Quand ce sont des banquiers qui s’inquiètent. Partagez ! Volti
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Charles Sannat pour Insolentiae
Mes chères impertinentes, mes chers impertinents,
Jacques de Larosière, est un ancien gouverneur de la Banque de France, l’un des derniers survivants d’un autre temps. Une époque faite de plus de souveraineté, et de banques centrales plus nombreuses… Il fut également Directeur Général du FMI. Sa parole est donc importante, et il se transforme ces derniers jours en « activiste » anti-Draghi… enfin, Jacques de Larosière, n’est pas genre à se trouver sur le haut d’une barricade à jeter du pavé de fausse de monnaie sur le gouverneur de la BCE à Francfort. Tout de même. C’est un grand Monsieur, et son avis doit venir alimenter votre réflexion, car quand un ancien du FMI et de la banque de France vous explique que l’on fait n’importe quoi avec les monnaies, et bien cela a le mérite d’être dit par une « éminence » ayant tous les attributs des « éminences »… donc forcément c’est « plus sérieux ».
Il y a tout d’abord cette vidéo chez nos amis d’Ecorama que vous pouvez regarder. C’est assez limpide.
Pour résumer.
Les banques centrales ont tort d’en rajouter ? demande David Jacquot le présentateur.
« Il faut regarder la situation avec du recul. L’objectif c’est d’avoir une inflation un peu inférieure à 2 % mais proche des 2 %.
Je conteste la manière de fixer ce taux d’inflation.
C’était il y a 20 ans le taux d’équilibre.
Mais aujourd’hui c’est exagéré. Les populations vieillissent, il y a donc moins d’inflation, il y a aussi la globalisation qui est très déflationniste, il y a donc une série de facteurs qui explique que le taux d’équilibre n’est plus de 2 % mais de 1 %. Il ne faut donc pas être aussi doctrinaire.
Epousons le taux d’inflation d’équilibre. Ce taux est autour de 1 %. Trop d’inflation c’est pas bon. Il faut donc la réduire. Mais quand l’inflation d’équilibre est à 1 % et que l’on veut la porter à 2 % contre les forces du marché monétaire on est obligé de faire de la suractivité monétaire.
La politique monétaire négative a des inconvénients.
Elle génère des taux d’intérêt négatifs
des bulles
des entreprise zombies
une incapacité des systèmes de retraite et pension à se financer.
Les inconvénients sont très importants! »
Et bien oui… les taux négatifs ce n’est pas juste le monde merveilleux de Oui-Oui, cela a des inconvénients évidents et cela crée à longs termes nettement plus de problèmes que ceux qu’ils permettent de résoudre à courts termes. Tout le monde le sait.
Pourtant ce qu’il y a de plus pertinent dans l’intervention de de Larosière, c’est que sans avoir l’air d’y toucher, il appuie de manière très subtile exactement là où cela fait mal…
Le taux d’inflation symétrique d’équilibre…
Oui, je sais, si comme ça pendant que vous êtes tranquillement en train de boire votre petit café du matin je vous agresse avec des histoires de taux d’inflation symétrique d’équilibre, vous risquez de tout recracher, ce qui serait funeste pour les personnes qui auraient le tort de partager ce moment avec vous.
Alors, surtout ne vous inquiétez pas, c’est très simple.
Il y a 30 ans on s’est dit « c’est t’y quoi donc à ton avis un taux d’inflation optimal ? » Plein de mamamouchis très com-pétents se sont réunis pendant des heures et des heures, et ils ont pondu la règle de 2 %.
2 % d’inflation c’est impec ! Ni trop, ni pas assez, juste ce qu’il faut.
Sauf que pour de Larosière, faire 2 % d’inflation dans un monde déflationniste c’est débile et c’est un objectif inatteignable, et pour l’atteindre on fait des âneries.
Donc lui dit très diplomatiquement parlant, « hélas gars, c’est la déflation, il faut donc ne pas être doctrinaire, et épouser un nouveau taux d’équilibre »….
