[Neuropsychologie] Pourquoi les puissants sont corrompus

Donnez du pouvoir à une personne “normale”, et elle en abusera, et cela bien sûr même si elle affirme par ailleurs défendre l’éthique. Mais les puissants sont-ils “normaux” ? Une étude sur 1,3 millions de personnes permet d’y répondre.

Le pouvoir est une bonne drogue : il détruit la perception que l’on a des autres moins puissants tout en nous déculpabilisant de tout ce qu’on leur fait subir.

Le niveau élevé de corruption et de comportements antisociaux omniprésents aux plus haut niveaux incite cependant à se demander : est-ce le pouvoir en lui-même qui corrompt ou attire-t-il surtout des corruptibles ?

Une nouvelle étude de l’Université de Lausanne (Bendahan et al., 2014) permet d’y répondre en allant plus loin que les études usuelles basées sur le priming et en mettant les testés en situation réelle de choix.

Ses résultats sont présentés par un des auteurs (John Antonakis) sur une vidéo (en anglais).

[youtube]http://youtu.be/JoLLPNZLBAo[/youtube]

Les auteurs s’intéressent d’abord à définir la corruption. Ils notent que les définitions données par les dictionnaires se ressemblent, et :

“Nous nous attendons à ce que les individus soient fortement d’accord sur le comportement que devraient avoir les leaders ayant le pouvoir. Ainsi, nous pouvons obtenir une assez bonne mesure de la corruption qui évalue à quel point (a) les leaders utilisent leur pouvoir pour leur gain personnel, et/ou (b) les leaders contreviennent aux normes sociales, comme une fonction du pouvoir, pour leur bénéfice personnel au détriment du bien commun.”
Bendahan et al. (2014)

Pour le pouvoir, les auteurs reprennent la définition de Sturm & Antonakis (2014) :

“avoir les options et les moyens d’imposer asymétriquement sa volonté sur d’autres”
Bendahan et al. (2014)

Ils citent plusieurs études qui montrent que ceux qui ont le pouvoir parviennent très bien à rationnaliser leur situation et les bénéfices qu’ils en tirent. Ils expliquent :

“En d’autres termes, le puissant voit le moins puissant comme ayant moins de valeur et des éléments indiquent aussi que le puissant pourrait même avoir plus de préjugés (Guinote, Willis, & Martellotta, 2010) ; ils ont aussi tendance à stéréotyper les moins puissants (Fiske, 1993; Goodwin, Gubin, Fiske, & Yzerbyt, 2000).”
Bendahan et al. (2014)

Ils notent que le puissant est tellement égocentré qu’il montre une capacité réduite à mettre en perspective les informations et néglige les conseils des autres. Et bien sûr, son comportement est moins éthique.

Et, en synthèse :

“Au global, ces tendances psychologiques impliquent que ceux qui ont le pouvoir peuvent être aveugles aux normes sociales, avoir des comportement socialement inappropriés, se sentir supérieurs aux autres, et échouer à distinguer le bien du mal ; de plus, ceux qui ont du pouvoir vont méjuger les autres et les voir comme des moyens pour atteindre leurs fins (Keltner, Gruenfeld, & Anderson, 2003).”
Bendahan et al. (2014)

L’effet direct du pouvoir

“Power is like being a lady… if you have to tell people you are, you aren’t.”
Margaret Thatcher

Pour modéliser l’effet du pouvoir, les auteurs ont imaginé un système où les actions du puissant en sa propre faveur auront un effet négatif encore plus grand sur les autres. Pour ce faire, de l’argent est ajouté à un pot commun, mais après que le leader se soit servi, plus ou moins d’argent sera remis au pot, plus il en aura pris et moins d’argent sera rajouté (double coût pour les autres).

Ils ont mesuré combien les leaders prenaient selon les règles suivantes :

Tableau de gains : 1 dominé
Tableau de gains : 1 dominé

Les testés pouvaient choisir de prendre l’option par défaut (220 points) et dans ce cas le suiveur obtenait 190 points. Il pouvait aussi choisir d’être “prosocial” en ne prenant que 210 points (–10) et dans ce cas le dominé partait avec autant que lui (+20). Mais il pouvait également être antisocial en prenant 270 (+50), ce qui ne laissait que 130 au dominé (–60).

Ces points n’étaient pas virtuels : ils étaient convertis en valeur financière et les participants sont repartis avec en moyenne $59 (minimum : $35 ; maximum : $98).

