Les BRICS sont LES pays à surveiller puisqu’ils représentent le bloc qui affrontera les USA et Israël (ainsi que leurs toutous) en cas de conflit majeur au niveau de l’Iran. BRICS est l’acronyme pour Brazil-Russia-India-China-South Africa, en français: Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du sud, de grosses puissance financières que finalement, nous ne connaissons pas tant que cela. Une petite mise au point sur ce qui est vrai (ou non) s’impose donc…
Qu’est ce que l’Afrique du Sud a de commun avec le Brésil, l’Inde, la Chine et la Russie? Ces puissances émergentes incarneraient l’avenir de l’économie mondiale. Un expert des BRICS démêle le vrai du faux.
Les dirigeants du Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud, le 18 juin 2012 au Mexique. REUTERS/Victor RuizLe PIB cumulé des BRICS est aujourd’hui presque égal à celui des États-Unis. Incarnent-ils pour autant l’avenir de l’économie mondiale?
1 – «Les BRICS constituent une catégorie à eux seuls.»
Oui et non. Nul ne remet en doute le fait que les BRICS—le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et le petit dernier, l’Afrique du Sud—sont de grands pays. Ils comptent. En termes de population, de territoire et d’économie, leurs dimensions sont impressionnantes et se distinguent clairement de celles d’autres pays. Ils constituent à eux tous 40% de la population, 25% des territoires et environ 20% du PIB mondiaux. Ils contrôlent déjà quelque 43% des réserves de change mondiales, et leur part ne cesse d’augmenter.
C’est Jim O’Neill, de Goldman Sachs, qui a attiré l’attention sur l’émergence des quatre premières de ces nouvelles grandes puissances économiques en leur donnant le nom de BRIC en 2001, au moment où leur taux de croissance a commencé à monter en flèche. Mais en réalité, leur succès économique se préparait depuis longtemps.
Vingt ans auparavant, quand j’étais à la Société financière internationale (SFI) de la Banque Mondiale, nous guettions une opportunité de rebaptiser ces pays qui, malgré leurs énormes potentiels économiques, étaient encore catalogués en bloc «pays sous-développés» coincés dans le «Tiers-Monde» avec les éternels cas désespérés. À l’époque, pour la plupart des investisseurs internationaux, les marchés financiers du Tiers-Monde n’existaient tout simplement pas, alors même qu’ils commençaient à croître ; je les avais alors baptisés «marchés émergents.» Les investisseurs locaux étaient déjà assez actifs en Malaisie, en Thaïlande, en Corée du Sud, à Taïwan, au Mexique et ailleurs, les entreprises locales prenaient de l’ampleur et devenaient plus compétitives à l’exportation tandis que les régulations du marché devenaient plus élaborées.
Mais jusqu’à ce que la SFI mette en place sa Base de données sur les marchés émergents et son indice en 1981, il n’existait aucun moyen de mesurer les performances boursières d’un groupe représentatif de ces marchés, handicap de taille comparé aux autres indices internationaux faussés en faveur des pays développés comme l’Allemagne, le Japon et l’Australie. Ces toutes nouvelles recherches sur les marchés et les entreprises donnèrent suffisamment confiance aux investisseurs pour lancer des fonds diversifiés sur les marchés émergents, après le succès de fonds individuels dirigés vers des pays comme le Mexique et la Corée du Sud.
Mais il a fallu bien plus longtemps aux BRIC pour être prêt à vivre leur grand soir. Jusqu’au début des années 1990, la Russie était encore derrière le Rideau de fer, la Chine se remettait de la Révolution culturelle et des troubles de la place Tiananmen, l’Inde était encore un cauchemar bureaucratique et le Brésil subissait des accès d’hyperinflation associés à une décennie de croissance perdue.
Ces pays s’étaient débrouillés tant bien que mal à la marge de l’économie de marché mondiale, leurs politiques économiques avaient souvent été tout bonnement catastrophiques et leurs marchés financiers inexistants, bureaucratiques ou infiniment instables. Chacun d’eux dut vivre une crise profonde et potentiellement fatale qui allait les catapulter sur une voie de développement différente. Une fois cela fait, ils puisèrent dans leur vaste potentiel économique. Leur PIB total de près de 14.000 milliards de dollars [près 10.900 milliards d’euros] est aujourd’hui presque équivalent à celui des États-Unis, qu’il dépasse même en parité de pouvoir d’achat.
