Pourquoi la nouvelle réforme des retraites pourrait encore aggraver les inégalités femmes-hommes…

Rien n’est épargné par les réformes du « jupiter ». Ceux qui ne pourront pas capitaliser, seront laissés au bord de la route ?.. Partagez ! Volti

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Nolwenn Weiler pour BastaMag

La réforme des retraites annoncée par le gouvernement pour 2019 pourrait bien exacerber les fortes inégalités qui persistent dans le montant des pensions entre hommes et femmes. En cause : une possible généralisation du système par points au lieu du système par répartition, qui assurait jusqu’ici une solidarité entre carrières complètes et incomplètes, mais aussi entre hauts revenus et bas salaires. Les femmes seront les premières touchées, de même que les travailleurs intérimaires ou à temps partiels, les chômeurs, toutes celles et ceux présentant des carrières discontinues et des revenus injustement maintenus au plus bas.

En France, les femmes retraitées touchent en moyenne 1065 euros par mois, contre 1739 euros pour les hommes. « Leur pension est inférieure de 38,8% à celle des hommes ou, dit autrement, celle des hommes est supérieure de 63,3% à celle des femmes », détaille Christiane Marty, membre de la fondation Copernic, critique du néolibéralisme, et du conseil scientifique de l’association Attac.

Les femmes représentent plus de la moitié des titulaires du minimum vieillesse – environ 800 euros par mois. Et celles qui touchent une pension complète restent minoritaires. Pourtant, les femmes travaillent en moyenne une heure de plus chaque jour que les hommes. Simplement, il s’agit d’un temps de travail en partie non rémunéré, inégalité de la répartition des tâches domestiques oblige [1].

Le président Emmanuel Macron affirme avoir pris acte de ces injustices et promet pour 2019 un système de retraites « juste, unique, transparent », notamment pour protéger au mieux ceux et celles dont les carrières sont « hachées, instables, atypiques » [2]. La réforme en préparation irait-elle dans ce sens ?

Les carrières interrompues pénalisées

Si ses détails ne sont pas encore connus, une certitude semble émerger : nous aurons à faire à un régime de retraite « par points ». De quoi s’agit-il ? Jusqu’à présent, pour percevoir une pension complète – ou « à taux plein » –, il faut avoir cotisé un certain nombre d’années, le montant de la pension étant calculé, dans le privé, sur la base des 25 meilleures années ou, dans la fonction publique, sur le dernier traitement (salaire de base hors prime). Dans un régime « par points », on accumule des points en cotisant tout au long de sa vie active, et pas seulement pendant les « meilleures » années, lorsque le salaire est le plus élevé – ou le moins bas. Au moment de la retraite, les points sont convertis en pension. Le montant de la pension dépendra de la valeur du point décidée par le gouvernement au moment du départ en retraite, en fonction du nombre de retraités et de la conjoncture économique.

Le régime par annuité – en basant le montant de la pension de retraite sur le salaire moyen et la durée de carrière – pénalise d’ores et déjà les femmes. Elle sont en effet nettement moins rémunérées que les hommes au cours de leur vie active – notamment du fait du temps partiel – et elles ont, pour beaucoup d’entre-elles, des carrières interrompues, notamment à cause de la maternité. « Elles sont d’autant plus pénalisées que le salaire moyen pris en compte résulte de la moyenne des 25 meilleures années, au lieu des 10 meilleures années avant la réforme de 1993 », déplore Christiane Marty.

Le système à points sur l’ensemble de la vie active empêche toute équité

Plus le nombre d’années pris en compte est élevé, plus il pénalise les femmes : choisir les 25 meilleures années oblige à retenir davantage de mauvaises années dans des carrières qui sont plus courtes, assorties de salaires plus faibles, et qui ont des périodes de temps partiel. Avec un régime par points ce sera encore pire, puisqu l’intégralité de la carrière sera prise en compte.

