On assassine notre sol

Chaque seconde, 26 m2 de terres fertiles se transforment en acier ou en béton, le reste étant empoisonné par l’agrochimie. Un terre grangerfléau bien plus grave que la crise, car si la France ne dispose plus d’un socle viable et durable, fondement de toute civilisation, alors les autres enjeux de société ne seront que chimères. Sauvons le droit du sol.

Voici un livre* que le président de la République, le Premier ministre, le gouvernement, les parlementaires, les chefs de parti, les leaders syndicaux et le patronat, les intellectuels et les philosophes, le corps enseignant, en somme tous les décideurs politiques, économiques et sociaux de ce pays, doivent lire d’urgence. Mais aussi les agriculteurs. Et bien sûr les citoyens un tant soit peu soucieux de leur avenir, pour comprendre que, si les choses continuent comme ça, alors là, oui, nous nous dirigeons tout droit vers le suicide français. Que se passe-t-il de si grave pour susciter une telle frayeur ? Citoyens, le sol de la France se meurt ! Oui, ce qui participe de l’essence de notre pays, le plancher des vaches, se disperse, se ventile, s’éparpille façon puzzle. L’homme qui révèle le scandale s’appelle Frédéric Denhez (on prononce « dan hé »). Un journaliste très renseigné, un brin philosophe, ultralucide quant au désastre qui nous attend si nous ne faisons rien pour sauver cette fine couche de terre sans laquelle il n’y aurait pas de vie sur Terre.

A force de rouler dessus, de le pomper, de le triturer, de le recouvrir de ciment et de ferraille, notre socle national est en train de dépérir. Nos grands lanceurs d’alerte, et nous ne parlons pas de fossoyeurs tels Minc ou Attali, apologistes d’une croissance mondialisée qui aggrave le phénomène, mais des Mélenchon, des Finkielkraut, voire un Plenel, un Zemmour ou un Besancenot, n’ont pas idée de l’ampleur de ce drame fondu dans la nébuleuse des dégâts environnementaux. Sans quoi ils s’en empareraient pour mobiliser les foules et les consciences. Au rythme auquel le mal progresse, à savoir 82 000 ha par an, la France pourrait se retrouver un jour sans terres fertiles, donc sans agriculture naturelle. Le compte à rebours a commencé. Ce qu’il y a de plus alarmant dans ce que dénonce Frédéric Denhez, c’est que le sol est l’élément qui subit, en les catalysant, toutes les dérives, tous les excès et tous les abus de la civilisation.

Depuis la nuit des temps, c’est toujours lui qui paye la facture. La surpopulation, c’est lui qui en est la première victime, la surproduction, la pollution, la surconsommation aussi, l’urbanisme sauvage et galopant aussi, l’extension des centres de loisirs ou commerciaux aussi, les parkings, les gares, les aéroports aussi. Chaque fois que l’homme a besoin de s’étendre, de se développer, de gagner de la place, d’augmenter son expansion, conséquences imparables d’une logique économique basée sur la croissance, c’est sur le sol qu’il le prend. Et la machine à broyer ne s’arrête jamais. Faute de pouvoir aller sur mer, ou si peu, ou dans l’espace, pas encore, c’est donc sur la terre cultivable que progresse cette conquête. D’où la terrible formule que Frédéric Denhez affiche en couverture de son livre : « En France, 26 m2 de terres fertiles disparaissent chaque seconde. » Mais ce n’est pas tout, car pour satisfaire les besoins marchands du productivisme, on sature la terre de produits nécessaires à la surproduction puisque sa régénérescence naturelle ne suffit plus à satisfaire la demande. Cela signifie quoi ? Cela signifie qu’à défaut d’avoir totalement disparu, l’agriculture française sera soit remplacée par des usines à bouffe alimentées par des produits importés de l’étranger, soit intégralement hors sol.

Une horloge naturelle

Comment en est-on arrivé là ? Depuis la nuit des temps, l’homme exploite son sol, puis son sous-sol. Pour le premier, la survie ; pour le second, la richesse, puis l’énergie. Croit-on que ces ressources sont intarissables ? On sait épargner l’eau et l’air, par la technologie, mais l’on n’a jamais pensé à économiser la terre, au contraire. Pour entrer dans le vif du sujet, et bousculer un premier dogme, le premier ennemi de la terre, c’est la charrue. Pas le soc des Gaulois ou des paysans d’autrefois, qui rayait à peine le sol (et encore, les fermiers du Middle West américain ont désertifié des vallées entières au XIXe siècle en labourant leurs terres à outrance), mais celui des tracteurs, puis des gros tracteurs, puis des très gros tracteurs, qui ravagent la terre en profondeur, détruisant inéluctablement, passage après passage, ce fantastique univers souterrain qui fait qu’un champ ou une prairie, rationnellement sollicités, vont pouvoir nourrir des générations entières. Faites passer une fois, dix fois, cent fois, mille fois une lame de métal dans cette galaxie organique et vous finissez par broyer les filaments qui permettent à cette merveilleuse horloge naturelle de donner l’heure. Quand la charrue du rendement industriel a tout massacré, on la remplace par une charrue en molécules.