Mais voilà le problème lorsqu’on se demande s’il faut «compter» avec les BRICS: gros ne veut pas dire unis. Les BRICS font partie du G20 sans pour autant former un véritable bloc ou une unité économique, en son sein ou en dehors. Aucun de ses membres n’est entièrement accepté comme leader, pas même dans sa propre région. L’émergence de la Chine est vue d’un mauvais œil au Japon et considérée avec méfiance en Asie du Sud-Est. L’Inde et la Chine se surveillent étroitement. Si le Brésil est un grand fournisseur de matières premières pour la Chine–c’est du reste l’une des bases de son succès économique— les deux puissances rivalisent pour accéder aux ressources en Afrique. La Russie et la Chine se sont peut-être trouvé une cause commune en Syrie, mais elles sont en concurrence par ailleurs. Et bien que le commerce intra-BRICS s’intensifie rapidement, les pays n’ont pas encore signé un seul accord de libre-échange entre eux.
Et puis il y a l’Afrique du Sud, qui a formellement rejoint ce groupe politique flou en 2010. Intégrer les BRICS n’a pas fait d’elle leur égal: l’Afrique du Sud n’a pas la population, la croissance ou le potentiel économique à long terme des quatre autres. La candidature de l’Indonésie, du Mexique et de la Turquie aurait également semblé logique —tout comme celle de la Corée du Sud et de Taïwan, d’ailleurs, dont les PIB sont comparables mais dont les populations sont de taille bien plus modeste que celle des BRIC originels.
Les BRICS sont également à mille lieues de former un tout d’un point de vue économique. La Russie et le Brésil sont loin devant en termes de revenu par habitant, et battent largement la Chine et l’Inde—près de 13.000 dollars [10.080 euros] comparés aux 5.414 dollars [4.197 euros] de la Chine et aux 1.389 dollars [1.076 euros] de l’Inde selon les chiffres de 2011 du FMI. Et leurs trajectoires de croissance ont été très différentes. En outre, les BRICS doivent affronter une concurrence sévère de la part d’autres pays très dynamiques du monde en développement. Si la Chine et l’Inde ont paru avoir un avantage compétitif pendant un moment grâce à leurs coûts du travail réduits, des pays comme le Mexique et la Thaïlande sont aujourd’hui de retour dans la course. Et tandis que la croissance des BRICS semble ralentir, beaucoup de pays africains reçoivent davantage d’investissements étrangers, sont parfois plus stables politiquement et quittent enfin le camp des croissances lentes ou inexistantes pour celui des économies plus robustes.
2 – «La montée en puissance des BRICS est inexorable.»
C’est vrai, mais leur croissance marque le pas. Les prévisions de Goldman Sachs, entre autres, estiment que la Chine dépassera les États-Unis en termes de PIB avant 2030. En attendant, l’Empire du milieu éclipse les autres BRICS, dont le poids économique global ne devrait pas pouvoir rattraper le sien pendant cette période. Les BRICS vont approcher du poids total des sept économies les plus développées d’ici à 2030, et vers le milieu du siècle, ils devraient pratiquement faire le double.
Les consommateurs des BRICS commencent aussi à rivaliser avec leurs homologues américains en termes de pouvoir d’achat total. Il se vend aujourd’hui plus de voitures, de téléphones portables, de télévisions, de réfrigérateurs et de cognac en Chine qu’aux États-Unis. Même avec une croissance plus lente, le moteur économique des BRICS devrait être plus important que celui des États-Unis ou de l’Union européenne pendant la plus grande partie du XXIe siècle.
Là encore, rien ne garantit que les BRICS puissent maintenir leurs taux de croissance enflammés. Tout comme le développement de leurs économies a pris le monde par surprise ces dix dernières années, le grand choc de la décennie à venir pourrait bien être une croissance moins rapide que prévue. Le Japon, la Corée du Sud et Taïwan ont déjà démontré que les taux de croissance ralentissent une fois un niveau d’industrialisation de base atteint. L’inextinguible soif de «biens» a tendance à se modérer quand les infrastructures de base sont en place et que les consommateurs se mettent à vouloir davantage de soins de santé, d’éducation et de temps libre.
Dans une certaine mesure, c’est déjà ce qui est en train de se passer. Les principaux économistes chinois estiment désormais que la croissance annuelle de la Chine va tomber de 10 à 12% actuellement à 6 à 8% d’ici à la fin de la décennie. Les espoirs de voir l’Inde atteindre une croissance annuelle durable de 8% ou davantage ont été rabaissés à 5 à 6% après que le pays s’est heurté à la barrière de l’inflation et que la production de gaz offshore a déçu les attentes. Le Brésil lutte aussi pour retrouver son exubérante croissance d’avant la crise, tandis que la Russie a été déséquilibrée par les problèmes économiques de l’Europe. Les projections réalisées entre autres par Goldman Sachs ont toujours annoncé des croissances plus lentes pour l’avenir, mais certains enthousiastes n’ont pas lu le contrat jusqu’au bout.