La même étude a été faite avec trois suiveurs et même quatre options, selon la grille suivante (attention : erreur dans la 3e colonne de la ligne “Antisocial” : lire 170 au lieu de 130) :

Tableau de gains : 3 dominés
Tableau de gains : 3 dominés

La comparaison entre les comportements avec 1 ou 3 dominés montre que l’augmentation du pouvoir augmente nettement la tendance à être antisocial et à mieux se servir :

Résultats
Résultats

Les raisons de l’exploitation

Les auteurs ont aussi cherché à déterminer l’influence de l’honnêteté et du taux de testostérone circulante[8] sur les choix des puissants.

Honnêteté

Pour mesurer l’honnêteté, les auteurs ont fait passer aux testés le Bix six HEXACO Personality Model (Lee & Ashton, 2004, 2008) qui a déjà permis de montrer des liens entre une faible honnêteté et la triade sombre (psychopathie, narcissisme et machiavélisme : voir Lettre Neuromonaco 27.1). L’hypothèse testée est qu’un plus haut degré d’honnêteté devrait protéger des effets négatifs du pouvoir, et donc influencer le comportement de ceux ayant un haut niveau de pouvoir, mais pas les autres. Ils ont également fait jouer les participants à un Dilemme du Prisonnier (voir Lettre 15 : “Générer la confiance par la Théorie des Jeux”) pour mesurer leur comportement égoïste.

Ils ont aussi interrogé les participants sur le comportement qu’ils attendent d’un leader et comment il doit se comporter, ce qui a montré une très nette préférence pour l’éthique :

Quest-ce quun leader doit faire ?
Qu’est-ce qu’un leader doit faire ?

Comme on le voit, très rares (3%) sont ceux qui recommandent un comportement antisocial…

Mais bien sûr ces bonnes dispositions ne se sont pas montrées pendant le test :

  • 47% des personnes en situation de faible pouvoir ont suivi le comportement qu’elles indiquaient lors du vote, contre seulement 19% des personnes en situation de fort pouvoir.
  • L’honnêteté mesurée préalablement n’avait pas d’influence significative sur le comportement lors du jeu
Effet du niveau de pouvoir
Effet du niveau de pouvoir

Testostérone

Les auteurs citent plusieurs études montrant que la testostérone pourrait avoir un effet. Ils synthétisent :

“En termes simples, les individus à haut niveau de testostérone sont plus mauvais à détecter les pensées et sensations des autres lors d’interactions sociales ; ceci couplé avec l’intérêt accru dans les récompenses et une sensibilité plus faible aux punitions potentielles (…) suggère que les individus à haut niveau de testostérone seront ‘débranchés’ de la sensation de l’impact émotionnel que leurs décisions auront sur d’autres et se concentreront sur la maximisation de leurs profits.”
Bendahan et al. (2014)

Et un effet a bien été trouvé, les personnes à haut niveau de testostérone (mesurée le matin avant tout test) réagissant plus à l’augmentation de leur pouvoir :

Effet de la testostérone
Effet de la testostérone

Synthèse : tous pourris ?

Le pouvoir en lui-même suffit donc à corrompre l’immense majorité des gens, y compris ceux qui s’affirment contre cette corruption, même si certains y seront plus sensibles que d’autres (haut taux de testostérone).

Cependant, comme le signale John Antonakis à la fin de la vidéo, cette étude montre ce qui se passe en cas d’anonymat complet : les participants n’avaient pas à payer le prix de leurs choix. On peut donc imaginer qu’augmenter le coût de la corruption (contrôle et punition) permettrait sans doute de restreindre cet effet.

Source : Neuromonaco

12 Comments

  1. Non,..Les vrais puissants ne sont pas corrompus!
    …Ils sont corrupteurs.

    🙁

  2. La citation de Thatcher est amusante; « Lady » n’est pas le mot qui me vient en premier quand je pense à elle https://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/plugins/wp-monalisa/icons/wpml_whistle3.gif

  3. est une phrase rigoureusement fausse.

    Les gens « normaux » sont naturellement altruistes et ont de la vergogne. Même s’ils ne sont pas catholiques, ou s’ils sont Chinois, Noirs ou Arabes…

    C’est le système d’élection des gouvernants qui est le problème. Il a été instauré par des psychopathes pour que des psychopathes gouvernent.

