[RussEurope-en-Exil] Guignol ou la décomposition de la « macronie », par Jacques Sapir…

Si au lieu d’être divisée, l’opposition se rassemblait, le « petit roi » aurait du souci à se faire. La faiblesse des uns, fait la force de l’autre. Partagez ! Volti

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Source Les-crises.fr via Crashdebug

Les pitreries qui ont entouré la démission de Gérard Collomb, pitreries somme toutes normales, car nous avions oublié l’origine lyonnaise de Guignol, sont cependant politiquement significatives. La déclaration faite sur le parvis du ministère par le démissionnaire refusé puis accepté aussi.

Cette démission s’inscrit dans une séquence désastreuse mais logique pour Emmanuel Macron dont le pouvoir est aujourd’hui à nu et dont la méthode, mélange d’autoritarisme et de népotisme (ou de clientélisme), ne fonctionne plus. Ils se sont bien envolés les espoirs que certains plaçaient dans son élection. Emmanuel Macron ne doit sa survie politique qu’aux divisions et aux faiblesses de l’opposition.Des démissions significatives

La démission de Gérard Collomb, survenant après celle de Nicolas Hulot signe une crise politique grave. Qu’elle soit niée par Emmanuel Macron et les siens n’y change rien. C’est une crise politique car ces deux ministres, ministres d’Etat par ailleurs, occupaient chacun dans leur registre une place clef dans le dispositif de la « macronie ». C’est une crise politique aussi en raison des déclarations faites par ces personnes.

Nicolas Hulot représentait le ralliement d’une certaine « gauche », énamourée de symboles écologiques, qui venait contrebalancer le tournant de plus en plus réactionnaire de la politique sociale et économique du gouvernement. Cependant, les couleuvres avalées à répétition par Nicolas Hulot ont eu raison de son estomac. Si sa démission, annoncée avec fracas, a pu prendre le Président de la République par surprise, la déclaration qu’il fit en quittant le Ministère est encore plus importante. Dans cette déclaration, il s’en prend nommément aux « lobbys » qui empêcheraient toute action réellement écologique de ce gouvernement. On ne peut mieux dire que ce gouvernement, loin d’agir pour l’intérêt général n’est en réalité qu’à la solde d’une coalition d’intérêts particuliers. Cette démission a incontestablement porté un dur coup à Emmanuel Macron, et le remplacement de Nicolas Hulot par un personnage falot et opportuniste, François de Rugy, n’y a nullement remédié.

La démission de Gérard Collomb, Ministre de l’intérieur est un coup aussi grave, et même plus. Il fut, en son temps, le premier soutien politique de poids de l’ascension politique d’Emmanuel Macron. Il représentait son garant sur les questions d’autorité. Mais, le Ministre de l’intérieur ne taisait plus ses critiques depuis quelques semaines et il dénonçait l’isolement croissant du Président . Il avait annoncé sa démission pour après les élections européennes. Le fait qu’il ait avancé sa décision, provoquant cet épisode digne du théâtre de vaudeville qui a entouré sa démission, montre aussi le désarroi profond d’Emmanuel Macron. Mais, retenons aussi la déclaration faite par Gérard Collomb sur le parvis de son ministère. Dans la mise en garde qu’il prononce pour son futur successeur, il décrit une situation très dégradée, des quartiers vivant de fait hors de la République. Cette situation était connue depuis des années, mais elle était niée, par ignorance ou par projet, par une partie de l’élite politique et en particulier par cette partie qui a soutenu Emmanuel Macron. Elle est désormais dévoilée par le Ministre lui-même. Ici encore, c’est une mise à nu du projet théoriquement porté par le Président.

L’image dégradée d’Emmanuel Macron

L’impact de ces démissions sur le pouvoir « macronien » est dévastateur. Elles renvoient l’image d’un pouvoir incohérent mais surtout à bout de souffle, peinant à trouver des remplaçants à la hauteur. Cet effet provient, bien entendu, de la dégradation profonde de l’image d’Emmanuel Macron dans l’opinion ces derniers mois. Et, cette dégradation de l’image doit beaucoup au comportement, et à ce qu’il révèle de la personnalité, du Président de la République.

Ce n’est pas peu dire que le Président de la République paye sa gestion calamiteuse de « l’affaire Benalla ». Au-delà du problème politique de fond, comment laisser à un homme sans références et sans expériences la gestion de la sécurité du Président par le seul « fait du Prince », au-delà des diverses instructions judiciaires (port d’armes, usurpation de fonction, violence en réunion), Emmanuel Macron n’a jamais su trouver le ton juste pour parler de cette affaire. Sa désastreuse sortie devant les députés « En Marche » avec ces mots « qu’ils viennent me chercher », a construit l’image d’un Président chef de clan, voire chef de groupe mafieux. On aurait pu mettre cela sur le compte de l’inexpérience, ou de l’exaspération, voire des deux, si ce genre de comportements ne se répétaient pas avec régularité.