Il a raison le Jacquot… quand ça décroît, ça décroît et quand ça veut pas, ça veut pas…
Lettre ouverte publiée sur Bloomberg
On trouvera ci-après un mémorandum sur la politique monétaire de la Banque centrale européenne publié vendredi et signé par les personnes ci-dessous. Jacques de Larosière, un ancien gouverneur de la Banque de France, a partagé leur jugement. Le texte est reproduit dans le format original de leur déclaration.
- Hervé Hannoun, ancien premier vice-gouverneur de la Banque de France
- Otmar Issing, ancien membre du directoire de la BCE
- Klaus Liebscher, ancien gouverneur de la banque centrale autrichienne
- Helmut Schlesinger, ancien président de la Bundesbank allemande
- Juergen Stark, ancien membre du directoire de la BCE
- Nout Wellink, ancien gouverneur de la banque centrale néerlandaise
En tant qu’anciens banquiers centraux et citoyens européens, nous assistons avec une inquiétude croissante au mode de gestion de crise actuel de la BCE. La BCE a mené une politique extrêmement accommodante pendant des années de croissance économique et de stabilité des prix. Le ralentissement récent de l’activité économique, bien que considéré comme temporaire par la BCE elle-même, et les risques liés au Brexit et à la guerre commerciale, ont incité la BCE à reprendre ses achats d’actifs nets et à réduire davantage le taux de dépôt déjà négatif. En outre, la BCE s’est engagée à poursuivre sur cette voie extrêmement accommodante pendant un certain temps encore.
Notre préoccupation concerne en particulier les aspects suivants de la politique monétaire.
- En octobre 1998, le Conseil des gouverneurs a annoncé sa définition de la stabilité des prix, à savoir une augmentation moyenne annuelle du niveau des prix de la zone euro inférieure à 2%. Le Conseil n’a pas du tout changé cette définition dans l’évaluation de sa stratégie de politique monétaire depuis 2003. Ces dernières années, la BCE a de facto modifié la définition initiale de la stabilité des prix en considérant un taux d’inflation de 1,5%, par exemple, comme inacceptable. Depuis des années, la BCE n’a pas réussi à atteindre son objectif qu’elle s’était elle-même fixé, consistant à relever le taux d’inflation de la zone euro à un niveau inférieur à 2%, ce qui, selon l’interprétation de la BCE, semble être un «objectif ». La BCE a essentiellement justifié en 2014 sa politique ultra-souple par la menace de déflation. cependant, il n’y a jamais eu de danger de spirale déflationniste et la BCE elle-même est de moins en moins menacée depuis un certain temps. Cela affaiblit sa logique en visant un taux d’inflation plus élevé. La politique monétaire de la BCE repose donc sur un diagnostic erroné. L’argument fréquemment invoqué selon lequel la BCE violerait son mandat avec des taux d’inflation faibles est tout simplement inexact. Le traité de Maastricht consacre ce mandat, selon lequel le principal objectif de la BCE est de maintenir la stabilité des prix.
- Les considérations actuelles sur la définition du seuil de 2% comme objectif d’inflation symétrique représentent une rupture nette par rapport à une politique axée sur la stabilité des prix. Cela est particulièrement vrai si l’on entend la «symétrie» dans le sens où, après des années de dépassement inférieur à la barre des 2%, une période similaire devrait être utilisée pour permettre un dépassement du taux d’inflation de 2%. Et incidemment, comment, après des années de «politique inflationniste» infructueuse, la BCE entend-elle convaincre le public et les marchés qu’elle parviendra à enrayer l’inflation à un certain niveau à temps?
- Il existe un large consensus sur le fait que, après des années d’assouplissement quantitatif, la poursuite des achats de titres par la BCE n’aura guère d’effet positif sur la croissance. Cela rend difficile la compréhension de la logique de la politique monétaire consistant à reprendre les achats d’actifs nets. En revanche, il est de plus en plus fondé de soupçonner que cette mesure repose sur l’intention de protéger les gouvernements lourdement endettés de la hausse des taux d’intérêt. D’un point de vue économique, la BCE est déjà entrée sur le territoire du financement monétaire des dépenses publiques, ce qui est strictement interdit par le traité.
