Pierre Rabhi : « Si nous nous accrochons à notre modèle de société, c’est le dépôt de bilan planétaire » ..

Comment ne pas être d’accord avec Pierre Rabhi? On ne veut pas voir le déclin de cette société du consumérisme exacerbé…

Basta ! : Vous défendez une société de la sobriété. Les crises actuelles et l’austérité qui menace vont-elles permettre de remettre en question le système économique dans lequel nous vivons ?

Pierre Rabhi [1] : Je ne me réjouis pas de cette situation, mais je me dis finalement que l’être humain a besoin d’entrer dans des impasses pour mieux comprendre. Les impasses peuvent soit finir sur un chaos généralisé, soit permettre d’initier autre chose. Le chaos est tout à fait possible : une sorte de cocotte-minute d’incertitudes et d’inquiétudes est en train de miner les âmes et les consciences. Qu’une seule ville explose et toute la France explose. Le problème aujourd’hui n’est pas de se réjouir de cela, mais de voir ce qu’on peut tirer de cette évolution. Notre modèle de société montre son inadéquation, son incapacité à continuer. Si nous nous y accrochons, ce sera le dépôt de bilan planétaire. Tous les pays émergents veulent vivre à la moderne. Où va-t-on puiser les ressources ? C’est totalement irréaliste. Il y a aujourd’hui à repenser la vie sur un mode qui soit à la fois sobre et puissant. Je crois beaucoup à la puissance de la sobriété. Je ne crois pas à la puissance des comptes en banque. La vraie puissance est dans la capacité d’une communauté humaine à se contenter de peu mais à produire de la joie. Notre société déborde de tout, mais nous sommes un des pays les plus consommateurs d’anxiolytiques, pour réparer les dégâts que produit la « société de la matière » ! Nous sommes une espèce de planète psychiatrique. Combien de souffrances produisons-nous ?

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Pendant la campagne électorale, l’écologie a quasiment disparu du débat politique. Qu’en pensez-vous ?

C’est parce que les citoyens ne sont pas véritablement conscients de l’enjeu de l’écologie que nous sommes obligés d’avoir une écologie politique pour lui donner une place au forceps. Dans la réalité, l’écologie concerne absolument tout le monde. Je suis évidemment reconnaissant envers ceux qui essayent de placer l’écologie dans le débat politique. Mais c’est une anomalie. Car l’écologie est une affaire de tous. C’est ce qui détermine l’existence de tout individu, du phénomène de la vie. Nous sommes donc tous concernés.

Selon vous, le progrès technologique nous asservirait ?

La civilisation moderne est la civilisation la plus fragile de toute l’histoire de l’humanité. Plus d’électricité, de pétrole, de télécommunications et la civilisation s’écroule. Elle ne tient sur rien du tout. Le progrès ne libère pas. Plusieurs avancées ont apporté un certain bien-être. Mais ce bien-être n’est pas forcément partagé. Il faut que l’humanité se pose la question : le progrès, pour quoi faire ? Et avant : qu’est-ce que vivre ? S’il s’agit juste de consommer, je n’appelle pas ça la vie, cela n’a aucun intérêt. Nous sommes devenus des brigades de pousseurs de Caddie. Cela me terrifie. Nous sommes revenus au néolithique : nous sommes des cueilleurs, nous passons dans les rayons et nous cueillons. Tout cela n’est pas bon. On a évoqué la décroissance, qui est considérée comme une infamie dans le monde d’aujourd’hui : remettre en cause la croissance ! Au Moyen Âge, j’aurai été brûlé vif.

Peut-on se passer de l’industrie et du progrès technologique sur une planète qui comptera bientôt 9 milliards d’êtres humains ?

Le progrès technologique ne rétablit pas de l’équité dans le monde, au contraire. Une minorité en bénéficie. Ce ne sont pas les pays en voie de développement qui consomment le plus de voitures ou de frigos. C’est un leurre de dire que la planète ne pourra pas suffire, parce que nous serons plus nombreux. C’est une injustice totale : sur 7 milliards d’humains aujourd’hui, la moitié n’a pas accès à la nourriture pendant que les autres se bâfrent et gaspillent à outrance. Un cinquième de l’humanité consomme les 4/5es des ressources produites. Ce serait très pernicieux d’invoquer la démographie pour dire qu’on ne va pas s’en sortir. Non ! Plusieurs milliards d’humains ne s’en sortent déjà pas. Ce ne sont pas les pauvres qui épuisent les ressources. La démographie n’est pas en cause. Je sens cet argument s’insinuer de façon très vicieuse.

