Beaucoup refusent d’envisager le tirage au sort, s’imaginant qu’il reviendrait à mettre dans des mains incompétentes, les affaires de la nation. Ce n’est pas tout à fait ça. Marion Bet, nous explique la procédure.
Et si l’on tirait notre président au sort? Pour certains, la proposition n’est pas si incongrue. En tout cas, la question de savoir si la désignation de nos représentants politiques doit passer par la roue de la Fortune connaît un véritable regain d’intérêt: un tel système garantirait de faire fonctionner à plein la démocratie. Si bien que l’idée a fait son chemin dans le programme de certains hommes politiques, à commencer par Jean-Luc Mélenchon, ou autrefois Arnaud Montebourg, qui voulait ouvrir le Sénat à cent citoyens tirés au sort. Quelque nostalgie de l’Antiquité?
L’idée est aussi vieille que les mythes. Dans «L’Iliade», Homère relate la tripartition du monde entre Zeus, Poséidon et Hadès: chacun aura sa province selon la décision du sort. «J’ai obtenu pour moi, après tirage au sort, d’habiter la blanche mer à jamais ; Hadès a eu pour lot l’ombre brumeuse, Zeus le vaste ciel, en plein éther, en pleins nuages»[1] résume Poséidon. Dans «L’Odyssée», au chant IX, lorsqu’Ulysse doit enfoncer le pieu dans l’œil du Cyclope, il ne choisit pas pour l’aider le plus brave de ses compagnons, mais demande qu’on expédie l’affaire à la courte paille: «Ensuite, j’ordonnai à mes gens de tirer au sort / Celui qui oserait avec moi soulever le pieu»[2]. Dans les deux cas, on a sollicité la chance plutôt que la compétence. Un arbitrage comme un autre, qui allait faire florès en politique.
50 citoyens de plus de 30 ans
Le tirage au sort est une réalité centrale en Grèce antique, et un outil commode, permettant de régler des différends et de hâter les prises de décision. La désignation de champions, l’attribution de charges et de responsabilités au sein de la cité, la répartition des biens d’héritage, sont déléguées au bon vouloir de Fortune. A partir du VIe siècle avant J.-C., une fois par an, chacune des dix «tribus» qui composaient alors Athènes, désignait par tirage au sort 50 de ses citoyens âgés de plus de trente ans, puis les envoyait à la Boulè, organe chargé de constituer les lois de la cité – et comparable, dans une moindre mesure, à notre Assemblée nationale ou au Sénat.
La Boulè ne constituait alors nullement un entre-soi, encore moins un «comité des sages» puisque le recrutement par tirage au sort autorisait une grande hétérogénéité de ses membres. Quant aux magistrats athéniens, ils étaient eux aussi partiellement tirés au sort, si bien que n’importe qui pouvait avoir sa place dans l’institution, pour une durée d’un an. N’importe qui? Presque. La dokimasie, examen par lequel on vérifiait la capacité des désignés à s’acquitter de leur future charge publique, éliminait les plus inaptes: ceux qui n’avaient pas l’âge minimum et le cens requis, par exemple, ou ceux qui n’avaient pas la citoyenneté athénienne.
Le tirage au sort ne meurt pas avec la démocratie antique: le procédé gagnera les communes italiennes. A partir de 1328, il est introduit à Florence. La tratta répartit désormais aléatoirement la plupart des charges et des fonctions administratives. Et l’on fait en sorte que les incompétents soient éliminés, dès les premiers tours. Le système sera éprouvé à la fin du XVe siècle, car les classes populaires, qui le soutiennent, doivent tenir tête à l’aristocratie, qui préfère la voie élective. La tendance populaire finira par l’emporter – et le différend aura peut-être confirmé le mot d’Aristote, à savoir qu’il «est considéré comme démocratique que les magistratures soient attribuées par le sort et comme oligarchique qu’elles soient électives»[3].
Égalité parfaite
Autant d’expériences politiques qui fascineront les penseurs des Lumières. A commencer par Montesquieu. Dans «L’Esprit des lois» (1748), il concède que le tirage au sort est «défectueux par lui-même»[4] puisqu’il peut confier d’importantes responsabilités à des incompétents. Mais le philosophe espère qu’un meilleur encadrement du système en limitera les effets indésirables – ne tirer au sort que des citoyens volontaires, par exemple, et les soumettre à un bilan de compétence en fin de mandat. La perspective d’une humiliation inviterait certes à plus de prudence, et «les gens sans capacité» devraient «avoir bien de la répugnance à donner leur nom pour être tirés au sort»[5]. Le procédé enfin a le mérite de limiter les passions négatives: qui pourrait s’enorgueillir d’avoir été désigné par le hasard? Et à l’inverse, qui pourrait être blessé de n’avoir pas été choisi?
Un siècle plus tard, Alexis de Tocqueville proposait l’instauration d’un jury populaire, composé de citoyens désignés au hasard, et destiné à juger les criminels. Le moyen de garantir une égalité parfaite, puisque chacun, en jugeant son voisin, concevra qu’il puisse être jugé à son tour. Notre système judiciaire français semble s’en être inspiré: la cour d’assises actuelle comporte en effet, en plus des magistrats professionnels, des citoyens tirés au sort, et chargés de participer au jugement des crimes.
