdan et le commandant « Abkhaze » qui sert en RPD.

Cette émission a provoqué un torrent de commentaires négatifs, tant côté ukrainien (qui ont prétendu que les vétérans de l’OAT présents sur le plateau étaient des acteurs), que du côté des soutiens du Donbass.

Ce qui semble le plus avoir irrité certains côté Donbass, c’est le fait qu’après l’émission, ils sont tous sortis ensemble en ville et ont chanté des chansons ukrainiennes. Je comprends qu’après plus de cinq ans de guerre certains en viennent à haïr tout ce qui est ukrainien, mais, il ne faut pas oublier que les trois soldats ou vétérans des milices populaires sont nés, et ont grandi dans un Donbass ukrainien.

Et comme l’ont dit les participants de l’émission de Rogatkine, en réalité les Ukrainiens sont des Russes qui ont oublié qui ils sont. Ukrainiens, Russes et Biélorusses sont un même peuple issu d’une histoire commune, qui a été divisé artificiellement il y a un siècle par les bolcheviques (ceux que les nationalistes ukrainiens haïssent, alors qu’ils leur doivent l’existence même de l’Ukraine en tant que pays, et l’ajout de plusieurs régions, dont le Donbass, la Volynie, la Galicie, la Transcarpatie, et la Crimée).

Si on part de ce postulat, ces chansons ukrainiennes sont en réalité des chansons russes, des chansons malorusses (c’est-à-dire des chansons de Malorussie, la « Petite Russie » qui était le nom donné à la partie de l’empire russe qui couvrait la plus grande partie de l’Ukraine actuelle), si on tient à être précis.

Ceux qui ont hurlé à la trahison en accusant les soldats de la milice populaire d’aider un plan visant à ramener le Donbass au sein de l’Ukraine, ou en disant qu’il est hors de question de s’excuser de quoi que ce soit, n’ont pas dû regarder l’émission. À aucun moment les membres ou vétérans de la milice populaire ne tiennent de tels propos. Bien au contraire.

Qu’auraient dû faire ces six soldats ou vétérans si on écoute ceux qui sont contre cette initiative ? S’entre-tuer en plein cœur de Moscou, voire sur le plateau télé (risque pris en compte par la production qui avait « au cas où » logé les deux groupes de soldats dans deux hôtels différents) ? Ça aurait plus acceptable ? Rajouter encore un peu de sang russe (celui des Russes qui se souviennent de qui ils sont et le défendent, et ceux qui ont oublié) à l’océan déjà versé en plus de cinq ans de guerre ?

Je comprends la colère de certains. J’ai moi-même perdu des amis, des connaissances, voire des gens qui étaient pour moi comme les membres de ma famille. La colère, l’envie de vengeance, de leur faire payer pour ce qu’ils nous font subir. En oubliant que nos soldats ont aussi tué beaucoup des leurs, et que la colère et l’envie de vengeance que nous ressentons, ils la ressentent aussi, peu importe les motivations ou événements qui ont amené ces soldats ukrainiens sur le front (propagande, idéologie, mobilisation).

L’un des vétérans de l’OAT présent sur le plateau est un anti-Maïdan qui s’est retrouvé sur le front dans le Donbass à cause de la mobilisation générale. Combien comme lui sont morts, tués lors des combats contre les milices populaires de la RPD et de la RPL ? Bien sûr il y a les criminels de guerre, les néo-nazis prêts à exterminer jusqu’au dernier habitant des deux républiques populaires qui n’adhère pas à leur idéologie. Il ne s’agit pas de nier cela. Mais il faut aussi admettre que tous les soldats ukrainiens ne partagent pas cette idéologie, y compris parmi ceux qui sont morts. Leur famille, leurs proches les pleurent, et eux aussi crient vengeance.

Alors quoi ? Certains disent qu’aucune guerre civile ne s’est jamais finie autrement que par la victoire militaire d’une des parties, pour justifier de ne pas tenter de faire la paix. Qu’il faut aller jusqu’à la défaite complète de l’armée ukrainienne, jusqu’au dernier « Ukrop ». Soit.

Mais comme l’a si bien dit Daniil Bezsonov, le chef du service de presse de la milice populaire de la RPD : « Néanmoins, personne n’a pensé aux pertes auxquelles nous serions confrontés pour obtenir cette défaite. Et si nous disons que la guerre est une guerre civile, et que les Ukrainiens sont des Russes, mais qui ont été trompés, alors à qui profite la perte de plus de 100 000 hommes russes des deux côtés ? N’est-ce pas aux « partenaires occidentaux »? »

Faire la paix ce n’est pas mettre un genou à terre, se soumettre, ou obliger le Donbass à réintégrer l’Ukraine. Le Donbass est russe, et les Russes ne se rendent pas ! Faire la paix c’est mettre fin à la guerre et aux morts tant civiles que militaires des deux côtés. Et pour faire la paix, il faut discuter.