- Les effets secondaires négatifs des taux d’intérêt très bas ou négatifs de la banque centrale ont été un problème pendant assez longtemps. Dans l’intervalle, ces effets sont prépondérants, comme le souligne la théorie du taux d’intérêt inversé, selon laquelle l’effet recherché des taux très bas est inversé et devient contraignant. L’impact négatif de l’environnement à taux d’intérêt extrêmement bas s’étend du système bancaire à l’ensemble du secteur financier, en passant par les compagnies d’assurance et les fonds de pension. Les effets de redistribution en faveur des propriétaires d’actifs réels créent de graves tensions sociales. Les jeunes générations se considèrent privées de la possibilité de pourvoir à leur vieillesse par le biais d’investissements sûrs portant intérêt. La recherche de rendement augmente artificiellement le prix des actifs à un niveau qui, à terme, risque d’entraîner une correction abrupte du marché ou même une crise profonde.
- Des prêts importants à des taux d’intérêt extrêmement bas maintiennent les banques faibles et – indirectement par le biais de leurs prêts – des sociétés faibles, à flot. Cela se fait notamment par le biais d’opérations de refinancement ciblées à plus long terme (TLTRO), qui ont considérablement augmenté en 2018. Les effets négatifs importants de taux d’intérêt très bas ou négatifs incluent également une «zombification» de l’économie qui, selon l’OCDE et la BRI études, a déjà atteint un niveau considérable dans certains pays et contribue à une croissance plus faible de la productivité.
- En
élargissant et en renforçant ses orientations prospectives, la BCE
s’engage fermement à adopter une politique monétaire ultra souple pour
l’avenir, empêchant ainsi de manière substantielle la sortie de cette
politique.
Il y a dix ans, la politique monétaire de la BCE avait largement contribué à surmonter la grave récession et à consolider la croissance par la suite. Cependant, plus la BCE reste sur sa trajectoire extrêmement accommodante, plus les effets négatifs prévalent. Les taux d’intérêt ont perdu leur fonction de direction et les risques de stabilité financière ont augmenté. Plus la politique de taux d’intérêt extrêmement bas ou négatifs et l’inondation des marchés en liquidités se prolongent, plus le potentiel de recul est grand. En cas de crise majeure, les dimensions de celle-ci seront très différentes de celles que nous avons connues auparavant. Comme les autres banques centrales, la BCE est menacée de la fin de son contrôle sur la création de monnaie. Ces évolutions impliquent un risque élevé pour l’indépendance de la banque centrale – de jure ou de facto.
« En revanche, il est de plus en plus fondé de soupçonner que cette mesure repose sur l’intention de protéger les gouvernements lourdement endettés de la hausse des taux d’intérêt »… Et oui Jacques de Larosière le sait, je le sais, vous le savez.
Le mobile du crime monétaire n’est en aucun cas une histoire fumeuse de taux d’inflation.
Le mobile du crime est une histoire d’insolvabilité généralisée. C’est parce que trop d’Etats de la zone euro ont trop de dettes que la BCE doit se mettre en face pour maintenir les taux bas et éviter l’explosion de la zone euro via une montée des taux considérable et violente si on laissait faire librement les marchés.
Nous tournons depuis 10 ans autour du pot, un pot qui ressemble de plus en plus, en réalité, à un gouffre qui menace de tous nous engloutir.
Il est déjà trop tard, mais tout n’est pas perdu. Préparez-vous !
« Ceci est un article « presslib » et sans droit voisin, c’est-à-dire libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Insolentiae.com est le site sur lequel Charles Sannat s’exprime quotidiennement et livre un décryptage impertinent et sans concession de l’actualité économique. Merci de visiter mon site. Vous pouvez vous abonner gratuitement à la lettre d’information quotidienne sur www.insolentiae.com. »
Source Bloomberg.com ici