Ainsi, lors de sa visite à Saint-Martin, île qui fut dévastée par un ouragan il y a un an, une photo a fait scandale, où l’on voit un Emmanuel Macron paradant complaisamment avec deux hommes torses nus, dont l’un est un repris de justice notoire. Une partie de l’indignation, comme le dit très justement André Gunthert vient de ce que ce cliché réactive des réactions racistes. Mais, en fait, le racisme n’est sans doute pas où l’on croit. Très clairement, la diffusion de ce cliché fait partie de la campagne de « communication » d’Emmanuel Macron. Mais, pour cette communication, il n’hésite pas à manipuler et instrumentaliser des anciens délinquants, sans se soucier de ce qu’ils deviendront après son passage. Car la fameuse photo est bien évidemment « posée », et diffusée avec des arrière-pensées politiques évidentes ? En fait, il y a là un immense mépris de classe, mais aussi, un immense fond raciste, le même qui s’exprimait dans la plaisanterie grasse de Macron sur les Comores.

Dernier point, la sortie faite par Emmanuel Macron en visite à Colombey-les-Deux-Églises où il a déclaré que la France se porterait “autrement” si les Français se plaignaient moins et réalisaient leur chance de vivre dans ce pays, et que : «On ne se rend pas compte de la chance immense qu’on a». Ici encore, le propos transpire l’arrogance, dégouline de mépris. Car, les sacrifices demandés aux retraités sont importants, et viennent s’ajouter aux cadeaux fiscaux, directs et indirects fait aux entreprises et au 1% les plus riches de la population. Reprocher aux Français de se plaindre, quand on a soi-même toujours vécu une existence protégée, est d’une indécence rare.

Ces trois incidents, et il y en a d’autres, décrivent un Emmanuel Macron qui s’affranchit des codes de dignité dont on attend qu’ils soient respectés par le Président de la République, qui laisse parler son inconscient où s’exprime tant un racisme basique qu’un racisme de classe (et les deux sont de faits très souvent liés) et dont le vocabulaire ne cesse d’être insultant pour les gens qui ne « sont rien ».

De la perte de la « dignité » comme enjeu politique

Ces déclarations ont largement abîmées tant l’image d’un Président que l’image politique d’Emmanuel Macron. Et la question de la « dignité », et celle-ci a été sérieusement écornée tant lors de la visite dans l’île de Saint-Martin que lors de la « fête de la musique » de juin 2018, nous ramène justement au délitement rapide de l’appareil politique d’Emmanuel Macron. Pour comprendre cela, il faut faire un petit détour par l’histoire romaine.

Dans la loi d’investiture de Vespasien (69-79 de notre ère), la fameuse Lex de imperio Vespasiani, la ratification des actes de l’empereur avant son investiture formelle est dite « comme si tout avait été accompli au nom du peuple ». On perçoit que l’origine de la souveraineté réside dans le peuple, même si ce dernier en a délégué l’exercice à l’empereur. Ainsi, le principe de souveraineté populaire était déjà connu il y a 2000 ans. On peut, assurément, opposer la présence dans cette loi d’investiture d’une clause discrétionnaire, qui autorise l’empereur à agir « hors des lois » dans l’intérêt et pour la majesté de l’État. Paolo Frezza parle de la « potestas nouvelle et extraordinaire » de l’empereur. Bretone, avec d’autres, lui oppose cependant le sens profond de cette clause discrétionnaire, qui peut être l’origine d’un pouvoir autocratique, et conclut : « la subordination du souverain à l’ordre légal est volontaire, seule sa ‘majesté’ pouvant lui faire ressentir comme une obligation un tel choix, qui demeure libre ». De fait, l’empereur réunit dans ses mains tant la potestas que l’auctoritas. S’y ajoute l’imperium, que détenaient avant lui les magistrats républicains. On pourrait croire que cela clôt le débat, car une subordination volontaire n’est pas une subordination. Mais, la phrase de Bretone ouvre une piste que cet auteur n’explore pas. Quand il écrit, « seule sa ‘majesté’ pouvant lui faire ressentir comme une obligation », et l’on rappelle ici que la conception romaine de la « majesté » il y a aussi la notion de « dignité », cela peut signifier qu’un empereur qui violerait les lois existantes pour son seul « bon plaisir » et non dans l’intérêt de l’État, perdrait alors la « majesté » qui accompagne l’imperium. Dans ce cas son assassinat deviendrait licite car le « dictateur » se serait mué en « tyran ». Et l’on sait que nombre d’empereurs sont morts assassinés, ou ont été contraints de se suicider. On pense entre autres à Néron ou à Caligula.

