Ces prêts qui empoisonnent ceux qui les ont souscrits, c’est à dire les hôpitaux, les collectivités ou les organismes de logements sociaux, mais pas que. Toutes ces structures, ont été trompées sur le bénéfice escompté de ces emprunts.. Anouk Renaud de la CADTM ( comité pour l’abolition des dettes illégitimes) s’est entretenu avec Patrick Saurin, auteur du livre « Emprunts toxiques, une affaire d’état« . Pour comprendre comment ce montage et cette manipulation ont pu se faire..
Carte de France des prêts toxiques (Dexia)
Anouk Renaud (CADTM) : Nous sommes ici pour parler des emprunts toxiques. Ma première question, pas très originale mais qui permet de fixer le sujet est : c’est quoi un prêt toxique ?
Patrick Saurin : Alors un prêt toxique… Il faut savoir que les banques ne les appellent pas comme ça elles parlent « d’emprunt structuré ». Un « d’emprunt structuré » se compose de deux parties. La première partie c’est le financement classique, c’est le fait pour une banque de prêter de l’argent à un emprunteur : une collectivité, un hôpital ou un organisme de logement social pour ce qui nous intéresse. Et la deuxième partie de cet emprunt, le deuxième étage de la fusée, c’est une structure. Une structure c’est un mécanisme qui va déterminer le calcul du taux d’intérêt à partir d’un certain nombre d’indices. Ces indices peuvent être des matières premières, des taux d’inflation, des écarts de taux d’intérêt entre des taux courts à deux ans et des taux longs à dix ans. Ces indices peuvent aussi concerner – comme cela a été souvent le cas – les mouvements de parité entre des monnaies, et tout particulièrement l’écart entre l’euro et le franc suisse. Or, on s’aperçoit que ce type de structure, ce mécanisme de calcul de taux constituent des structures spéculatives puisqu’elles comportent intrinsèquement des multiplicateurs qui peuvent faire varier de quatre, cinq fois voire davantage le calcul du taux. C’est ce qui explique qu’on arrive pour certains de ces emprunts à des taux qui aujourd’hui sont de l’ordre de 25 % d’intérêt. Dans le rapport de la commission Bartolone en 2011 en France |1|, les rapporteur.e.s avaient calculé qu’un emprunt aurait pu dépasser les 130 % à un certain moment.
certains de ces emprunts ont des taux de l’ordre de 25 % d’intérêtEn plus de comporter ces deux parties – le prêt proprement dit et la structure – un emprunt toxique se décompose en deux ou trois périodes. La première période – que Klopfer un analyste des collectivités locales appelle « la tarte aux fraises » – propose un taux fixe, bonifié généralement pendant trois ans environ. C’est un taux qui défie toute concurrence, c’est-à-dire à un taux très très bas. Imaginons que sur une durée de vingt ans, le taux fixe du moment soit de 5 %, la banque va proposer pendant les trois premières années un taux de 2,5 %. Or, quand les commerciaux vont sur le terrain démarcher les collectivités et les hôpitaux ce qu’ils mettent bien en évidence c’est cette première période de trois ans à taux bonifié. Le reste ? Et ben on verra après, après nous le déluge ! Et après on dit : « oui, mais ce n’est pas risqué. Vous verrez, ce sont des prêts tranquilles ». Dexia avait d’ailleurs baptisé certains de ses emprunts structurés « TOFIX » pour induire dans l’esprit du souscripteur de l’emprunt l’idée que c’étaient des emprunts pas risqués du tout. Alors que c’était tout le contraire.