Et puisque Zelensky a l’air de vouloir suivre le chemin guerrier de Porochenko, puisque les autorités ukrainiennes ne veulent pas discuter directement avec la RPD et la RPL, alors pourquoi ne pas tenter d’amener cette paix par « en bas » plutôt que par « en haut » ? Sous prétexte que cela n’a jamais été réussi, faudrait-il renoncer à essayer ? Si l’humanité avait suivi un tel précepte, nous n’aurions même pas inventé le feu !

Les vétérans ukrainiens ont pris un risque en venant jusqu’à Moscou pour cette émission. Ils auraient pu se faire arrêter pour être jugés pour leurs éventuels crimes de guerre. Ils auraient pu être reconnus dans la rue et subir la vindicte de certaines personnes, comme celles dont les messages fleurissent sur les réseaux sociaux depuis samedi. Ils se sont aussi exposés au risque de représailles à leur retour en Ukraine, pour deux d’entre eux.

S’ils ont pris ce risque, c’est pour faire « un pas pour la paix » comme ils l’ont dit lors de l’émission. Tout ne sera pas résolu par cette dernière, mais c’est un premier pas. Les deux camps ne se sont pas pardonnés, mais à la fin de l’émission ils se respectaient. C’est déjà un pas positif.

L’autre point majeur oublié par ceux qui critiquent l’émission parmi les soutiens du Donbass, c’est que les miliciens n’ont à aucun moment renié leurs valeurs ni ce qu’ils défendent, ni dit quoi que ce soit qui soit dommageable à la cause du Donbass.

Par contre, les vétérans de l’OAT ont confirmé des faits importants, comme l’a souligné Daniil Bezsonov.
1) Les vétérans de l’OAT ont reconnu que les Forces Armées Ukrainiennes (FAU) tirent à l’artillerie et au mortier sur les villes et villages du Donbass depuis plus de cinq ans, et que ce ne sont pas les républiques populaires qui se tirent dessus elles-mêmes, comme le prétend la propagande ukrainienne.
2) Les vétérans de l’OAT ont reconnu que la guerre dans le Donbass est une guerre civile, et non une guerre contre l’armée russe.
3) Les vétérans de l’OAT ont reconnu que les bataillons punitifs, comme Azov, Aïdar, Secteur Droit, et d’autres, sont des groupes armés illégaux qui doivent être dissous et leurs membres mis en prison.

Ce qu’ils ont dit sera entendu en Ukraine, et il sera difficile pour Kiev de hurler à la propagande russe, quand ce sont ses propres vétérans qui énoncent les faits, qui énoncent la vérité. Ce qu’ils ont dit sera aussi entendu en Russie, où le public russe pourra voir que tous les Ukrainiens ne sont pas des adeptes de Bandera, et qu’il y a des gens qui veulent tout tenter pour ramener la paix.

Pour ce qui est du dénouement possible, je laisse la conclusion à Daniil Bezsonov, qui a très bien résumé les espoirs et les attentes de beaucoup d’entre nous.

« Je n’arrête pas de dire que peu importe qui sera le président de l’Ukraine, la politique ne changera pas, parce que l’Ukraine est annexée par l’Amérique. Il y a donc plusieurs façons de résoudre le conflit dans le Donbass. Bien sûr, nous voulons tous que la Russie rassemble ses troupes et envoie les « Ukrops » à Bruxelles. Mais, apparemment, pour l’instant, cela reste seulement notre rêve. Envisageons donc d’autres options.
L’option la plus acceptable pour les blogueurs de canapés est une offensive à grande échelle des forces armées de nos républiques et la défaite des FAU. Mais cette option entraînera des dizaines de milliers de morts, y compris de notre côté. On ne sait pas non plus combien de civils mourront.
Une autre option serait que la société ukrainienne voit et décide de résister à l’annexion américaine, de sorte que garder l’Ukraine sous contrôle pour les États-Unis deviendra un fardeau insupportable. C’est une option très réelle, mais dans un avenir lointain. Cette option exige également des programmes similaires avec des négociations publiques et honnêtes entre les forces de première ligne des deux parties.
À mon avis, le plus réaliste est une option diplomatique complexe. Jusqu’à présent,
tout se passe entre politiciens. Si un processus de négociation global et complet est lancé avec les combattants de première ligne, le résultat ne se fera pas attendre longtemps. Vous demanderez quel sera le résultat ? Je ne vois qu’une seule option – les forces armées ukrainiennes quitteront volontairement le Donbass et retourneront sur les lieux de déploiement permanent de leurs unités. »

Les chances d’arriver à un tel résultat sont faibles, mais aussi faibles soient-elles, il faut le tenter. S’il y a ne serait-ce qu’une chance sur un milliard de résoudre ce conflit sans provoquer un nouveau bain de sang, alors il faut essayer. Mieux vaut essayer et échouer, que de ne rien tenter pour empêcher que la pire option se produise.

Christelle Néant

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