Il n’est pas dans notre intention de souhaiter à Emmanuel Macron le sort de ces empereurs. Mais, la concentration des pouvoirs sur le Président qui découle non, comme on le dit souvent, de la Constitution de la Ve République mais bien de la pratique politique des présidents successifs depuis George Pompidou, une pratique qui nous a fait entrer de plain-pied dans une sorte de VIe République, impose à qui exerce cette fonction, une certaine réserve dans son expression et une certaine dignité dans son comportement. Or, tant l’expression que le comportement d’Emmanuel Macron renvoient bien plus au « bon plaisir » et non à l’intérêt de l’État. Et c’est ici que le comportement individuel et la politique se rejoignent. Le Président de la République est le premier des magistrats. Il doit avoir à l’esprit l’intérêt de TOUS les Français. En s’écartant de cette règle, en établissant son pouvoir sur de la préférence personnelle (Benalla), du clientélisme comme on peut le constater avec le changement dans les règles de nominations des recteurs afin de privilégier une de ses proches, Emmanuel Macron perd ce qui lui reste de légitimité. Il risque d’apprendre bientôt, et à ses dépens, que la légalité sans la légitimité n’est qu’un fétu de paille.

Une crise politique, une crise de régime ?

En dépit donc des dénégations répétées d’Emmanuel Macron, nous vivons bien aujourd’hui une crise politique. La méthode Coué a rarement du succès en politique. Mais, l’incohérence de la politique du gouvernement, gouvernement qui s’avère tous les jours de plus en plus piloté par l’Elysée, conduit aujourd’hui à se demander si nous ne sommes pas au bord de la crise de régime. La perte et le découragement de ses alliés de la première heure est un signe qui ne trompe pas. Le seul espoir que peut conserver Emmanuel Macron tient à ce que l’opposition est toujours divisée. C’est ce qui fait son ultime force.

Mais, qu’Emmanuel Macron le sache, le mépris engendre toujours la haine, et celle-ci conduit bien souvent à la violence. Il doit se convaincre rapidement que seul une dignité de comportement et de parole peut éviter que cette haine ne se concentre sur sa personne, avec les conséquences tragiques que l’on peut en attendre…

Source : Les-crises.fr via Crashdebug

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4 Commentaires

  1. Mais voilà ! l’opposition est dirigée par moult gros egos qui veulent tous avoir le pas sur les autres, alors pas question de se regrouper pour le bien de tous !
    J’ai toujours dit, même dans mon jeune temps, que les « partis » étaient la gale d’une Nation ! plus il y en a plus ça gratte et plus tout va de travers…
    Et le pire c’est qu’il y a pléthore d’inconscients pour les suivre …

  2. La démocratie représentative est un oxymore, ces deux termes sont contradictoires.
    De Platon à Rousseau, un régime représentatif ne peut pas être de nature démocratique. Aux Dix-huitième, il en était encore ainsi.
    Pour s’en convaincre il suffit de lire Sieyès, un des pères fondateurs de notre république : « Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet Etat représentatif ; ce serait un Etat démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants. »
    Ce dernier, chantre du libéralisme économique, avait dans l’idée de créer une constitution, pour la liberté de commerce de la bourgeoisie.

    Les vainqueurs faisant l’histoire, les thermidoriens ayant eu raison des montagnards, le terme de liberté, est comme celui de démocratie évidemment une escroquerie.
    Il n’y a pas de « concurrence libre et non faussée », comme c’est écrit dans les textes de Union européenne, toute concurrence termine nécessairement en monopole.
    Aujourd’hui, cinq centrales d’achats se partagent plus de quatre-vingt-dix pourcents du commerce en France. Et une loi anti trust n’y change rien, Rockefeller en son temps a su passer outre en multipliant ses entreprises, la même technique a été utiliser par l’UMP sarkoziste, pour contourner la loi sur les financements des partis politiques.
    L’Union Européenne n’est qu’un faire-valoir, pour ne pas être responsable de la destruction des acquis sociaux, obtenus depuis le conseil nationale de la résistance, et de la dette pour asservir le peuple.

    C’est donc bien une oligarchie ploutocratique qui se cache derrière le terme de démocratie représentative, et ceci progressivement à partir de 1789. Les partis politiques étant financés, leurs représentants ne sont que des représentants de commerce, d’habiles rhéteurs pour persuader le peuple, qu’il n’est pas apte à s’intéresser aux affaires qui le regarde.
    Les médias relaient cette propagande, étant la propriété de cette même oligarchie ploutocratique. Ils veulent nous faire croire que les économistes de service sont des scientifiques, et qu’ils sont les seuls à comprendre la complexité du système, alors que ce ne sont que des idéologues. Les deux dogmes de l’économie sont, que ce système serait nécessaire, que nous aurions qu’un choix binaire entre le totalitarisme soviétique ou le totalitarisme capitaliste. Et le deuxième dogme serait que la croissance est infinie.
    Leurs excès et leurs démesures, conduisent inéluctablement à la destruction de la vie sur notre planète.

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