3 – «Les BRICS ont tiré profit de la crise financière.»
Certes, mais pas pour longtemps. Ce ne sont pas les marchés émergents qui ont été à l’origine de la crise financière de 2008. En réalité, les BRICS sont venus à la rescousse des États-Unis, de l’Europe et du Japon terrassés par leurs dépenses excessives, leur imprudence fiscale et leur trop grande dépendance à la production en flux tendu et à une économie de consommation qui s’est rapidement effondrée. Après que les BRICS ont subi leurs propres brèves récessions, dont le déclin a été aussi abrupt que la reprise, la demande des BRICS a contribué à sortir l’économie mondiale de son marasme.
Quand la crise a éclaté, son issue était loin d’être évidente. Le Financial Times avait prévenu (et beaucoup d’investisseurs craignaient) que les systèmes bancaires des marchés émergents succomberaient aux mêmes problèmes financiers gigantesques qui accablaient les États-Unis et l’Europe. Or, l’Asie et l’Amérique Latine avaient tiré les conséquences des crises financières précédentes et avaient mis de l’ordre dans leurs affaires. Les Chinois avaient d’amples réserves pour un plan de relance fiscal qui ne s’est pas seulement avéré d’une ampleur colossale mais qui, contrairement à son homologue américain, a aussi pu débloquer les fonds rapidement.
Les banques centrales des BRICS et celles d’autres marchés émergents ont contribué à l’assouplissement des politiques monétaires à l’échelle mondiale. Sans cela (et sans le rapide plan de relance de la Chine sur son territoire), le plan de relance et l’assouplissement monétaire occidentaux auraient été inadaptés et inefficaces. Grâce à cela, les demandes de matières premières se sont stabilisées et le monde a évité la dépression.
Ces interventions de crise ont cependant eu un coût non négligeable, dont le total n’est pas encore tout à fait clair aujourd’hui. La bulle immobilière, qui a joué un si grand rôle aux États-Unis et dans le sud de l’Europe, n’a pas explosé dans les BRICS. Toutefois, l’inflation a augmenté bien au-delà de la zone de confort des banques centrales chinoise, indienne et brésilienne. Si tout cela n’a pas provoqué de nouvelle crise, cela a pu semer les graines de futurs problèmes. L’histoire économique nous enseigne que la crise suivante vient en général de la région où applaudissements et autosatisfaction étaient le plus bruyants la fois précédente. Si cela s’avère une nouvelle fois, le prochain choc économique viendra fort probablement des BRICS.
4 – «Les BRICS défient toute concurrence.»
Non. Certes, les BRICS ont profité, plusieurs décennies durant, d’une main-d’œuvre bon marché, d’une productivité plus élevée, d’investissements massifs (mais loin d’être généralisés) dans les infrastructures et l’éducation, et d’une volonté farouche de rattraper leurs concurrents plus riches. Leur métamorphose a été exceptionnelle: avec des populations plus aisées, les marchés intérieurs sont enfin devenus attractifs, les échanges Sud-Sud ont explosé et de grandes entreprises qui produisaient autrefois des biens bas de gamme se sont muées en producteurs de dimension mondiale de smartphones, de semi-conducteurs, de logiciels et d’avions. Le chinois Lenovo a devancé IBM dans le secteur des PC; des brasseurs du Brésil et d’Afrique du Sud se sont hissés aux premières places à l’échelle de la planète. Comme ce fut les cas pour les Russes après Spoutnik, et pour les Japonais dans les années 1980, les BRICS sont devenus des concurrents aussi remarquables que redoutés, même si certaines des craintes quant à leur montée en puissance étaient exagérées.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Le gaz de schiste, peu cher et abondant, draine de nouveaux investissements aux États-Unis et offre aux industries énergivores un renouveau de compétitivité. Cette source d’énergie pourrait en effet faire apparaître comme trop coûteux les forages russes en Arctique et l’exploitation du pétrole « pré-sel » brésilien. Par ailleurs, la stagnation des salaires aux États-Unis concomitante à leur forte hausse en Chine et en Inde érode l’avantage des BRICS lié au coût du travail, tandis que leur puits de main-d’œuvre apparemment sans fond semble tout à coup tari, révélant une pénurie de travailleurs qualifiés.
