Chère, polluante, inutile : la bombe nucléaire ne sert à rien…

La présentation d’un livre par Jean-Pierre Tuquoi (Reporterre), qui traite de la bombe nucléaire. Force de dissuasion (pour ceux qui la possèdent) ou gouffre financier inutile ? Les auteurs expliquent… Volti

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Auteur Jean-Pierre Tuquoi pour Reporterre

Pixabay

En France, le nucléaire militaire échappe à tout débat. En trois chapitres clairs et incisifs, Paul Quilès, Michel Drain et Jean-Marie Collin, dans « L’illusion nucléaire », déconstruisent les arguments des promoteurs de la bombe pour mettre fin au règne de l’omerta et du secret défense.

Le nucléaire civil suscite quantité de débats passionnés dans la société. Le nucléaire militaire aucun, alors qu’il pose des questions tout aussi graves. On peut disserter à l’envi sur les raisons de ce silence, incriminer la hiérarchie militaire et son travail de lobbying, fustiger le manque de curiosité des parlementaires et des médias, déplorer l’inertie et le désintérêt apparent de l’opinion publique… Le fait est qu’un tabou pèse sur le nucléaire militaire et que rares sont ceux qui essaient de le lever. Ils prêchent dans le désert. Les auteurs de L’illusion nucléaire appartiennent à ce petit groupe d’empêcheurs de tourner en rond. Dans un livre bref mais copieux, dépourvu de fioritures mais solidement charpenté et bourré d’informations, ils rappellent un certain nombre de faits de nature à alimenter le débat, le jour où il s’imposera.

Petite précision préalable, les auteurs ne sont pas de dangereux pacifistes, un trio de taupes à la solde des ennemis de la France. Il y a parmi eux un socialiste non défroqué, ancien ministre de la Défense sous la présidence de François Mitterrand, un spécialiste reconnu de la sécurité internationale, et un transfuge de l’Assemblée nationale membre de Pax Christi France, le mouvement catholique international pour la paix. Bref, que des gens fréquentables !

« Désinventer » la bombe 

Pourtant, c’est à une entreprise de démolition des idées reçues, articulée autour de trois têtes de chapitre, que se livrent les trois trublions. Premier chantier : poser des questions toutes simples, de celles qui fâchent, et s’attaquer aux « fausses certitudes ». Parmi elles, l’idée qu’« on ne peut pas “désinventer” la bombe », autrement dit, revenir en arrière, et faire une croix sur le nucléaire militaire (comme on l’a fait pour les armes bactériologiques et chimiques). L’Afrique du Sud a franchi le pas en 1991, en dépit des lourds investissements consentis. « Le courage politique du président [sud-africain] de Klerk, renonçant à des armes créées pour contrer une menace [communiste] disparue, a permis de “désinventer” la bombe sud-africaine », rappellent les auteurs.

En France, la doctrine officielle fait de la dissuasion nucléaire l’alpha et l’oméga de la défense. En gros, celle-ci repose sur l’idée que le fameux parapluie atomique protège le pays de toute attaque d’envergure, nucléaire ou pas. Mais en est-on si sûr à l’heure où des logiciels malveillants peuvent s’introduire partout et dérégler la mécanique délicate qui gère le nucléaire militaire ? Par ailleurs, face à une attaque ponctuelle de missiles balistiques, la France prendra-t-elle le risque de riposter en utilisant sa force de frappe ? Rien n’est moins sûr, observent les auteurs. Même des sénateurs en conviennent dans un document officiel.

Autre question de base posée par les penseurs iconoclastes : pourquoi la France dispose-t-elle aujourd’hui de 300 têtes nucléaires, contre 348 il y a dix ans ? Est-ce à dire que le contexte international est devenu un peu moins agité malgré la Corée du Nord, l’Iran et quelques autres ? « Le modèle français de dissuasion (est) basé sur la stricte suffisance », affirmait début 2018 le chef de l’État. La notion de « stricte suffisance » est un concept creux, sans valeur, rétorquent les auteurs. « Personne ne sait pourquoi la dissuasion française aurait besoin en 2018 de 300 ogives nucléaires pour assurer sa défense », écrivent-ils. Pourquoi ne pas fixer la barre à 200 ou à 100 ? Question sans réponse…

« Omissions » et « sous-estimations » 

