L’historienne Annie Lacroix-Riz :: D'une crise à l'autre : 1929-2008

Une comparaison entre la crise de 1929 et celle que nous vivons actuellement est très utile, non seulement pour la compréhension mais également pour arriver à cerner un peu mieux vers ce quoi nous nous dirigeons inexorablement, une guerre, la troisième tant redoutée. De plus, un rappel des faits est toujours intéressant. Ce n’est pas réjouissant mais je préfère une vision de la vérité plutôt qu’un discours formaté comme ceux qui nous sont proposés à la télévision…

Nous faisons face à la plus grave crise depuis celle de 1929, disent tous les analystes. Mais que fut cette crise de 1929 ? Quelles en sont les origines ? Quelles en ont été les conséquences ? Retour sur une histoire riche en enseignement.

Julien Versteegh
Les causes de la crise de 1929

Annie Lacroix-Riz

Annie Lacroix-Riz. La crise de 1929 est avant tout une crise de surproduction (désigne une production trop importante par rapport à la demande,ndlr) qui se produit au terme des dix ans qui ont succédé la première guerre mondiale qui elle-même avait mis fin à la première grande crise du capitalisme de 1873. La surproduction a entraîné une baisse des taux de profit insupportable pour le capital. Il y avait eu la Première guerre mondiale (1914-1918) qui avait détruit la surproduction, mais pas assez. En 1920-1921, une crise sévère éclate mais dont le capitalisme international et surtout américain se sort en liquidant beaucoup de capital, en augmentant le chômage etc… Suit une période de très intense accumulation du capital qui se traduit par des concentrations énormes. C’est dans le courant des années 1920 que se constituent les plus grands groupes industriels monopolistes qui existent encore aujourd’hui comme l’IG Farben et les Aciéries réunies (Vereinigte Stahlwerke) en Allemagne, etc. Avec comme corollaire un développement du chômage.

Alors pourquoi cela explose en 1929 ? Il s’est produit exactement les mêmes phénomènes qu’aujourd’hui. Cette énorme concentration du capital a développé des moyens gigantesques de production (des usines gigantesques, ndlr) et pesé négativement sur le taux de profit. Ce phénomène a été accompagné par des phénomènes spéculatifs. Rappelons qu’une des caractéristiques du capital, c’est la dissociation du capital argent de la production, revenons au Capital de Marx. Il y a donc eu une énorme spéculation entre 1924 et 1929, entraînant une différence entre le niveau de la production matérielle et le niveau de la spéculation.

Comme aujourd’hui, le facteur financier a été non pas la cause de la crise, mais le facteur déclenchant de la crise.

Par exemple aux États-Unis, quelques secteurs avaient connu une croissance remarquable, les industries neuves, l’automobile, l’industrie électrique. Mais d’autres secteurs étaient morts. Il y avait une surproduction structurelle dans l’agriculture, le charbon était en crise, il y avait du chômage massif dans toutes les vieilles industries, l’industrie textile était malade.

Donc comme aujourd’hui, le facteur financier a été non pas la cause de la crise, mais le facteur déclenchant de la crise. Quand on dit aujourd’hui aux gens que c’est une crise différente parce qu’il s’agit d’une crise boursière, c’est complètement faux. Il s’est produit les mêmes mécanismes de surproduction.

Les conséquences de la crise de 1929

Annie Lacroix-Riz. À un moment donné se pose la question suivante : comment faire pour que les fractions dominantes du capital conservent un taux de profit jugé suffisant ? Cela suppose que les salaires soient réduits de manière drastique et qu’une partie du capital soit détruite. Les petites entreprises ferment et on licencie massivement des travailleurs. La tendance du capitalisme a toujours été d’abaisser le salaire. Mais en période de crise, il s’agit de tendre pratiquement à ce que le salaire soit réduit au maximum. Il y a donc eu une pression formidable sur les salaires qui entraîne une baisse du niveau de vie de 30, 40 % voir plus. C’est ce qui est arrivé dans une série de pays. Marx l’analyse en permanence : une crise se traduit par l’éviction massive de salariés et donc un chômage de masse, ce que Marx appelle l’armée de réserve, qui est un élément majeur de la réduction du salaire.

Il y avait donc des capacités productives gigantesques mais plus de marché. La spéculation s’écroule et la valeur boursière des firmes ressemble à ce qui se passe aujourd’hui. Le capital est alors obligé d’adapter la production à la situation. La production s’arrête, les marchés se restreignent et c’est la boule de neige.

L’Allemagne est alors la plus touchée. Pourquoi ? Parce que l’Allemagne était alors dans la situation des États-Unis aujourd’hui mais dans une moindre mesure. L’Allemagne était un pays qui vivait complètement à crédit, qui avait largement emprunté depuis 1924. Mais au moment de la crise, les prêteurs rapatrient massivement leurs billes et le pays s’effondre par pans.