Ces prêts permettent aux banques de marger deux à trois fois plus que les prêts classiquesOn peut se demander « mais pourquoi les banques ont-elles créé ce genre de produits ? Pourquoi ne se sont-elles pas contentées d’utiliser des emprunts classiques à taux fixes ou à taux révisables |2|, qu’elles utilisaient depuis des années et qui marchaient très bien ? Il n’y avait jusque-là pas de risques, pas de problèmes ». Les banques ont créé ce genre de produit parce que ça leur rapporte beaucoup en termes de marge. Le montage spéculatif va faire varier les taux dans des proportions considérables et permet aux banques de marger deux à trois fois plus que les prêts classiques. C’est pour cela, qu’elles ont multiplié ce type d’emprunt, elles ont incité les commerciaux à placer essentiellement ce type de prêt et, plus grave, elles ont demandé aux collectivités et aux hôpitaux de renégocier toute leur dette existante dans ce type de prêt.Je vais prendre un exemple : le Conseil général de Seine-Saint-Denis. C’est un département parmi les plus pauvres de France, où il y a un taux de chômage élevé, où l’aide sociale représente une part importante du budget et lorsque les banquiers ont proposé au Conseil général de renégocier tout l’encours de la dette, ils insistaient sur le fait que la collectivité allait bénéficier pendant trois ans d’un taux bonifié sur la totalité de leur dette. Dans un premier temps, cela faisait gagner pas mal d’argent à la collectivité, qui n’a vu effectivement que les premières années et qui a souscrit la quasi-totalité de sa dette en emprunts toxiques. À l’époque plus de 99 % de la dette du Conseil général était donc composée d’emprunts toxiques. C’est ainsi que les banques ont pratiqué ce qu’elles appelaient la « G2D » : « la gestion de dette » ou « la gestion active de la dette ». Des mots pompeux pour faire croire qu’il y a un savoir derrière et des compétences alors qu’il y a uniquement de la rapacité commerciale. Les banques ont ainsi fait renégocier une part conséquente de la dette existante des collectivités territoriales. C’est pour cette raison qu’on a constaté des niveaux d’encours d’emprunts structurés très importants |3|. De l’ordre de plus de 35 milliards d’euros en 2011, dont 18,8 milliards euros d’emprunts très toxiques, selon le rapport de la commission parlementaire Bartolone.
Anouk : tu nous donnes des éléments d’explication sur pourquoi les collectivités se mettent à contracter ces prêts-là notamment avec les taux bonifiés. Et tu expliques que c’est non seulement des emprunts mais qu’en plus les banques vont essayer de convertir tout l’encours de la dette des collectivités dans ce type de prêt en disant « il faut vraiment en profiter, les taux sont bonifiés, je vous conseille de tout renégocier ». Peux-tu aussi remettre dans leur contexte ces prêts, un contexte de libéralisation du mode de financements des collectivités locales. On le connaît en ce qui concerne l’État, notamment avec les travaux de Benjamin Lemoine qui montrent comment on a privatisé le financement de l’État |4|. Tu montres, dans ton livre |5|, qu’il y a eu exactement ce même processus long concernant le financement des collectivités locales.Patrick : le tournant de la financiarisation de l’économie et du financement des activités remonte aux années 80. On voit se développer partout ce mouvement de financiarisation, y compris en France sous un gouvernement dit de gauche, qui va faire voter des lois extrêmement libérales, notamment la loi bancaire de 1984. Cette loi a créé ce qu’on appelle « la banque universelle » qui permet à un même groupe bancaire de pouvoir exercer toutes les activités. Il n’y a plus de séparation. Par exemple, si je prends un groupe que je connais bien, le groupe BPCE – Banque Populaire Caisse d’Épargne – on trouve réunies dans ce groupe la banque de détail (les caisses d’épargne et les banques populaires) et la banque de financement et d’investissement (Natixis). Désormais tout est lié : les activités de la banque de financement mettent en danger la banque de détail. On l’a vu justement avec Natixis qui après la crise de 2007-2008 s’est retrouvée avec un portefeuille de produits toxiques de près de 50 milliards d’euros. Pour éponger ces pertes colossales, conséquences des activités spéculatives de Natixis, le groupe BPCE a procédé entre 2008 et 2012 à des milliers de suppressions d’emplois.
L’histoire de Dexia est aussi un exemple édifiant pour notre propos. À l’origine, en 1966, on crée en France une structure publique qui s’appelle la CAECL : la Caisse d’Aide à l’Équipement des Collectivités Locales, dont la vocation est de financer les collectivités à des prêts bien sûr sans risque, à taux fixe. Or les choses bougent, notamment suite à la loi bancaire de 1984. En 1987, la CAECL est privatisée et va se transformer en Crédit Local de France, le fameux CLF. En 1991, cette structure privatisée est introduite en bourse. Ensuite, en 1996, l’alliance du CLF avec le Crédit Communal de Belgique donne naissance à Dexia. Enfin, quelques années après, en 2012, c’est la faillite.