  4. Déjà je ne pense pas qu’un homme qui n’a pas l’ambition du pouvoir se retrouve au pouvoir car c’est souvent la motivation du pouvoir qui nous mène sur le devant de la scène et nous savons que le pouvoir rythme avec corruption. Pour moi un homme qui veut rester honnête et intègre ne sera jamais au pouvoir.
    Vous connaissez beaucoup d’hommes politiques qui refusent une situation financièrement arrangeante, si ils consentent en contrepartie à créer des lois qui n’arrangent pas la majorité de nos concitoyens ? et comme c’est le cas actuellement.

    Et vous n’entendrez jamais un politique dire qu’il gagne trop d’argent et qu’il faut baisser son salaire car tout le monde doit contribuer à faire des efforts économiques. L’appât du gain rend faible et rend facilement soumettable. Ceux qui ne sont pas d’accords avec les arrangements pot de vin et refuse la politique actuelle, ceux là ne sont pas au pouvoir.

    Il faut enterrer toutes valeurs de partages et d’égalités pour être au pouvoir car c’est un monde à part. La preuve est dans les salaires et avantages mirobolants qu’ils s’octroient alors que leurs travails ne valent pas plus que celui qui construit des bâtiments et qui souffre du froid et du chaud ou de celui qui fait les trois huit dans une usine ou celui qui fait du service à domicile pour arranger ses fins de mois, qui décrète que leur revenue doit-être plus important que le travailleur de la rue qui apporte aussi sa contribution au monde.

    La révolution Française n’a servit à rien et nous sommes toujours au temps de la politique Romaine (à par qu’ils ne complotent plus entre eux pour assassiner le président Hollandus 1er mais que maintenant ils font des lois pour le destituer), à par ça rien a changé, le gars d’en bas est l’esclave et celui d’en haut s’octroie tout les droits, même celui de garder sa place alors qu’il n’a pas payer ses impôts depuis trois ans. Un jour viendra où la sagesse, l’honnêteté, l’égalité, le partage seront au pouvoir mais pas avant que la constitution Française des droits de l’homme et du citoyen soit entièrement respecté et été fait respecté.

    • Déjà… »ILS » ne donnent pas le « pouvoir » à n’importe qui, juste à des zélus…le péquenot n’aura jamais ce pouvoir là, après tout dépend de ce que l’on entend par pouvoir, le narcissite pervers a du pouvoir sur les autres, c’est un manipulateur sociopathe….et curieusement, ce profil semble bien correspondre avec certains au pouvoir en ce moment.
      D’autres ne font qu’effleurer le pouvoir, ils ne l’auront jamais, d’autres encore qui l’ont eu se sont faits suicider pour avoir voulu divulguer certaines choses que nous, moutons bien élevés ne devons pas savoir…c’est un monde normal qu’ils disent…arf arf.

      • Je ne sais plus qui me disait que les jeunes qui rentrent à science po n’ont pas consciences des dures réalités du monde d’en bas, de ceux qui triment durs et gagnent une misère, ceux qui sont obligés de compter le moindre sous pour s’en sortir et ne parlons pas de l’ENA que connaissent-ils des dures réalités de la vie et qu’est-ce qu’on leur apprend concrètement, les valeurs de la démocraties ? sûrement pas !

        Chaque étudiants de l’ENA gagnent 4.000 Euros par mois, ils sortent de 3 ans d’études et continuent à toucher la même sommes. Je ne pense pas que l’on puisse compatir avec les autres si à un moment donner nous n’avons pas été confronté nous même à la misère, à la galère, à compter le moindre sous, à la faim… ces réalités là échappent pour beaucoup à ceux qui ne l’ont pas vécus.

        Pour bien comprendre toute cette magouille politique, je recommande l’excellent le livre de Yvan Stefanovitch « Aux frais de la princesse Enquête sur les privilégiés de la République ».

  5. Avoir le pouvoir c’ est être capable d’ agir sans entrave, pas de pouvoir écraser les autres. “Avoir les options et les moyens d’imposer asymétriquement sa volonté sur d’autres”, ça, c’ est une des définitions de la tyranie. Les dés sont pipés, cette étude n’ aurait pas d’ autre objectif que de tenter -une ennième fois- de culpabiliser la base opprimée, d’ exonérer un sommet oppresseur, et le tout dans un contexte pyramidal favorable au pouvoir oligarchique. Biaisée dès le départ, cette étude est un sophisme! (proposition fausse ayant l’ apparence du vrai). C’ est qui qu’ a payé ?