Pourquoi, après avoir été ouvrier, avez-vous choisi de devenir paysan ?

J’ai accompli mon retour à la terre, ici en Ardèche, en 1961, parce que je considère que notre système n’a pas d’intérêt. Je n’ai pas envie d’être né pour produire, pour consommer et mourir. C’est une destinée un peu limitée ! Je suis né pour vivre, je suis né pour admirer. Si on doit toute sa vie besogner pour que les poubelles débordent de déchets, cela n’a aucun sens. Il n’y a pas si longtemps, en mai 68, les jeunes défilaient dans les rues pour protester contre la société de consommation. C’était l’excès. Leur intuition était forte : nous ne sommes pas des consommateurs. Les gagneurs d’argent, la frénésie marchande nous ont pris en otages pour faire de nous des gens qui doivent absolument consommer pour faire monter le produit national brut. C’est complètement stupide. Les jeunes disaient : on ne tombe pas amoureux d’un produit national brut ! Ils lançaient des slogans très importants, qui étaient un appel à la vie. Nous ne vivons pas : nous sommes conditionnés, endoctrinés, manipulés, pour n’être que des serviteurs d’un système. Ils ressentaient ce besoin de sursaut de la vie. Depuis, je ne vois plus les jeunes défiler dans la rue pour dire qu’ils ont trop. Nous sommes au contraire entrés dans la phase du manque. Les certitudes d’une idéologie triomphante, c’est terminé ! Aujourd’hui, les jeunes ne savent pas quelle place ils auront et s’ils auront une place dans l’avenir. Ce système-là peut-il encore perdurer ? Non. Il ne faut donc pas s’illusionner et se raconter des histoires : notre système arrive à ses limites. Il faut maintenant que l’imagination se mette en route, pour en créer un autre.

D’où peut venir le changement ? D’abord de chaque individu ou de transformations portées collectivement ?

Vous pouvez manger bio, recycler votre eau, vous chauffer à l’énergie solaire, tout en exploitant votre prochain, ce n’est pas incompatible ! Le changement radical de la société passe par une vision différente de la vie. L’humain et la nature doivent être au cœur de nos préoccupations. Le rôle de l’éducation est souverain : et si on éduquait les enfants au contentement et non à l’avidité permanente ? Une avidité stimulée par la publicité, qui affirme qu’il nous manque toujours quelque chose. Cette civilisation du besoin chronique et permanent, sans cesse ressassé, installe dans les esprits la sensation de manque. Le phénomène de la vie, ce qui fait que nous existons, devrait avoir une place dans l’éducation des enfants. Or nous n’avons que des structures éducatives qui occultent complètement les fondements de la vie pour, le plus vite possible, fabriquer un petit consommateur et un petit producteur pour le futur. Cela en fait un petit ignorant qui s’occupera bien davantage de savoir comment il va avoir un bon boulot malgré la compétitivité.

L’exigence fondamentale, c’est que tout le monde puisse manger, se vêtir, se soigner. Voilà ce qu’une civilisation digne de ce nom devrait pouvoir fournir à tout le monde. Aucun bonheur n’est possible sans la satisfaction des besoins vitaux. Notre civilisation a la prétention de nous libérer alors qu’elle est la civilisation la plus carcérale de l’histoire de l’humanité. De la maternelle à l’Université, nous sommes enfermés, ensuite tout le monde travaille dans des boîtes. Même pour s’amuser on va en boîte, assis dans sa caisse. Enfin, on a la boîte à vieux quand on n’en peut plus, qu’on est usé, avant de nous mettre dans une dernière boîte, la boîte définitive.

Comment convaincre ceux qui profitent le plus de la société de consommation et d’accumulation ?