Les emprunts toxiques s’inscrivent dans un contexte de libéralisation des marchés, de l’économie où l’on voit les collectivités et les acteurs publics, comme les hôpitaux, de plus en plus incités à recourir à des produits financiers, des emprunts, qui ne sont pas adaptés à leurs missions et ne respectent pas la réglementation. En effet, en France, la réglementation précise que les collectivités locales ne peuvent agir que pour des opérations d’intérêt général présentant un caractère local, et qu’elles ne peuvent engager leurs finances dans des opérations de nature spéculative (cf. les circulaires de 1992 et 2010 |6|) Or, de tels emprunts sont vraiment des opérations spéculatives. Il y a donc eu un glissement d’un endettement à faible coût et encadré par l’État vers un endettement sur les marchés marqué par la volatilité des taux.
Anouk : pour revenir à ces emprunts toxiques, selon toi, quelles sont les grandes caractéristiques d’illégitimité de ces emprunts ?
Il y en a plusieurs. La première pour moi et qui malheureusement n’a pas été relevée par les juges ou n’a été relevée qu’à quelques reprises : c’est le caractère spéculatif de ces emprunts. Par exemple dans le litige qui a mis aux prises la ville de St-Étienne à la banque Royal Bank of Scottland, deux juridictions en France, un Tribunal d’instance et une Cour d’appel, ont considéré que l’emprunt souscrit par la ville de St-Étienne était un emprunt spéculatif au motif qu’il n’y avait pas de plafond au niveau du taux. Lorsque j’évoquais tout à l’heure des taux qui dépassent les 20-25 %, on peut se demander : « et le taux d’usure ? Il y a un taux d’usure en France ». Oui, mais sauf que les banquiers sont malins. Et c’est là qui faut une grosse réforme. Le taux d’usure il ne s’applique qu’au taux fixé lors de la mise en place du contrat, c’est-à-dire uniquement pour la première échéance. Après on peut faire n’importe quoi. Donc on voit bien que les montages des emprunts avec les trois premières années à taux bonifié ne dépasseront jamais le taux d’usure. Par contre, j’ai relevé dernièrement le cas de Nîmes Métropole qui présentait un emprunt dont le taux dépassait 25 %, bien au-dessus du taux d’usure. Mais quand cet emprunt a été souscrit, le taux bonifié de départ ne dépassait pas le taux d’usure de l’époque.
Ensuite, il y a d’autres points : le défaut d’informations et le manquement au devoir de conseil. Chaque employé-e de banque, que ce soit pour des placements ou des emprunts, a pour vocation et pour mission de bien informer son client et de bien le conseiller. Moi en ce qui me concerne, c’est ce que je faisais jouer à la Caisse d’Épargne. Pendant des années, j’ai refusé de commercialiser ces produits alors qu’on m’intimait de les vendre. On me disait : « oui, mais ces produits ils sont validés, ils ont eu l’autorisation de marché donc on peut les commercialiser, pourquoi tu les refuses ? ». C’était un gros argument, car effectivement ces produits étaient conformes à la loi du moment. Moi je pensais qu’ils n’étaient pas conformes de par leur contenu et je refusais de les vendre justement par rapport à mon libre arbitre que je pouvais exercer en fonction du conseil et de l’information de mes clients. Je disais à mes clients : « écoutez, vous avez trois années cadeaux mais après les trois années bonheur vous allez avoir 17 années durant lesquelles on ne sait pas ce que ça va donner ». En plus, il fallait prendre en compte un contexte financier très sujet à modifications brutales, comme on l’a vu régulièrement avec les différentes crises, les différentes bulles qui explosent. Beaucoup de ces emprunts avaient leurs taux indexés sur les parités des monnaies, ce qui présentait des risques très forts. À partir de là, j’avais un argument pour dire : « je refuse de commercialiser ce type d’emprunt, parce qu’il y a un risque ». J’étais entendu par mes clients. Moins par ma direction… [Rires].
Il y aurait d’autres éléments. J’ai fait un papier là-dessus |7| pour récapituler tous les arguments démontrant la nature spéculative, et donc illégale, des emprunts toxiques.
Anouk : forcément, cette affaire a mal tourné, les taux se sont envolés. Si tu pouvais, nous expliquer quelle a été la réponse apportée à ce moment-là par les différents acteurs. Un des principaux acteurs que sont les banques vont notamment proposer de renégocier, réaménager les dettes. En quoi cela ne représente pas une solution et s’avère même un danger supplémentaire pour les collectivités ?