Pourquoi pas dans le domaine politique? On peut l’imaginer aujourd’hui: des professeurs, des artisans, des commerçants, de Neuilly, Aubervilliers ou Brest côtoieraient nos députés et donneraient leur avis sur l’élaboration des lois…
Il y a des chances, feint de conclure Socrate dans «La République», «que cette constitution soit la plus belle de toutes. Comme un manteau bigarré, orné de toutes les couleurs, ce gouvernement bariolé de tous les caractères semblerait être le plus beau.»[6]
Prise de conscience
Il est difficile de trancher sur les bienfaits ou les méfaits du tirage au sort dans les institutions. On peut objecter qu’il met en péril les notions de mérite et de compétence: reste à savoir si la société est prête à se passer de ces valeurs. Dans «La loterie à Babylone», Jorge Luis Borges imagine une ville où les charges publiques, le statut social, l’argent, mais aussi les punitions, les supplices et les maux sont attribués aux habitants selon les résultats hasardeux d’une loterie: «Naturellement ces loteries échouèrent. Leur vertu morale était nulle. Elles ne s’adressaient pas à l’ensemble des facultés de l’homme, mais seulement à l’espoir»[7].
Une considération sérieuse de ce procédé par la classe politique actuelle révèle en tout cas une prise en compte – ou une prise de conscience – des défaillances de notre démocratie. Elle confirme peut-être aussi, comme le suggérait Jacques Rancière, les insuffisances de notre système représentatif.
A une époque caractérisée par un taux d’abstentionnisme grandissant, où l’on reproche aux élites de se désolidariser des gouvernés, d’alimenter un climat de défiance et de susciter l’envie d’une contre-démocratie, pour reprendre des termes de Pierre Rosanvallon, on peut souhaiter redonner les armes au peuple: qu’il retrouve son rôle d’acteur, et pourquoi pas qu’il joue aux dés.
Auteur Marion Bet pour BibliObs
[1] Homère, «L’Iliade», 15, 185-199, trad. P. Mazon.
[2] Homère, «L’Odyssée», chant IX, vers 331-332, trad. P. Jaccottet, éd. La Découverte.
[3] Aristote, «Politique», IV, 9, 1294 b 7-9.
[4] Montesquieu, «L’Esprit des lois», T.1, livre II, chap. 2.
[5] (Ibid.)
[6] Platon, «La République», livre VIII, 557a.
[7] Jorge Luis Borges, «La loterie à Babylone» in «Fictions», Paris, Gallimard, 1957, p.83.
Voir aussi:
Jacques Rancière : « L’élection, ce n’est pas la démocratie »
Pierre Rosanvallon : “Il y a une grande détresse démocratique”
bonjour
« Mon voisin est pourrit……je l’aime bien….je le cautionne et le soutien dans tous ces actes….je suis aussi pourrit que lui……les résultats obtenus sont des résultats de pourrit….. »
Je garde l’espoir en ce jour plein de soleil…le tirage au sort par une main innocente…avec l’aval de tous….sans hiérarchie verticale….
Bon dimanche
« La guillotine au ministère, puisqu’il paraît faut faire la guerre… Au terrorisme » » (Damien Saez)
« Puisqu’en cette journée de veille d’élection présidentielle,
il nous est interdit de parler de politique,
nous vous proposons de découvrir le magnifique dernier album de Damien Saez,
actuellement en tournée dans toute la France. »
http://www.cercledesvolontaires.fr/2017/04/22/guillotine-ministere-guerre-terrorisme-damien-saez/
<3 :*
Quand je vois ce que fait le « petit peuple » dans les petites mairies, je n’aimerais pas en avoir un comme président !
Source: bibli OBS: LOL
Cette idée stupide du tirage au sort revient régulièrement sur la table, en oubliant toujours les différences fondamentales entre Athènes et sa définition du citoyen qui seul pouvait être tiré au sort et la définition du citoyen version wesh 2017 ripoublique fronçèse.
Maintenant, citer l’odyssée comme exemple d’une organisation politique, c’est quand même aller assez loin dans le débile: le chef était Ulysse, c’était lui qui décidait et son rang de chef n’a jamais été remis en cause. Il a fait tirer à la courte paille pour avoir un volontaire au casse-pipe, comme c’est souvent fait dans les armées.
Bref: arguments courts pour une idée encore plus courte. La solution est d’ultra responsabiliser les élus quels qu’ils soient en les engageant sur leurs biens propres (ou sur leur vie et celle de leur famille, comme, détail oublié dans la présentation, cela avait cours à Athènes).
Ahlalah !!!
Encore une pitoyable, pour ne pas dire lamentable, présentation de l’utilisation du Tirage au sort pour la mise en oeuvre d’une véritable démocratie.
Pour celles et ceux qui désirent approfondir un peu la réflexion, vous comprendrez bien vite qu’il ne s’agit pas de tirer au sort un président de la République, ou de remplacer le système actuel avec des citoyennes et des citoyens tirés au sort.
Ce type d’article fait un tort considérable à ce que peut être le principe de tirage au sort de jurys citoyens intervenant dans les institutions législatives, exécutives et judiciaires de notre société.
Déjà, il s’agit de commencer par une Assemblée Constituante de Citoyennes et Citoyens qui seraient tiré(e) au sort selon les mêmes critères de capacités que pour les jurés de Cour d’Assises.
Que nous proposeront-ils à la fin de leurs travaux sur l’utilisation du tirage au sort afin d’exercer un contrôle citoyen sur nos institutions, nul ne le sait.
Mais il est débile et est une pure désinformation de vouloir faire croire que le tirage au sort va désigner le président, ou le 1er ministre.
Par contre, il permettrait avant tout de mener une véritable réflexion sur le mandat impératif, sur le mandat unique, sur le contrôle citoyen, et surtout sur l’égalité citoyenne …
http://www.dailymotion.com/video/x55swci_damien-saez-mon-pays-je-t-ecris-le-manifeste-l-oiseau-liberte-prelude-acte-ii-album_music