    Psychologiquement cela ferait aussi sens car, si l’ oligarchie ne se sentait pas coupable, elle ne chercherait pas à reporter ses crimes sur leurs victimes, qui ne lui avaient rien demandé. Quand on a rien à se reprocher, pardi, on en a rien à foutre! Quant à montrer que le « pouvoir asymétrique » corrompt peu ou prou, ben… c’ est une lapalissade, ou une accroche pour tenter de vendre sa salade (dans le rôle d’ un tyran, on devient sûrement abusif).

    Au fait, qu’ est-ce qu’ on mange ce soir ? Une omelette!

  6. Prenons un peu de recul et prenons en compte le salaire un prof d’Uni à Lausanne. Disons 12 000 euros/mois (fourchette basse)…. Et de plus il forme les dominants…

  7. Sarkozy-Kadhafi : la vérité qu’ils veulent étouffer.

    Une corruption étrangère au plus haut niveau de la République.

    Pour étouffer une information, il suffit de ne pas la reprendre. Et le degré d’intensité d’une démocratie se donne à voir dans ces renoncements où des journalistes oublient qu’ils en sont aussi les acteurs et les gardiens, par leur respect sans concession du droit de savoir des citoyens. Il faut donc que la démocratie française soit bien mal en point pour que soit tue la révélation qu’un collège d’experts a authentifié sans aucune réserve un document planifiant une corruption étrangère au plus haut niveau de la République.

    Comme nous l’expliquions dans notre article du 14 novembre (le retrouver ici), les trois experts judiciaires mandatés par les juges Cros et Legrand, renforcés par l’expertise d’une arabisante, ont comparé à celle du document en cause plusieurs signatures de l’ancien chef des services libyens qui avait été entendu par les magistrats au Qatar où il s’est réfugié. Leur conclusion est sans appel : toutes ces signatures sont de la même main, celle de Moussa Koussa. Ce document dont ce dernier confiait déjà, sur procès-verbal, que « son origine, son contenu » n’étaient « pas faux », ne l’est donc pas non plus par sa signature qui est authentique.

    Autrement dit, l’un de ceux dont Nicolas Sarkozy et son entourage brandissaient le démenti lors de la révélation du document (c’est à retrouver ici) est aujourd’hui confondu par la justice française comme étant bien le signataire de cette attestation de l’accord secret franco-libyen.

    Bref, la procédure calomnieuse lancée par l’ancien président contre Mediapart se retourne brutalement contre lui : le faux qu’il évoquait, de meeting en meeting, pour se présenter en persécuté de médias fraudeurs et de juges inquisiteurs, se révèle tout simplement vrai comme nous l’affirmions, attestant ainsi d’un des plus gros scandales qu’ait connus la République au niveau de responsabilité qui fut le sien.

    Dans une démocratie vivante, une telle information s’imposerait évidemment à toute notre vie publique. Les agences de presse, et notamment l’AFP qui remplit une mission de service public auprès de ses abonnés parmi lesquels la presse régionale, l’auraient relayée, faisant savoir qu’une expertise judiciaire confirme l’authenticité d’un document accablant pour l’ex-président de la République. Les autres médias auraient suivi, assaillant de questions Nicolas Sarkozy et son entourage. Et le monde politique, dans sa diversité, aurait été invité à réagir et à commenter.

    Au lieu de cela, rien. Rien de rien. Le lourd silence des démocraties affaissées et affaiblies, ayant renoncé à être exigeantes avec elles-mêmes.

    Sauf à lire Mediapart ou à suivre les réseaux sociaux (voir sous l’onglet « Prolonger » la protestation de Fabrice Arfi, plébiscitée par les internautes), nos concitoyens ne sauront pas que le long feuilleton de l’affaire libyenne a connu un épisode judiciaire décisif qui donne crédit à notre enquête et conforte les faits de corruption qu’elle a mis au jour.

    Il faut parfois se battre pour qu’une information qui dérange des intérêts et des pouvoirs fasse son chemin dans l’espace public. C’est dans cet esprit que, destinataire à mon domicile, par courrier recommandé des deux juges d’instruction, d’une « notification des conclusions d’expertise », j’ai choisi d’en rendre public in extenso le contenu (allégé des annexes).

    C’est une information d’intérêt public sur un scandale d’État. La voici :

    http://www.mediapart.fr/journal/france/171114/sarkozy-kadhafi-la-verite-qu-ils-veulent-etouffer?page_article=2

  8. Avoir le pouvoir sur soi-même, voilà le vrai pouvoir qui élimine les corruptibles et corrompus de tout poil.

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