La seconde partie de l’ouvrage est intitulé « Omissions ». C’est un utile panorama de faits avérés mais oubliés dont certains font froid dans le dos. Qui se souvient que dans le milieu des années 1960 un bombardier états-unien explosa en vol au-dessus de l’Andalousie, après une collision, avec ses quatre bombes thermonucléaires ? La dernière, tombée dans la mer Méditerranée, ne sera retrouvée qu’au terme de plusieurs mois de recherches qui mobilisèrent des dizaines de navires de guerre. Qui sait qu’à la même époque, à la suite d’une erreur dans la procédure d’alerte, un Mirage IV français a décollé — cap vers l’Est ! — en emportant une bombe nucléaire à larguer au-delà du rideau de fer ? Seule l’intelligence des pilotes a fait que la mission n’est pas allée à son terme. Qui sait qu’en 2009, deux sous-marins atomiques chargés d’armes, l’un français, l’autre britannique, sont entrés en collision dans l’Atlantique, au large de la Bretagne ? L’« impensable » — pour reprendre le titre du quotidien britannique The Sun, s’était produit ! Qui sait enfin qu’en 1983, en pleine guerre froide, c’est au seul sang-froid d’un officier soviétique que le monde doit d’avoir évité une confrontation nucléaire entre les deux superpuissances ? En dépit de toutes les informations satellitaires (fausses) que cet homme chargé de la défense aérienne recevait, faisant état d’une attaque massive de missiles états-uniens, il choisit de ne pas réagir. L’officier a reçu peu après une décoration au siège des Nations unies.

Dans la dernière partie du livre, intitulée sobrement « Les sous-estimations », les auteurs pointent le doigt sur deux tabous. Le premier concerne le coût de la bombe française. Impossible de le connaître avec précision. « On peut parler d’un véritable déni de démocratie qui masque aux parlementaires la réalité des programmes nucléaires », notent-ils. Eux évaluent à 6 milliards d’euros par an le besoin de financement à l’horizon 2025. Deuxième tabou : l’interminable cycle de vie des équipements nucléaires militaires. En quelques pages bien senties, les trois auteurs rappellent que les dépenses de recherche, de construction et de maintien en conditions opérationnelles du premier sous-marin nucléaire lanceur d’engins, Le Redoutable, ont été « supportées par au moins deux générations ». Et que son démantèlement en occupera plusieurs autres ensuite. Le Redoutable a été construit dans les années soixante, du temps de Gaulle. Mais ce n’est pas avant 2063 — un siècle plus tard ! — que les parties nucléaires du sous-marin, enrobées dans des fûts et en partie décontaminées, pourront être entreposées… pour un temps indéterminé. C’est alors que le nucléaire militaire rejoindra le nucléaire civil.

Auteur Jean-Pierre Tuquoi pour Reporterre

L’illusion nucléaire. La face cachée de la bombe atomique, de Paul Quilès, Michel Drain et Jean-Marie Collin, éditions Charles Léopold Mayer, mai 2018, 172 p., 20 €.

Volti

11 Commentaires

  1. Pas faux. On ferait mieux de reconstuirenos forces armées conventionnelles avec un vrai service national comme en Autriche ou Suisse.
    Les attaques contre les réseaux d’eau, d’alimentation, informatique seront tout aussi efficaces etbien plus économiques.
    RIen n’est protégé ni gardé. Des patrouilles humaines(gendarmerie à cheval, police de la route, etc) pemettraient d’ emêcher un grand nombre d’attaques mais il faut du personnel.

  2. Je n’ai qu’un truc à ajouter pour mettre ce livre et ses auteurs face aux failles de leur point de vue :

    COREE DU NORD. Bref, reporterre n’est pas non plus un site de géopolitique….

  3. Sans compter que le stockage de ces ogives, (et j’en suis mort de rire en attendant pire, devant autant d’inconséquences et de conneries) sont le Plateau de Langres, zone sismique, et le Secteur du Verdon, zone sismique…

    Ils veulent peut être les faire peter en farce ! Et ils diront que c’est la faute à pas de chances, à moins qu’on y retrouve aussi une carte d’identité ou un passeport qui n’aura pas été MI RA CU LEU SE MENT non détruit !

    Sont intelligents les militaires et les z’hommes politiques f’rançais ! Ou alors, serait ce le peuple qui est ultra con…ditionné

    • Salut!

      Je m’étais longtemps interrogé la dessus. Au détour d’une conversation j’ai eu ma réponse:
      La plupart des zones sismiques ( et rien n’empêche que demain elles ne le soient plus, se déplacent etc…) sont excluantes pour la construction de sites industriels à risque ,de part leur nature naturelles et imprévisibles.

      Donc est ce si bête que cela de les stockers dans des endroits où le seul risque est le risque sismique?
      Perso, j’aurai fait pareil, même si cela ne semble pas couler de source, et pourtant, ainsi on s’évite les risques industriels.

      https://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/plugins/wp-monalisa/icons/wpml_bye.gif

  4. Bonjour ADD

    Je ne suis pas tout a fait d’accord avec tes propos, ayant été très proche et ami intime d’Haroun TAZIEFF, nous avons eu l’occasion d’en parler longuement, et pas seulement de volcanisme ou d’aviation, mais bien de séismes, Une zone sismique ne se déplace pas, c’est toute la tectonique des plaques qui se déplace (très lentement) et ce qui est au dessus se déplace avec en principe sauf faille de séparation ou nous avons là écartement et éloignement de 2 voir 3 continents comme avec la faille Atlantique ou les 2 Amériques s’éloignent de l’Europe \ Afrique à raison d’1cm par siècle !