Autre facteur, l’Allemagne était un gros producteur de biens de productions, ce qui s’effondre le plus vite en cas de crise. C’est ce qui explique aujourd’hui la situation de l’industrie automobile, ou des machines-outils. Tout ce qui ne relève pas de la consommation contrainte, alimentaire, etc… peut s’effondrer dans l’année.

Chiffrer les conséquences de la crise de 1929

Annie Lacroix-Riz. L’Allemagne se retrouve avec un chômage total de 50 % et tout le reste en chômage partiel. En 1932, le pays compte 7 millions de chômeurs totaux.

Aux États-Unis, c’est du même ordre. Les États-Unis font partie de ces pays où le capitalisme est le plus concentré, producteurs de biens de production : c’est là que la chute de la production a été la plus extraordinaire. En deux ans, la production industrielle américaine a baissé du tiers. Même chose en Allemagne.

Le capital a tendance à liquider son marché puisqu’il liquide ses salaires. Plus il liquide ses salaires, plus il compte sur le marché extérieur. Mais comme tout le monde fait la même chose, il n’y a plus de marché. L’Allemagne se retrouve en 1932 avec pour l’essentiel un seul client, l’URSS qui était en pleine santé et qui avait des taux de croissance de 15 à 20 % par an.

Pour le capitalisme, la solution à la crise suppose que les salaires soient réduits de manière drastique.

Et c’est là qu’on comprend la sortie de crise. Le capital qui contrôle l’État exige pour reconstituer les conditions de fonctionnement du capital que les salaires soient complètement écrasés, ce qui est fait par le chômage et par l’action directe sur le niveau des salaires. Il exige que des pans entiers de l’économie soient sacrifiés. Et comme il n’y a plus de marché, qu’il ne lui est plus possible d’ouvrir de marchés pacifiquement, il tente de le faire par la guerre.

La Seconde Guerre mondiale, solution à la crise

Annie Lacroix-Riz. En période de crise, chaque capitaliste essaye de liquider la concurrence des autres en se taillant de nouvelles zones d’exploitation. Comment se taille-t-on de nouvelles zones d’exploitation ? Par la conquête. L’Allemagne a essayé de conquérir le monde, les États-Unis ont essayé de conquérir le monde, l’une et l’autre y sont assez bien arrivés. Et les petits impérialistes essayent de se tailler un petit morceau dans tout ça.

Le capitalisme ne peut gérer la crise que par la guerre générale. La question des peuples est de savoir s’ils vont laisser le capital réduire la crise par la guerre générale. Toute absence de réaction populaire en vue de transformations profondes est une chance de plus donnée à la solution de guerre générale pour réduire la crise.

Réaction des gouvernements

Annie Lacroix-Riz. On dit aux gens un grand mensonge. On leur dit qu’à l’époque, les États ne sont pas intervenus comme aujourd’hui. Mais ils sont intervenus tout de suite, ils ont nationalisé le secteur bancaire. En Allemagne, Heinrich Brüning (catholique), qui est au pouvoir de 1930 à 1932, nationalise de fait le secteur bancaire (qu’Hitler rendra aux banquiers, sans frais, en 1933-1934). Et l’État prend en charge toute une série de secteurs.

Les gouvernements à l’époque ont réagi exactement comme aujourd’hui, en protégeant le grand capital et en accablant les masses populaires.

Le New Deal (plan de relance économique du président américain Roosevelt entre 1933 et 1938) aux États-Unis a été caractérisé d’une part par un financement d’État considérable qui a pesé sur le contribuable seul et d’autre part par la préparation de la guerre. Je signale d’ailleurs que ce qui a fait sortir les États-Unis de la crise, ce n’est pas le New Deal, c’est la guerre.

Le rôle des socialistes dans la crise de 1929

Annie Lacroix-Riz. La social-démocratie a essayé de trouver une solution où elle pouvait. Elle avait très peur des changements profonds. Elle a donc accompagné le capital dans ses tentatives pour résoudre la crise et a accepté la politique du moindre mal. Elle a accepté les baisses de salaires. C’était une stratégie d’accompagnement qui a contribué en Allemagne aux succès d’Hitler.

Dans les pays où le mouvement révolutionnaire était plus important, où il a été capable de susciter une forte résistance de la population, la social-démocratie a dû consentir à la stratégie des Fronts Populaires qui lui a été imposée. Les archives de la SFIO (ancêtre du Parti socialiste français) sont très claires. Il y a des pays où le mécontentement des masses orienté par les forces révolutionnaires a été de nature à faire pression sur la social-démocratie. Toute une fraction d’entre elle restant subjectivement alliée au grand capital et accompagnant ses réorganisation drastique. De Man en Belgique et un certain nombre de secteurs de la social-démocratie se sont ralliés à l’extrême droite fasciste.

La crise actuelle donne la parole au peuple pour trouver la solution la plus rapide compte tenu de ce qui risque de se passer.