Patrick : on va faire ça progressivement 😉 On part de la faillite de Lehman Brothers en 2007-2008. Conséquence : crise financière généralisée sur la planète. Les taux augmentent et notamment pour ces emprunts qui étaient au cœur du cyclone. À partir de là les emprunteurs, c’est-à-dire les maire.sse.s, les élu.e.s, les directeur.ice.s d’hôpitaux qui s’étaient jamais trop préoccupé.e.s de lire leurs contrats, voyant les taux monter à 10, 15, 20, 25 %, vont taper à la porte des banques en disant : « voilà, ça devient trop important, on ne savait pas que ça allait se passer comme ça. On veut renégocier notre emprunt, on veut baisser le taux ». Et les banques leur disent : « pas question : vous avez signé, vous devez régler ». Et c’est là où le piège se referme : dans chaque contrat on a la possibilité de rembourser l’emprunt de façon anticipée. Mais lorsque les collectivités ont demandé de rembourser par anticipation les emprunts, les banques leur ont réclamé des pénalités qui dépassaient souvent le montant de l’emprunt. J’ai un exemple concret et récent, qui concerne Nîmes Métropole |8|. Cette structure a remboursé en juin 2016 un emprunt de 10 millions d’euros et a dû acquitter, en plus des 10 millions de capital restant à rembourser, une pénalité de 58,6 millions. Ce qui est énorme. Dans un contexte, où les banques privées empruntent à la Banque centrale européenne à 0 % voire – 0,4 %. Sachant que le prêteur, pour Nîmes Métropole, c’est le Crédit foncier qui est une filiale du groupe BPCE, une banque soi-disant mutualiste. On voit bien le caractère spéculatif de ces emprunts et toute l’hypocrisie qui règne dans ce monde bancaire.
Les emprunteurs sont donc très vite dans l’impossibilité de renégocier les emprunts, les banques ne voulant pas faire de remise d’intérêt. Qu’est-ce qui se passe alors ? Les collectivités décident d’attaquer les banques en justice en disant : « voilà, c’est un scandale : ce sont des emprunts spéculatifs ! ». Et elles avancent plusieurs arguments : manquement au devoir d’information, défaut de conseils, voire tromperie. Il y a même des collectivités qui ont attaqué des banques au motif « d’escroquerie en bande organisée », en disant : « on nous vend un emprunt qui s’appelle TOFIX et on s’aperçoit que le taux fixe en question c’est 25 %, alors qu’il était au départ de 2 %. ». Elles ont aussi attaqué sur un motif subsidiaire, en disant : « ces contrats ont un défaut de forme : ils n’ont pas de taux effectif global ou ce taux est erroné ». Le taux effectif global (TEG), pour le dire en quelques mots, c’est un taux qui doit être mentionné obligatoirement dans chaque contrat et même chaque photocopie de proposition de contrat – puisqu’on travaillait beaucoup à l’époque par fax pour ce type de contrat risqué. Le TEG retrace le coût réel de l’emprunt. Or du fait du caractère complexe de ces emprunts, les banques avaient du mal à calculer le TEG ou oubliaient parfois de l’indiquer. Les tribunaux ont commencé à sanctionner les banques en disant : « effectivement le TEG est une mention obligatoire. Il ne figure pas. Je n’annule pas le contrat, j’annule la clause du taux d’intérêt et à la place du taux du contrat, on va appliquer le taux légal ». Le taux légal était en France, à l’époque de ces procès dans les années 2010, de l’ordre de 0,7 %, c’est-à-dire quasiment rien du tout. On se retrouvait dans une situation où les banques perdaient beaucoup d’argent et ce taux légal était même appliqué rétroactivement depuis le début du contrat. Donc on recalculait pour chaque année quel aurait dû être le taux légal perçu par la banque et la banque était tenue de verser aux collectivités le différentiel du surcoût d’intérêts engrangés.