En outre, l’automatisation donne au monde développé l’occasion de regagner du terrain. Des robots de plus en plus abordables et sophistiqués peuvent aujourd’hui réaliser des tâches qui nécessitaient, jusqu’à récemment, dix travailleurs humains au moins. Les machines travaillent 24 heures sur 24 et n’exigent ni hausse de salaire ni bonifications supplémentaires. Si les smartphones et les tablettes numériques continuent d’être fabriqués en Asie, les BRICS savent moins profiter des gains de productivité que ces appareils engendrent. Résultat, des multinationales historiques font leur grand retour après des années de repli, de General Motors qui remporte la plus grande part de marché en Chine, à General Electric qui fait une percée dans la production de matériel médical à bas prix, en passant par Nestlé qui, avec l’immense succès des machines Nespresso, a fait d’un produit de luxe un incontournable présent dans tous les foyers. En matière de compétitivité, l’Occident pourrait ainsi reprendre la main plus vite qu’on ne le pense.
5 – «Les BRICS sont les meilleurs pays pour les investisseurs.»
Ce n’est plus vrai. Jusqu’en 2008, les BRICS devançaient nettement les autres marchés d’actions émergents —ou développés, d’ailleurs. Et de loin: pendant cinq ans, jusqu’en 2007, le rendement annualisé dans les quatre BRIC d’origine était de 52%, comparé à seulement 16% dans les pays du G7. Mais ces cinq dernières années (en s’arrêtant au 31 août), ce chiffre était de -3% pour les BRIC et de -1% pour le G7. Phénomène dû en partie à la correction de perspectives surévaluées, qui avaient fait grimper les estimations et les devises à des niveaux insoutenables. Toutefois, il semble que l’avantage compétitif des BRICS soit remis en cause de façon plus fondamentale. Bien sûr, il est tout à fait logique que les investisseurs diversifient leurs portefeuilles et prennent en compte ce pan de l’économie mondiale si important et si prospère, mais l’euphorie aveugle a vécu.
Les BRICS composent un ensemble très hétéroclite, et leurs économies suscitent de ce fait des interrogations différentes. Pendant plusieurs décennies, les salaires en Chine ont été très inférieurs à ceux du Mexique, qui a eu le plus grand mal à lui faire concurrence malgré sa proximité avec le marché nord-américain. Cependant, avec une disparité salariale qui se réduit depuis quelques années —le coût de la main-d’œuvre chinoise est passé de 33% de celui du Mexique en 1996, à 85% en 2010— les investissements ont trouvé le chemin du retour vers le Mexique. Du côté de l’Inde, même quand le taux de croissance crevait le plafond, la bureaucratie, les déficits budgétaires et les infrastructures défaillantes restaient de réelles entraves. Dans les années 1980, le Brésil est, lui, parvenu à raviver son économie moribonde, puis il a su tirer parti de trois vents favorables: l’appétit chinois pour les produits de base, la découverte de nouvelles sources d’énergie et un avantage compétitif conféré par son statut de géant de l’agroalimentaire. Aujourd’hui cependant, le ralentissement de l’économie chinoise et l’intérêt mondial suscité par l’omniprésent gaz de schiste changent la donne. Il y a enfin la Russie qui, à ses risques et périls, a enrayé son arme pétrole-gaz en snobant le potentiel du gaz de schiste, créant ainsi pour les États-Unis de belles opportunités d’exportation en Europe.
6 – «Les BRICS vont dépasser l’Occident.»
Peut-être, mais pas si vite. C’est vrai, les BRICS vont rester la principale source de croissance dans le monde de demain, comme c’est le cas aujourd’hui. Ensemble, ils vont dominer l’économie mondiale au cours du siècle, comme l’Europe et les États-Unis en leur temps.
Après un mouvement déterminé en direction des BRICS, le balancier s’en est sévèrement éloigné ces dernières années. Cependant, il pourrait s’en approcher à nouveau alors que ces pays développent de nouvelles formes de compétitivité. L’essor de la recherche-développement annonce ainsi une production à toujours plus haute valeur ajoutée. Selon une enquête de IndustryWeek datant de 2007, 91% des usines nord-américaines ont plus de dix ans, contre seulement 43% en Chine. Et quand 54% des sociétés chinoises placent l’innovation parmi leurs premiers objectifs, ce n’est le cas que de 27% des entreprises américaines interrogées. Les fabricants chinois de matériel de télécommunication donnent du fil à retordre aux acteurs traditionnels du secteur; les médicaments génériques indiens creusent leur sillon; les producteurs brésiliens de protéines imposent leur primauté sur les marchés mondiaux; et les oligarques russes réalisent des investissements réfléchis à l’étranger. Les BRICS traversent un moment difficile aujourd’hui, mais ils se tiennent prêts pour un retour en force.