Fantastique description, par l’auteur, de cette vie du sol, où le règne animal et le règne végétal consolident une chaîne de l’évolution permanente au travers d’une complicité basée sur le ferment. La formule de Lavoisier consacrée par la nature : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. » Tu me manges et en me digérant tu nourris ce qui va me faire naître pour que je puisse un jour profiter de ton cadavre en te redonnant vie.

Certes, c’est de la géophilosophie, n’empêche, cela fonctionne ainsi depuis que le monde est monde. L’agronomie n’est pas autre chose que la science de cette réalité. Ses progrès, tout en respectant la capacité à augmenter les rendements par des méthodes respectueuses de la ressource, n’ont jamais demandé plus que ce que la terre pouvait fournir. Et puis un jour, l’humanité moderne est passée de la culture alimentaire à l’agriculture financière, celle qui double ou triple les rendements du sol pour générer des profits sans lui laisser le temps de se régénérer. La terre n’est plus un réservoir qu’on laisse se reconstituer mais une citerne dans laquelle on pompe plus d’eau qu’il ne pleut. C’est alors que l’industrie chimique a inventé des substances qui remplacent, du fait de les avoir éliminés, les vers de terre et les champignons dont le sol a besoin pour produire l’humus essentiel à l’agriculture. Moins il y a d’humus, plus on met de chimie, et plus on met de chimie, plus le sol s’épuise à force de surproduire en appelant davantage de chimie pour maintenir des rendements artificiels et finalement nocifs. C’est aussi dans cet esprit que l’élevage industriel a inventé des fabriques à viande pour saturer le marché de barbaque hormonée en inondant les rayons de la grande distribution d’infamies alimentaires ravageuses de sols. Quand le serpent néolibéral se mord la queue. Autant d’engrenages sataniques ayant fini par tuer la poule aux œufs d’or. « L’essentiel est invisible pour les yeux», disait Saint-Exupéry. « Pas seulement, répond Denhez, il est même cryptogamique. » Amen.

Un futur sans terre cultivable ?

Redoutable limier, l’auteur décortique, au terme d’un travail de trois ans, les mécanismes qui ont conduit le plus fantastique de tous les potentiels naturels (avec la mer) à s’approcher de la saturation ou de la disparition. Poules aux œufs d’or, disions-nous ? Bien plus encore, car l’équilibre d’un sol, tout ce qui s’y produit, s’y métamorphose, y évolue pour aboutir à ce substrat de la vie terrestre, relève à la fois du miracle naturel et des merveilles de la biodiversité. Et nous, pauvres humains insouciants et barbares, obsédés par nos conforts égoïstes et nos profits mercantiles, qui détruisons, lentement, mais sûrement, la maison qui nous abrite, le plancher qui nous supporte et le limon qui nous nourrit. Car, comme le souligne Frédéric Denhez, l’avenir sans sol, le futur sans terre cultivable, sont tout à fait concevables, il en est même qui défendent cette idée, sauf qu’elle s’appelle l’enfer et qu’elle finit en guerre.

Pourquoi les Chinois et les Saoudiens achètent-ils, partout où ils le peuvent autour de la planète, des millions d’hectares de terres arables, si ce n’est pour avoir du sol ? Quand les profondeurs de la grosse boule ne fourniront plus de quoi alimenter nos machines, nos usines et nos trombines, c’est vers le sol nourricier que l’humanité se retournera. A condition d’en avoir. Et qu’il soit resté nourricier.

Article en intégralité sur Marianne.net

 

13 Commentaires

  1. Beaucoup de vérités en effet que devraient lire ceux qui se précipitent sur leurs tracteurs, les marionnettes qui font illusion, les autres qui tirent ou croient tirer les ficelles.
    Tous nous retournons à la terre de toute façon.
    La nature est une surprise renouvelée à chaque instant. Je ne cesse de m’extasier et de le partager.
    Chacun de nous peut et doit contribuer à la panser, à sa mesure.
    Se décourage t-elle de nos mauvais traitements ?
    Jamais. 🙂

    • bonjour Natacha, moi aussi je m’extasie tous les jours
      de la beauté de la nature et ces trésors en son sein.

      Mais qui sait de nos jours encore s’émerveiller ?
      Qui s’arrête pour observer cette nature ?