« Toutes les années compteront y compris les plus mauvaises », avertit l’Union syndicale Solidaires. Les inégalités entre les sexes seront nécessairement accentuées. Un exemple : la somme des salaires perçus par une femme née entre 1950 et 1960 ne représente que 58 % de celle d’un homme. Sa pension, avec un régime à points prenant en compte l’intégralité de sa carrière, égalerait donc 58 % de celles des hommes, contre 69 % actuellement. Soit un écart de près de 10 points. Pour l’équité promise, il faudra repasser.

L’ensemble des inégalités vont se cumuler à la retraite

« Les salarié-es du secteur privé connaissent déjà le système à points des régimes complémentaires obligatoires de retraite (Agirc et Arrco) dont les résultats sont très aléatoires ! » , souligne l’union syndicale Solidaires [3]. Dans ces deux régimes complémentaires – dont les pensions viennent s’ajouter à la retraite de base de la sécurité sociale pour constituer la retraite globale –, les écarts de revenus entre les femmes et les hommes sont plus importants qu’au sein des systèmes par annuités [4]. « Cela tient à la logique du fonctionnement par points, qui reflètent l’ensemble des cotisations versées tout au long de la vie active, insiste Christiane Marty. L’ensemble des inégalités qui frappent les femmes par rapport aux hommes au cours de leur carrière – inégalités salariales, précarité de l’emploi, temps consacré aux activités domestiques et familiales… – se cumulent au moment du calcul de la pension de retraite.

L’autre raison des ces inégalités accrues par le système à points, c’est l’affaiblissement des dispositifs de solidarité qui permettent de compléter un peu les pensions des personnes qui n’ont pas exercé d’activité professionnelle suffisante pour prétendre à une retraite à taux plein – les femmes, les chômeurs et chômeuses, les accidentés… « Ces dispositifs représentent moins de 7 % de la totalité des montants alloués dans les régimes complémentaires par points, contre 23 % dans l’ensemble des régimes par annuités. »

Individualiser le système

Lors de son discours devant le congrès de Versailles, en juillet dernier, Emmanuel Macron a tenu à faire taire la rumeur selon laquelle le gouvernement voudrait supprimer l’un de ces dispositifs : la pension de réversion, qui permet de toucher une partie de la retraite de son conjoint au moment où il décède. 4,4 millions de retraités en bénéficient, pour un montant total 36 milliards d’euros, dont 90 % sont des femmes. Cette pension constitue le quart de leur retraite, contre à peine 1 % pour les hommes [5]. Si les pensions de réversion seront maintenues, on ignore encore sur quelles bases elles seront calculées.

Il semble bien que l’ensemble de ces dispositifs de solidarité soient dans le collimateur du gouvernement. En mai dernier, le haut-commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, a affirmé qu’il n’y aurait « pas de points gratuits » [6]. Or, la pension de réversion, ou encore l’assurance vieillesse des parents au foyer sont, précisément, attribués gratuitement, dans le cadre d’un système assumant sa part de solidarité, au-delà des cotisations individuelles versées tout au long de la vie active.

De plus, lors des séances de travail avec les partenaires sociaux durant le mois de septembre, la pertinence de l’application du principe de solidarité – qui fonde les systèmes de protection sociale mis en place après la Seconde guerre mondiale – envers les retraités, a été clairement questionnée. « L’idée, c’est de sortir ces dispositifs du système des retraites pour les faire assumer par l’impôt », explique Christiane Marty.