Cependant, si l’ère de la suprématie américaine ou occidentale est close, la domination des BRICS n’est pas pour tout de suite. Ce qui est sûr en revanche, c’est que la nette démarcation entre pays développés et «arriérés» appartient au passé. Les multinationales occidentales cherchent à grandir au sein des BRICS, puisque la croissance est en panne dans leur marché intérieur. En parallèle, les grandes entreprises chinoises et indiennes s’épanouissent sur d’autres marchés émergents ou en Occident. Le sort économique des pays développés est donc plus que jamais lié à celui des pays en développement.
La propriété intellectuelle reste un point fort des économies avancées. Les États-Unis, le Japon et l’Allemagne sont à l’origine, rien qu’à eux trois, de 58% des demandes de brevet en 2011, selon les chiffres de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. Mais dans ce domaine aussi, les BRICS comblent le fossé : la même année, les demandes de la Chine ont augmenté de 33%, celles de la Russie de 21%, celles du Brésil de 17%, et celles de l’Inde de 11%. Pour leur part, les États-Unis enregistraient une hausse timide de 8%, et l’Allemagne, de 6%. Le géant chinois d’équipements télécoms, ZTE, a délogé le japonais Panasonic de la première place mondiale avec 2.826 demandes de brevet. Toujours en 2011, le chinois Huawei Technologies a décroché la troisième place, tandis que le leader américain du secteur Qualcomm a dégringolé de la troisième à la sixième place. Cela veut tout dire, car les brevets sont un indice-clé de la santé économique à venir d’un pays.
7 – «La politique pourrait causer la perte des BRICS.»
C’est vrai, et il serait dangereux de sous-estimer cette dimension. La progression de la démocratie et du libre marché dans nombre de pays d’Asie, d’Amérique latine et d’Europe de l’Est est remarquable, mais certains des pays du BRICS sont plutôt à la traîne en la matière. Dans ces pays, la légitimité repose souvent sur de fabuleux exploits économiques, même quand l’équilibre des pouvoirs en est encore à l’état embryonnaire. Il faut donc oublier toutes les louanges chantées à la gloire du «capitalisme autoritaire» que l’on retrouve dans certains éditoriaux. Ce n’est pas parce que Pékin a un aéroport flambant neuf ou que Vladimir Poutine peut raser à son gré des quartiers entiers que la situation politique en Chine ou en Russie leur confère un quelconque avantage. Même dans la démocratie indienne, la politique est minée par la corruption, et au Brésil, le régime se heurte aux chiffres accablants de la criminalité et aux scandales politiques.
Les BRICS sont peut-être stables aujourd’hui, mais personne ne sait ce que l’avenir réserve. L’admiration vouée aux oligarques se mue facilement en envie et en ressentiment. Les téléphones portables, presque tous équipés de caméra, et Internet limitent le recours à la force publique. Sans qu’elle l’exprime haut et fort, la jeune génération, si elle est fière des exploits économiques accomplis et satisfaite du mieux-être matériel, aspire maintenant à plus de sécurité sociale et de reconnaissance. Plus le temps passe, moins la quantité suffit; les citoyens des BRICS veulent de la qualité. Les élites de ces pays devront manœuvrer habilement pour éviter que ce nouvel état d’esprit ne se transforme en poudrière. En Chine, l’actuelle génération de dirigeants n’a pas oublié les leçons de la Révolution culturelle, mais qu’en sera-t-il de la prochaine?
Le vent arrière qui a porté les BRICS ces dernières décennies pourrait bien devenir un vent debout. Ces pays ont par exemple profité des allocations relativement basses dédiées aux budgets militaires, un fruit de la Pax Americana. Mais cela pourrait changer si un conflit éclatait sur le sous-continent indien ou si l’Iran acquérait l’arme nucléaire. Or l’instabilité politique pourrait facilement menacer l’ascendance des BRICS: l’affaire Bo Xilai en Chine, les soulèvements consécutifs au Printemps arabe et la panne d’électricité géante en Inde nous préviennent des énormes répercussions que peuvent avoir les événements imprévus.
Cela étant, les BRICS ne semblent pas décidés à changer de voie. Ils devront naturellement procéder à des ajustements rigoureux afin de s’adapter à des perspectives de croissance moins célestes tout en satisfaisant des populations plus exigeantes. Quoi qu’il en soit, une chose est certaine: ces grandes économies émergentes marqueront de leur sceau le XXIe siècle.
Antoine van Agtmael, fondateur et ancien président de Ashmore EMM, est l’auteur de The Emerging Markets Century.
Foreign Policy
Traduit par Bérengère Viennot et Chloé Leleu
Source: Slate Afrique