      Je sais au fond de moi, que la Terre et toutes ses créatures
      (à part les humains) auront le dessus ! Et cela me rend plus
      sereine de le savoir.https://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/plugins/wp-monalisa/icons/wpml_bye.gif

      • 🙂
        Toujours on doit semer la graine de l’émerveillement … Qu’importe la récolte … Semons l’amour de la nature … 🙂

  2. URGENT ABEILLES l’hécatombe grandie jusqu’à du 100% par ruche et
    EN HIVER du jamais vu ! Or dans un mois c’est la floraison

    faites passer l’info voici plusieurs liens MERCI A TOUS

    1) http://www.linternaute.com/science/biologie/dossier/qui-veut-la-peau-des-abeilles/qui-veut-la-peau-des-abeilles.shtml

    2) Arte http://www.arte.tv/fr/3166056.html

    3) parrainez une ruche
    http://www.linternaute.com/science/biologie/dossier/qui-veut-la-peau-des-abeilles/qui-veut-la-peau-des-abeilles.shtml

    4) même Poutine ALERTE
    http://soocurious.com/fr/la-russie-avertit-les-etats-unis-la-disparition-des-abeilles-provoquerait-une-3eme-guerre-mondiale/

    5,6,7

    Une étude européenne pour évaluer la disparition des abeilles – Science – RFI
    http://www.rfi.fr/science/20140408-une-etude-europeenne-evaluer-disparition-abeilles/

    Les abeilles sous haute surveillance
    http://www.lefigaro.fr/sciences/2014/05/23/01008-20140523ARTFIG00321-les-abeilles-sous-haute-surveillance.php

    Syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles — Wikipédia
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Syndrome_d%27effondrement_des_colonies_d%27abeille

    merci à tous de sensibiliser votre entourage !https://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/plugins/wp-monalisa/icons/wpml_heart.gif

    • Bonjour Dubitatif,

      Nos jours sont compté si les abeilles disparaissent, ainsi que des espèces végétales et animal

      C’est déjà le cas en Chine ou il pollinise à la main, un travail laborieux, coûteux et qui demande beaucoup de main d’oeuvre, on sera peut-être obligé de faire comme ça pour survivre, avenir pas très reluisant

      Disparition des abeilles en Chine-Pollénisation à la main

      http://www.dailymotion.com/video/xcb345_disparition-des-abeilles-en-chine-p_webcam

      • Bonjour Planète Bleu
        un grand merci pour ton lien !
        Des petites abeilles aux plus grands https://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/plugins/wp-monalisa/icons/wpml_rose.gifmammifères sur terre
        et dans les mers, tous souffrent à cause des Hommes.
        Par exemple, la glace se libérant en Antarctique, seul
        endroit « silencieux » pour les baleines, jusqu’ici, cela
        n’est déjà plus le cas ! Le bruit incessant de tous ces
        paquebots transportant des marchandises ou pour chercher
        du pétrole (tous les états du coin se battent pour dire
        « c’est à moi ») et les baleines souffrent à cause de ce bruit
        et.. ne peuvent plus communiquer entre elles.

        C’est l’hécatombe à cause des Hommes dans toutes les
        espèces, il en est de même pour les végétaux qui disparaissent tous les jours par centaines et nous brisons
        cette fragile chaîne…
        biz douce Planète Bleu !

  3. « Tu me manges et en me digérant tu nourris ce qui va me faire naître pour que je puisse un jour profiter de ton cadavre en te redonnant vie » https://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/plugins/wp-monalisa/icons/wpml_mail.gif …on est déjà bien mal barré là, car tout ça est déjà bien niqué https://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/plugins/wp-monalisa/icons/wpml_sad.gif; puisqu’à cause des produits chimiques non seulement la Terre ne donne bientôt plus rien, mais vu que l’on est nous aussi rempli de chimie même de nos corps elle ne veut plus (y’a qu’à demander aux fossoyeurs qui ont constaté que même nos corps ne pourrisse plus en terre)https://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/plugins/wp-monalisa/icons/wpml_wacko.gif.

      • Capsula mundi. 🙂

          • https://http://www.youtube.com/watch?v=Btf_zmovZus 🙂

            Bon choix. Ici et maintenant.
            Le pissenlit illumine les prés de début de printemps. Lève-tôt, il montre aussi la fin du jour en se refermant pour protéger son précieux pollen, il ouvre des fleurs multiples deux fois dans l’année, avant, tout ébouriffé de se livrer au vent et au plaisir des enfants ! 🙂
            Il est excellent en salade … en ce moment, riche en oligoéléments et dépuratif de saison.
            On en fait aussi un vin de couleur qui fait sourire au cœur de l’hiver, des confitures, et tant de choses encore.
            Et puis … le dendellion plaît aux abeilles. Il ressemble au soleil. 🙂
            Pour les racines … hors petites recettes entre gens bien, je te conseille de prendre ton temps. 😉

  4. Quand on apprendra l’éco-citoyenneté à l’école, le respect de l’environnement et l’agriculture biologique. Même si on commençait à ne former que des gens hyper sensibilisés aux problèmes de qualité environnementale, la tâche serait immense pour eux mais si on est déjà pas dans cette démarche la, on peut s’assoir au premier rang du drame et regarder se propager le poison et ses maladies…

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