S’attaquer aux inégalités durant la vie professionnelle

« S’il faut continuer à compenser la faiblesse des pensions des femmes, il faut surtout leur permettre de se constituer des retraites dignes de ce nom, prévient Christiane Marty. En intégrant le travail domestique dans le calcul des pensions retraites ? « Si les dispositifs familiaux sont indispensables pour réduire les inégalités de pension entre les femmes et les hommes, ils sont à double tranchant, appuie le syndicat FO. « Ils enferment les femmes dans le rôle de mère en pérennisant l’assignation sociale des femmes aux tâches parentales. Il est donc indispensable de lutter effectivement contre les discriminations professionnelles et d’assurer l’égalité salariale. »

Malgré leurs réussites exemplaires quand elles font des études, les femmes continuent à exercer une activité salariée bien moindre que les hommes : leur taux d’activité plafonne à 67,6 % contre 75,5 % pour les hommes. Leur salaire, tous temps de travail confondus, représente en moyenne 74,3 % du salaire des hommes. Les outils de lutte contre les inégalités dans la vie professionnelle et personnelle sont connus, mais encore trop souvent négligés. On pourrait par exemple condamner les entreprises qui ne respectent pas les obligations légales en matière d’égalité professionnelle à des amendes réellement dissuasives. Ou, comme le suggère Christiane Marty, « instaurer une sur-cotisation patronale sur l’emploi à temps partiel, puisque ces temps partiels sont très profitables aux employeurs, comme l’illustre l’exemple des caissières dans la grande distribution, qui ne travaillent qu’aux heures de pointe ».

L’égalité salariale rapporterait 11 milliards d’euros

Le développement des modes d’accueil de la petite enfance, à un coût abordable, est une autre piste. Pour atteindre l’égalité dans le partage des tâches parentales et domestiques – dont les femmes se chargent encore à près de 70% –, il serait possible de modifier le congé parental de manière à ce qu’il soit partagé de manière égale – et obligatoire – entre les deux parents… Aux grincheux qui s’inquiètent de voir le système totalement déséquilibré par une augmentation des retraites féminines, on peut répondre que l’augmentation du taux d’activité des femmes et de leur salaire permettrait à l’ensemble de la protection sociale de collecter davantage de ressources.

« Si les femmes ont des salaires équivalents à ceux des hommes, ce qui signifie un rattrapage de 25 %, les cotisations « retraite » vont beaucoup augmenter. Et ainsi de suite si leur taux d’activité égale celui des hommes », illustre Christiane Marty. En 2010, à la demande de la CGT, la Caisse nationale d’assurance vieillesse a fait une simulation pour évaluer l’impact de l’égalisation par le haut des salaires entre les sexes. Le gain annuel a été estimé à environ 11 milliards d’euros. Une autre projection, également réalisée à la demande de la CGT par les services de l’Agirc et de l’Arrco, montre que l’égalité salariale entre les femmes et les hommes permettrait un accroissement des cotisations tel que tout déficit serait effacé à l’Arrco. Celui de l’Agirc serait divisé par deux. « Il faut vraiment prendre les choses dans leur globalité, souligne Christiane Marty. Et insister sur le fait que l’émancipation passe pour toute personne par l’autonomie financière. »

Nolwenn Weiler pour BastaMag

Notes

[1Les femmes consacrent au travail non rémunéré une part de leur temps qui est plus du double de celle qu’y consacrent les hommes (24 % contre 11 %). À l’échelle européenne, ces inégalités sont encore plus criantes. Voir notre article à ce sujet.

[2Voir le discours d’Emmanuel Macron devant le congrès de Versailles en juillet 2018.

[3À partir de 2019, l’ARRCO (Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés) et l’AGIRC (Association générale des institutions de retraite des cadres) fusionneront : il n’y aura plus qu’une seule caisse de retraite complémentaire pour l’ensemble des salariés.

[4C’est également le cas d’autres régimes complémentaires « par points » : Ircantec (agents non titulaires de l’État et collectivités publiques), RSI complémentaire (régime spécial des indépendants), ou MSA complémentaire non-salariés (agriculture).

[5D’autres dispositifs de solidarité permettent aux femmes de majorer leurs pensions de retraite : Majoration de durée d’assurance (MDA), qui permet l’attribution de trimestres au titre de l’accouchement et de l’éducation des enfants, ou Assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) qui permet d’acquérir des droits à la retraite pour les personnes qui élèvent un ou plusieurs enfants.

[6Voir l’interview de Jean-Paul Delevoye dans le Parisien.

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