Quand Emmanuel Macron veut manipuler une histoire qu’il ne connaît pas…

Une analyse de Jacques Sapir. Le locataire de l’Élysée, prend t-il des « libertés » avec l’histoire, pour justifier sa politique désastreuse, qui n’est pas du tout du goût des français ? Si sa popularité est au plus bas, ce n’est que le chiffre des inconditionnels qui l’ont soutenus, et ça n’aurait pas permis son élection si le système électoral était conçu différemment. Pour les autres, ils l’ont choisi par peur et non par conviction. Partagez ! Volti

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Auteur Jacques Sapir pour Sputnik-News

Img/consommatrice.com

Emmanuel Macron, dans le journal Ouest-France, a indiqué que la période actuelle ressemblerait aux années trente (1). Comparaison n’est pas raison, on le sait. Et l’on voit bien ce qui boite dans cette comparaison, par ailleurs.

La période actuelle ne vient pas après une guerre terrible, celle de 1914-1918, qui fit des millions de morts, et qui — de plus — fit entrer la violence de masse dans les sociétés européennes. Cette guerre, et surtout les traités qui suivirent, avaient laissé de profondes rancœurs dans de nombreux pays. L’impact de cette guerre est capital pour comprendre la montée de mouvements qui n’étaient pas seulement nationalistes (et ce qualificatif ne même convient pas pour définir le nazisme allemand (2)) mais qui portaient en eux des méthodes (groupes de combat, organisation centralisée des diverses classes d’âge) et une idéologie nouvelle.

Car, que ce soit le fascisme italien ou le nazisme allemand (et l’on peut étendre cela au communisme soviétique) avaient pour objectif de créer un « homme nouveau ». A cela, le nazisme ajoute un racisme et un antisémitisme obsessionnel qui imprègne toutes ses actions (3). Rien de tel dans les mouvements actuels que l’on appelle, à tort ou à raison, « populistes » et que l’on qualifie, sans beaucoup d’analyse ou de preuves, de nationalistes. La méthode est claire. Se servir d’un passé terrible pour discréditer des adversaires politiques. Alors, Emmanuel Macron est-il coupable d’une manipulation de l’histoire?

Le rôle de la crise économique

La crise de 1929, cependant, a aussi joué un rôle évident, et ce même si le fascisme italien était déjà installé, dans l’arrivée au pouvoir du nazisme en Allemagne. Alors, le Président français a-t-il raison d’agiter le spectre des « années trente » car il est vrai que nous vivons après une crise importante? Mais, ce spectre, ne l’agite-t-il pas pour justifier des politiques désastreuses?

Car les années trente ne sont pas seulement celles de la montée des mouvements totalitaires. Ce qui est aussi vrai est que la période des années 1930 a joué un rôle décisif dans la maturation des réflexions sur ce que devait être un système international monétaire et commercial. On doit se souvenir que les leçons que Keynes avait tirées des années 1930 allaient dans trois directions (4).

Keynes avait déduit à juste titre des processus du début des années 1930 l’importance capitale de l’alimentation en liquidité du système international. Ceci l’avait renforcé dans son opposition à toute forme d’étalon-or. De fait, aujourd’hui, c’est bien l’Euro qui joue le rôle de l’étalon-or d’antan, en empêchant les pays de réajuster leurs monnaies, et en les obligeant à des politiques meurtrières d’austérité, comme celles, à l’époque, de Brüning en Allemagne (la cause véritable de l’arrivée au pouvoir d’Hitler), de Ramsay MacDonald en Grande-Bretagne, de Pierre Laval en France. S’il y a un parallèle à établir, il est là, dans cette austérité stupide et meurtrière.

De nombreux pays remettent en cause le multilatéralisme et le libre-échange aujourd’hui. Mais il faut comprendre comment Keynes fut conduit à adopter le principe du protectionnisme, lui l’ancien apôtre du libre-échange. Une leçon clairement tirée par Keynes était que le libre-échange avait épuisé son contenu positif au XXe siècle (5). Pour Keynes le protectionnisme permet aussi de rendre impossible des pratiques de concurrence ou de dumping fiscal entre pays voisins.

La troisième direction est que si une coordination entre États est nécessaire, celle-ci ne doit pas empêcher de mener des politiques nationales qui sont les seules légitimes. La question du lien entre responsabilité politique et légitimité est d’ailleurs au cœur de sa conversion au protectionnisme au début des années 1930 (6). Toute architecture de coordination doit donc préserver cette liberté d’action ou être condamné à l’échec. De ce point de vue, le contrôle des changes joue un rôle clé dans les dispositifs imaginés par Keynes.