Il y a donc eu, en fonction des rapports de force, des stratégies différentes. Mais la stratégie défensive des ouvriers n’a jamais été la réponse spontanée des sociaux-démocrates. La réponse spontanée des sociaux-démocrates, c’est la réponse des pays où ils étaient dominants, c’est-à-dire la réponse allemande. On laisse faire et on essaie de limiter le mécontentement populaire.

Différences et points communs entre la crise de 1929 et la crise actuelle

Annie Lacroix-Riz. On peut faire l’analyse qu’au contraire de ce que l’on raconte aujourd’hui, les circonstances de déclenchement de la crise sont des circonstances tout à fait semblables à celle de 1929.

La grande différence, c’est d’abord que la surproduction aujourd’hui est très supérieure à celle de 1929. Dix ans d’accumulation (1919-1929), ce n’est pas 60 ans d’accumulation (1945-2008).

Donc il y a des chances que, annoncée par toute une série de crise cycliques et/ou périphérique (hors du « centre »), cette crise-ci soit d’une ampleur comme on n’en a jamais vu. Si les mécanismes de formation de la crise sont les mêmes qu’autrefois, la crise d’aujourd’hui est plus grave que la crise des années 1930 qui était elle-même plus grave que celle de 1873. Cela ressemble donc aux précédentes, c’est plus grave que les précédentes et cela donne la parole au peuple pour trouver la solution la plus rapide compte tenu de ce qui risque de se passer.

Alors que des millions de travailleurs perdent leur travail, des millions d’autres perdent leur logement. (Migrant Mother, Dorothea Lange, 1936)

Source: ptb.be

Benji

Un Commentaire

  1. Juste comme ça :

    2008 = crise. 2008 – 11 = 1997 = crise asiatique. 1997 – 11 = 1986 = crise (tchernobyl).
    1986 – 11 = 1975 = à votre avis?

  2. Sinon, merci pour l’article qui n’est pas très rassurant.
    Le peuple n’a pas la parole, c’est les asservis aux élites qui ont la parole…

  3. Il y a quelque chose de totalement illogique dans ce fonctionnement ! A plus on produit, à plus on créé des crises économiques, plus les gens deviennent pauvres…. A tel point qu’il faille déclancher une guerre… C’est totalement débile ! C’est le système entier qu’il faudrait changer ! Parce que même si il y a une nouvelle guerre, ça ne changerait rien au bout du compte, tôt ou tard, on en reviendrait au même… donc, des successions de guerres futures prévisibles ! Un système économique tel que nous le connaissons de sera jamais stable à long terme… ça ne tient pas la route ! Si nous survivons à ce qui se passe au point de vue de la nature, il ne faudra pas oublier…

    • On pensait que la première guerre mondiale serait la dernière d’où le nom de “der des der”, il n’en fut rien, mais celle qui arrive risque d’être effectivement la toute dernière, cela s’annonce terrible!

  4. Très bon article, à faire circuler d’urgence !

    @ Melany: maleureusement, notre systeme actuel est completement illogique, ne serait-ce que par le sacro-saint “taux de croissance”:
    Dans un monde où toute, TOUTE, les quantités de matière première sont connu en quantité fini ( on a du cuivre, du fer, sur terre, mais pas en quantité illimité, donc en quantité fini, précise…), on veut un taux de croissance à, idéalement, 3% de plus que l’année d’avant… c’est exponentiel ! on en arriverait à un moment ou pour faire +3%, il faudrait produire le double de l’année d’avant !
    Illogique !
    Et malheureusement, dans notre système illogique, la guerre est une conséquence prévisible.
    D’ailleur, faudrait faire la distinction entre “logique” et “bon sens”.

    Par contre, on oublie de dire que l’Allemagne de l’époque était contrainte par les vainqueurs de la WW1 de rembourser rapidement. C’était mesures drastiques sur mesures drastiques, rationnement de toute la population, très peu d’éducation (les enfants aidaient les parents, “donc” abrutisation de la population, honte sur l’Allemagne imposé par qui vous savez…
    Puis un jour, un narrateur exceptionnel arrive et dit tout haut: “on peut être fier d’être allemand, je vais vous donner du travail avec une politique de grands travaux, blablabla..”
    Voilà comment on arrive à avoir un dictateur au pouvoir.
    Une grave crise, d’énormes dettes, des ignorants (dans le sens ‘sans connaissance”), un orateur: une guerre.

  5. “Le capitalisme ne peut gérer la crise que par la guerre générale.”
    On va avoir mal aux fesses

  6. Finalement on ne parle jamais du bien être du citoyen et de sa famille…Rien au niveau des ressources ne nous empêche d’arriver à cette politique de bien être. Le seul frein est celui des décideurs, très peu nombreux qui préfèrent sacrifier les peuples pour péréniser leur pouvoir. Ils utilisent les peuples dans leur rivalité avec d’autres acteurs.
    Nous sommes dépendants de criminels psychopates !

  7. Et nous continuons stupidement de voter pour leurs représentants !