Mais entre-temps, il faut savoir qu’après la faillite de Dexia les gouvernements belge, français et luxembourgeois – surtout belge et français – ont accordé une garantie très importante à Dexia de plusieurs dizaine de milliards d’euros |9|. Et la France de son côté a dû reprendre un portefeuille d’emprunts de Dexia de 90 à 100 milliards d’euros d’encours d’emprunts. Et dans cet encours il y avait bien sûr les emprunts toxiques, puisque Dexia était un gros prêteur aux collectivités en France (elle représentait environ 60/65% de parts de marché des crédits proposés aux collectivités locales). L’État français reprenant l’encours de Dexia dans une structure qui s’appelle la Société de financement local (SFIL) se trouvait finalement responsable des agissements de Dexia. Désormais, quand on attaquait Dexia, c’était l’État que l’on attaquait. Une commission sénatoriale avait évalué le risque de pertes au titre de ces emprunts entre 17 et 20 milliards si les juges maintenaient leur condamnation sur le motif du TEG. L’État a vite fait son calcul. Fin 2013, il a décidé de présenter un projet de loi de validation rétroactive des contrats en supprimant le caractère obligatoire de la mention du TEG. Rétroactivement, cela signifiait que cette loi s’appliquait à tous les contrats passés. Les collectivités ne pouvaient plus gagner devant les tribunaux et celles qui avaient gagné voyaient leur victoire remise en cause. Le conseil constitutionnel saisi de ce projet de loi, l’a déclaré inconstitutionnel à la fin du mois de décembre 2013. Le gouvernement s’est retrouvé bien embarrassé. Alors qu’a-t-il fait ? Il a fait un deuxième projet de loi ! Le même que le premier, en limitant l’aspect « pas nécessaire » du TEG uniquement aux acteurs publics locaux, c’est-à-dire il a laissé de côté les entreprises, les particuliers… Il a dit : « voilà, on reprend le même projet mais ça ne concernera que les collectivités locales, les hôpitaux, etc. tout ce qui est public ». Et là le conseil constitutionnel, alors qu’il aurait dû ne pas le valider – car il y avait un autre élément discriminant puisqu’on laissait de côté tout ce qui concerne la sphère privée a validé cette loi. De ce fait, l’État s’est retrouvé gagnant à chaque fois qu’il passait en justice et tous les procès précédents ont été en quelque sorte annulés puisque l’État pouvait se prévaloir de cette loi rétroactive, c’est-à-dire qui valait pour le passé.
Parallèlement à cette loi, l’État a créé un fonds de soutien pour aider les collectivités à sortir des emprunts toxiques. Initialement doté de 1,5 milliard d’euros, ce fonds a été porté à 3 milliards. Les hôpitaux qui avaient été oubliés dans un premier temps ont reçu une petite enveloppe de 100 millions. On s’est très vite rendu compte là aussi, que c’était insuffisant et on a porté cette enveloppe à 400 millions d’euros. L’État a monté ce dispositif laissant aux collectivités très peu de temps – quelques mois – pour saisir ce fonds de soutien. En fonction de leur taille, du type d’emprunts qu’elles ont souscrits, du volume des encours, de la totalité de leur dette… etc., l’État propose de leur allouer une aide. Si elles acceptent, elles renoncent à engager des actions en justice contre les banques. C’est la condition pour bénéficier du fonds : on renonce à tous ses droits en justice. Si elles renoncent au fonds, elles n’auront droit à rien du tout. Il y a eu un gros chantage. Les préfets ont appelé les élu.e.s pour leur mettre la pression, pour leur demander de souscrire à cette aide. Il y a eu de très fortes pressions, des chantages aux subventions, on peut s’en douter même si on n’a pas les éléments de ce dossier-là. Mais des élu.e.s que j’ai rencontré.e.s, ont témoigné et ont fait part de ce chantage-là, même de ce harcèlement concernant le fait de passer un accord. J’ai même rencontré une avocate qui m’a raconté que le jour du procès, les avocats de Dexia venaient faire du chantage à la personne qui représentait la collectivité qui était en procès contre Dexia. On voit vraiment le caractère mafieux des méthodes pratiquées par les banques et l’État. À ce jour, beaucoup de collectivités ont décidé de passer par ce fonds de soutien |10|. C’est le cas de Nîmes Métropole. Sur les 58,6 millions, la ville va avoir 36,6 millions d’aide du fonds de soutien. On peut se dire, c’est beaucoup. Mais là aussi, il faut regarder concrètement d’où vient l’argent du fonds de soutien. La moitié vient de l’État, c’est des impôts des citoyen.ne.s. L’autre moitié vient des banques. Ah ouais, les banques paient ?! Non, si vous regardez une enquête récente qui a été faite en France par la revue 60 millions de consommateurs |11|, on s’aperçoit que les banques ont procédé à une très forte augmentation des frais bancaires : les frais de traitement, les cartes, les frais de tenue de comptes, les frais de rejet… etc. Finalement, ce fonds de soutien est alimenté par le contribuable avec sa casquette « contribuable national » et avec sa casquette « client bancaire ». Et la partie qui n’est pas prise en charge par le fonds de soutien, pour Nîmes soit 22 millions non pris en charge, c’est la Métropole qui la paye, c’est-à-dire le contribuable local. Les banques ont réussi le tour de force de faire financer la totalité des pénalités par les contribuables, qui vivent en France. Ce sont les particuliers qui supportent l’intégralité du coût de ces emprunts toxiques, dont la responsabilité incombe aux seules banques.