Ce que l’on devrait tirer d’une comparaison avec les années trente

Si l’on peut établir un parallèle entre la situation actuelle et celle des années trente, c’est bien dans les conséquences désastreuses des politiques économiques qui furent menées dans cette période. Le retour vers le protectionnisme, comme avec entre autres la politique de Donald Trump, et les mesures de réglementation des capitaux, retour dénoncé dans les milieux néo-libéraux (qu’ils soient « sociaux » ou non) comme le début d’un processus devant nous conduire à la guerre, comme dans les années trente, fut au contraire le début des mesures qui permirent de faire face à la crise.

On affirme souvent que les mesures de sauvegarde monétaires et commerciales prises après la crise de 1929 auraient contribué à l’aggraver, provoquant un effondrement du commerce international (7). Mais cet effondrement a des causes différentes. Une étude du NBER montre que les droits de douane (le protectionnisme) n’a eu pratiquement aucun rôle dans l’effondrement du commerce international. Les deux facteurs déterminants furent l’accroissement des coûts de transport et le manque de liquidité (8). La hausse des coûts de transport est aussi signalée dans une autre étude comme la responsable de la contraction des flux du commerce international (9). De plus, l’essentiel de la contraction du commerce se joue entre janvier 1930 et juillet 1932, soit avant la mise en place des mesures protectionnistes dans certains pays. Un événement postérieur à un autre ne saurait en être la cause…

La pratique des dévaluations est, quant à elle, une réponse à la pénurie de liquidités internationales qui s’était manifestée en 1930. Celle-ci oblige de nombreux pays, confrontés à des sorties brutales de devises et d’or induites par la crise des banques américaines et au rapatriement des capitaux qui s’en suit, à tenter de dégager un solde commercial excédentaire à tout prix afin de dégager de cette manière les liquidités nécessaires. Et là, la responsabilité de l’étalon-or est évidente.

Emmanuel Macron prend donc des libertés importantes avec l’histoire. Il veut la manipuler à des fins politiciennes évidentes: éviter une déroute aux prochaines élections européennes. Pourtant, il y aurait eu des choses à tirer de cette comparaison entre la situation actuelle et les années trente. Mais, pour cela, Emmanuel Macron aurait dû sortir de son idéologie européiste, ce dont il est manifestement incapable.

(1) https://www.ouest-france.fr/politique/emmanuel-macron/info-ouest-france-emmanuel-macron-le-moment-que-nous-vivons-ressemble-l-entre-deux-guerres-6045961

(2) W. Sheridan Allen, « The Collapse of Nationalism in Nazi Germany », in J. Breuilly (ed), The State of Germany, Londres, 1992.

(3) M. Burleigh et W. Wippermann, « The Racial State — Germany 1933-1945 », Cambridge University Press, 1991.

(4) J.M. Keynes, « Proposals for an International Currency Union — Second draft, November 18, 1941 » in D. Moggridge (ed.), Collected Writings of John Maynard Keynes, volume XXV, Londres, Mac Millan, 1980, pp.42-66. La première version de ce texte date d’octobre 1941. Il semble que Keynes se soit mis au travail sur ce projet lors de son retour de son voyage aux Etats-Unis en mai 1941.

(5) J.M. Keynes, « National Self-Sufficiency », Yale Review, 1933.

(6) J. Sapir, « Retour vers le futur: le protectionnisme est-il notre avenir? » in L’Economie Politique, n°31, 3ème Trimestre 2006.

(7) C’est la thèse de C.P. Kindleberger, « Commercial Policiy Between the Wars » in P. Mathias et S. Pollard (edits). The Cambridge Economic History of Europe, vol. 8, Cambridge University Press, Cambridge, 1989 ainsi que de H. James, The End of Globalization: Lessons from the Great Depression, Harvard University Press, Cambridge, Mass, 2001.

(8) A. Estevadeordal, B. Frants et A.M. Taylor, « The Rise and Fall of World Trade, 1870-1939 », NBER Working Papers Series, National Bureau of Economic Research, Working Paper 9318, Cambridge, Mass., novembre 2002.

(9) R. Findlay et K.H. O’Rourke, « Commodity Market Integration: 1500-2000 » in M. D. Bordo, A.M. Taylor et J.G. Williamson, (edits), Globalization in Historical Perspective, University of Chicago Press, Chicago, Mich., 2003.

Jacques Sapir via Sputnik

 

Un Commentaire

  1. Il connait l’histoire. Il fait juste semblant de l’ignorer quand cela l’arrange pour atteindre les objectifs fixés par la banque Rothschild.

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