    Dans notre cas, c’est principalement la plaque Africaine qui pousse vers le Nord, exemple : réduction de la largeur du Détroit de Gibraltar, et nos zones sismiques “remontent” ou glissent avec, sauf à ce qu’il y ait une rupture de la roche et c’est là que ça pète ! La destruction du village de Lambesc au siècle dernier en est une preuve, mais déjà oublié après 3 générations… Toute la zone sud france est à risques sismiques, ceux-ci peuvent aussi ensuite se répercuter plus au Nord dans les départements voisins, nul ne peut le prédire, donc le risque existe bien d’avoir enterré des ogives nucléaires en zones actuellement reconnues comme sismiques dont on ignore totalement les possibilités de risque (ou non) par ailleurs, mais n pratiquons pas la politique de l’autruche, à Fukushima aussi ils étaient convaincues que ça n’arriveraient pas…

    Amitiés

  5. Le risque sismique n’est absolument pas un pb pour des bombes atomiques en stockage longue durée. Puisque les systèmes de détonateur/mise à feu sont désolidarisés et stockés à part.

    Haroun TAZIEFF a été ostracisé pour avoir fait des prévisions trop alarmistes sur le réveil de la zone Puy-de-Dôme, cote d’azur.

    Ps: Perso, j’ai toujours apprécié cet homme.
    Ce qui n’était pas le cas, pour l’autre avec son bonnet…

  6. C’est quoi une bombe nucléaire ?

    En quoi une bombe à “fission atomique” (très difficile à réaliser) est-elle davantage une bombe dissuasive qu’une bombe “sale” (très facile à réaliser : explosif conventionnel avec des déchets radioactifs) ?
    Avec des explosifs conventionnels, on sait très bien faire aussi des bombes de très forte puissance.

    Petite remarque en passant ; ne pensez-vous pas que les quelques 2000 “essais nucléaires” n’ont pas servi plutôt à écouler, en douce, des stocks de déchets radioactifs (en provenance de nos centrales) plutôt qu’à peaufiner une arme qui n’a pas, officiellement, à être peaufiner puisqu’elle est déjà, officiellement, opérationnelle depuis les années 40…

      • Mais au total, toutes nations confondues, c’est plus de 2000 essais nucléaires :
        https://fr.wikipedia.org/wiki/Essai_nucl%C3%A9aire

        Ce que j’aimerais qu’on m’explique, c’est que dans cette histoire, on aura eu d’abord le produit fonctionnel et ensuite les essais…
        En 1944 : Hiroshima et Nagasaki… Ce n’était pas des essais… La technologie était maitrisée donc… (ou alors…)
        Et à partir de 1945, on commence les essais… Plus de 2000 au total.
        Bien sûr, comme chaque explosion relargue de la radioactivité, pourquoi ne pas insérer, en douce, divers déchets radioactifs dans ces bombes pour ne pas avoir à traiter les déchets. C’était faire d’une pierre deux coup : développer le produit et se débarrasser de déchets encombrants qu’on ne sait pas recycler ni stocker convenablement….
        Si l’idée effleure mon esprit, pourquoi n’aurait-elle pas effleuré le leur ?

        • Vidéo intéressante des 2045 essais réalisés :
          https://www.youtube.com/watch?v=I9lquok4Pdk
          Evidemment, chaque explosion a ses caractéristiques… Il y a tellement de types de bombes…
          Une seule chose dont je suis à peu près certain : chacune de ces explosions a relargué de la radioactivité. Une chose dont je doute de plus en plus : était-ce à chaque fois des bombes à fission nucléaire ou à fusion nucléaire ? Parmi ces explosions, aucune “bombe sale” (explosif conventionnel, tnt, fioul, bourré de déchets radioactifs)… ??? Vu tous les trésors d’ingéniosité pour faire disparaître ces fichus déchets, je ne serais pas surpris que ces essais servaient (au moins en partie) à ça…
          On n’avait pas besoin de faire ces 2000 essais d’une arme soit-disant dissuasive alors que les deux explosions de Hiroschima et Nagasaki, à elles seules, remplissent totalement leur rôle de dissuasion…

  7. Comme le dit AvocatDuDiable, plus haut, il y a la Corée du Nord. J’ajoute que c’est parce que la bombe ne sert à rien que l’Iran tente de s’en doter et les pays déjà équipés de le dissuader de le faire. Aussi que d’autres pays (Inde, Pakistan, Israël) l’ont développée en douce.
    Si, en plus de la bombe, vous avez un chef d’état qui a toute l’allure d’un psychopathe, il y a des chances que l’effet dissuasif de la bombe fonctionne à plein.

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