Anouk : cette affaire des prêts toxiques est-elle spécifique à la France ? Ou la retrouve-t-on ou des cas similaires dans d’autres pays ?Patrick : on retrouve des cas similaires dans d’autres pays. Pour ce qui concerne les particuliers, il existe des cas en France de particuliers qui se sont fait avoir sur des emprunts en franc suisse et qui se retrouvent aujourd’hui à devoir rembourser plus d’argent que ce qu’ils ont emprunté ! Ils ont un prêt qui est supérieur à celui qu’ils ont souscrit initialement, du fait justement du caractère spéculatif de ces montages. Et ces montages ils existent aussi dans des pays de l’Est, où on retrouve des particuliers qui sont endettés |12|. On retrouve cela un peu partout. Et pour ce qui concerne les emprunts toxiques aux structures publiques, je donne dans mon livre le cas de collectivités qui ont été embringuées dans ce type de dossier en Italie, au Royaume-Uni et aux États-Unis. Quand Margaret Thatcher a mis en place ses réformes libérales, les structures publiques ont eu de moins en moins d’argent et elles ont fait un petit peu comme le département de Seine-Saint-Denis : elles ont parié leur dette sur les marchés. Deux collectivités (Hammersmith et Fulham, deux arrondissements londonniens) ont joué en bourse leurs dettes et ont perdu des sommes considérables. Il y a eu un procès et le juge n’a pas pu faire autrement que de faire condamner les banques. Il y avait un tel montage spéculatif, qu’il était obligé de les faire condamner. Et puis ça représentait beaucoup d’argent. Et les banques ont payé.
La finance a tendance à diffuser ses propres modèles toxiques de différentes façons un peu partout. Mais la France, reste le lieu où cela a été pratiqué au niveau des structures publiques avec le plus d’intensité quantitativement et méthodiquement.
Anouk : tantôt, tu nous parlais des actions en justice des collectivités contre les banques et comment l’État et ensuite le pouvoir judiciaire leur a coupé l’herbe sous le pied avec cette loi rétroactive qui dit finalement : « non, non, on n’est pas obligé de mentionner le TEG dans les contrats ». Maintenant, il y a d’autres types d’action en justice qui se font et cette fois-ci des actions qui sont menées par des collectifs citoyens, notamment les CAC – des collectifs d’audit de la dette. Est-ce que tu peux nous parler de ces actions judiciaires et nous dire sur quoi elles s’appuient ?
Patrick : on vient de passer en revue les actions menées par les collectivités. Je fais un petit ajout à cet aspect avant de passer aux actions citoyennes. Il reste aujourd’hui en France quatre collectivités qui ont décidé d’aller jusqu’au bout. Ce sont des petites collectivités de quelques milliers d’habitant.e.s. Saint-Leu-la-Forêt, Carrières-sur-Seine, Saint-Cast-le-Guildo, Saint-Dié-des-Vosges, qui ont décidé d’aller devant la Cour de cassation. La Cour de cassation doit rendre un arrêt. Cela devrait se faire courant mai-juin 2018. Vu ce qu’il s’est passé jusqu’à maintenant, on peut ne pas être très optimiste. Mais sait-on jamais ? Si la Cour de Cassation décide de se réveiller et d’appliquer le droit, ce qu’elle est censée faire, c’est son métier, sa vocation, les collectivités devraient gagner.
Concernant les collectifs citoyens, quatre actions sont en cours actuellement en France. De deux natures. Une première action a lieu à Dijon. À Dijon, le CAC est engagé contre les emprunts toxiques depuis plusieurs années et il se retrouve aujourd’hui avec un maire qui s’appelle François Rebsamen qui est l’ancien « ministre du chômage » en France |13| et qui refuse de communiquer les informations qu’il est pourtant tenu de donner. Le CAC l’attaque sous le motif « d’injonction à produire des pièces ». Il réclame les contrats, des tableaux d’amortissement, de tout ce qui concerne les emprunts pour faire un audit de la dette. Parce que le piège par rapport à ces emprunts toxiques, c’est que comme c’est quelque chose qui est scandaleux et qui démontre une mauvaise gestion de la part des élu.e.s, souvent, les élu.e.s vont renégocier en douce des emprunts toxiques et les transformer en emprunt taux fixe ou taux révisable. Ils vont payer l’indemnité, qu’ils vont consolider dans le prêt, donc ce sera ni vu ni connu. Et quand on regarde l’état de la dette on dit : « ah tiens, y’a que du taux fixe ». Sauf que l’on a un taux fixe qui fait par exemple 20 millions, qui a été souscrit il y a deux ans mais qui comprend 10 millions d’emprunt et 10 millions de pénalité et ça on ne le voit pas.
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Interview de Patrick Saurin, propos recueillis par Anouk Renaud pour la CADTM
Sur le sujet:
Dexia : Démocratie Confisquée – Film complet 31 janvier – CADTM Belgique, – Valentin Fayet, – ZinTV
BCE : halte à la collusion avec la finance ! 30 janvier – La France Insoumise
La Cour des comptes et les emprunts toxiques 9 février – Patrick Saurin
[Video] Emprunts toxiques, quelles conséquences aujourd’hui ? 25 janvier – Patrick Saurin, – Public Sénat, – Nora Hamadi
Et toute l’affaire ne fait que commencer ; aux USA un gros millier de milliards US$ (rien que ça !) de prêts au ménages pour des achats d’automobiles sont titrisés. Une belle explosion en perspective avec la hausse des taux d’intérêts mise en place par la Fed qui va créer d’un coup de très nombreux emprunteurs insolvables.
Le coup des crédits immobiliers en 2010 a fait des petits.
https://insolentiae.com/la-nouvelle-crise-le-surendettement-americain-partie-1-ledito-de-charles-sannat/
Dettes d’états, dettes des entreprises, dettes des con-sommateurs…
dans ce monde occidental qui ne crée plus, qui ne produit plus, qui n’a pratiquement plus de ressources ni agricoles ni minières, les vampires du tout puissant Marché n’ont plus d’autre richesse que les dettes.
Ils jouent avec, nous en mourrons.
tous ces « responsables » qui souscrivent des prêts à des conditions désastreuses n’y trouvent-ils
vraiment aucun intérêt « accessoire » ? (genre petits cadeaux d’amitié)
avoue, mais avoue !!!
Bof, t’as pas tort, mais qu’ils soient toxiques ou non, ceux qui les signent au nom de la collectivité y ont souvent un intérêt « quelconque » !
De fait, les escrocs, pardon ! les banquiers, aimeraient substituer la fausse monnaie qu’ils ont créée de toute pièce par de l’argent provenant d’actifs réels et tangibles !
Sauf que ces milliers de milliards de fausse monnaie ne pourront JAMAIS être « épongés » par l’argent provenant des intérêts prélevés sur des valeurs réelles.
Avec cela, ils jouent la « montre » sachant que la seule façon de relancer leur escroquerie est de provoquer une guerre mondiale.
Hors, cette hypothétique guerre mondiale n’est bénéfique qu’au clan des « Rothschild » et ne sert pas les intérêts « Sino-Russe » 😉
Un article très intéressant qui donne un déroulement complet de ce qui s’est réellement passé et permet de comprendre la façon dont les collectivités – et les citoyens- se sont faits roulés.
P.-S. Si vous pouviez éviter l’écriture incluse, ce serait un point très positif.
Parfois, il faut relire deux ou trois fois la phrase avant de la comprendre. Je me suis d’ailleurs arrêté au trois quart de l’article, car cela devenait lassant.
Notez que lorsque j’ai employé ci-dessus le terme « citoyens »… grammaticalement, il a une valeur neutre. Il n’est pas « genré », et ne signifie pas les « hommes citoyens », mais l’ensemble des personnes.
Ne tombez pas dans le piège des féministes extrémistes qui voient le mal partout et veulent « genrer » ce qui ne l’est pas. N’oubliez pas non plus que les ligues extrémistes (Féministes, écologiques, etc.) sont toutes financées et guidées par la Haute finance. Demandez à Georges Soros si c’est vrai ou pas.
** Actuellement, le but du féminisme n’est pas de défendre le droit des Femmes, mais de détruire les hommes… ce qui convient à l’objectif de réduction de la population.
L’Ecriture incluse est le fait du rédacteur de l’article, je n’emploie pas cette aberration « genrée »