Qui enrichit ces gens-là ? C’est nous. Ils s’enrichissent parce que des gens insatiables achètent de plus en plus, parce que toute une communauté humaine leur donne les pleins pouvoirs. Ils n’existent que parce que nous les faisons exister. Je ne roule pas en char à bœufs mais en voiture, je pollue malgré moi, j’ai le confort moderne. Ce qui fausse tout, c’est que cela devient prétexte à un enrichissement infini. Ce serait différent si les objets fabriqués par le génie du monde moderne avaient vocation à améliorer la condition humaine. Nous donnons très peu de place à ce qui est indispensable, à ce qui amène véritablement la joie. Et nous ne mettons aucune limite au superflu.

Cela signifie donc s’attaquer aux puissances de l’argent ?

[…]

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Recueilli par Ivan du Roy et Agnès Rousseaux

Vidéo : Agnès Rousseaux

Photo : Ivan du Roy

Notes

[1] Pierre Rabhi vit en Ardèche, où il a été paysan. Il a crée en 2007 le Mouvement pour la Terre et l’Humanisme appelé ensuite mouvement Colibris. Il est aussi l’inventeur du concept « Oasis en tous lieux » et a lancé en 2012 la campagne Tous Candidats

Source Crashdebug

 

 

32 Commentaires

  1. Plein de bon sens ca sonne doux a mon oreille…

  2. Oui tout à fait d’accord avec Pierre Rabhi.
    Au dernier Congrès de Terre du Ciel d’Aix-les-Bains avec Pierre Rabhi il y a eu un nouveau souffle avec de nombreux jeunes pour prendre la relève des vieux militants (peut-être l’effet des indignés ?) et comme il a dit : il observe une convergence de tous les mouvements vers les valeurs fondamentales de la vie.
    C’est pourquoi nous sommes un groupe qui lançons un écovillage pour vivre autrement comme les oasis en tout lieu.
    http://www.ecovillage82.fr

    • @ecovillage82.fr ça fait rêver votre projet… si seulement javais 150000€ j’investirai tout de suite !

      ça vous intéresserai de faire une partie production de spiruline ?

      • achète plutôt des terres dites « cultivables » en fonction des régions c’est entre 500 et 4000€ l’hectare (10.000 m2).

        Un hectare produit de la nourriture pour 10 à 35 personnes en fonction de la qualité du sol et du type d’agriculture.

        Pour la construction de son habitation en terre classée « cultivable », il faut le déclarer à la préfecture comme terrain de loisir, où camping de moins de six places, avec structures de loisir. (ça dépend des départements quand même donc se renseigner avant.) Qui donne droit à 6x20m2 d’habitation. En plus, en camping de moins de six places, aucun impôts. pareil pour la terre cultivable.

        Si vous voulez faire des récoltes et les vendre par contre, à moins de le faire au black, la loi peut être très chiante. Si c’est pour vous nourrir vous et votre famille, aucune contraintes.

        Enfin pour trouver les terres, renseignez vous auprès des notaires. ils savent tout ce qui se vend dans les environs, parce que sur internet on trouve rien.

        un site qui donne les prix moyen à l’hectare par région :
        http://www.proprietes-rurales.com/fr/pageseditos.asp,pk,37.rwi.html

        voilà, j’espère avoir été utile à au moins une personne ^^

        • pour la construction de la maison on peut faire très bien et vraiment pas cher du tout en utilisant par exemple la terre (voir : maison en cob, maison en paille, garbage warrior etc)

          Pour le chauffage et le gaz, voir la « methode jean pain », les chauffe eau solaire, ou même se construire sois même une maison bioclimatique (y’a des bons bouquins là dessus, pas besoin d’être un pro) etc…

          Récupération d’eau de pluie si vous avez pas de puits, ou si l’eau n’est pas bonne c’est pas bien compliqué, mais c’est quand même ce qui coûte le plus cher.

          Retraitement des eaux usées par « phyto-épuration », c’est un truc qui semble vraiment parfait (pas de gaspillage d’eau)

          Toilette sèche ou à sciure, qui produit le méthane et le compost. (et il y a beaucoup d’autres trucs)

          La nourriture, c’est le champs qui la donne ^^

          Pour tout le reste c’est libre cours à l’imagination et à la débrouillardise. c’est quand même plus agréable que d’acheter du « prêt à être utilisé »..

          • Donc en disant que vous êtes 5 personnes, en faisant tout sois même, en se débrouillant bien et en achetant QUE ce qu’on ne peut pas avoir directement sur place ou qu’on ne peut pas récupérer quelque part, au minimum :

            un hectare = 2000€
            une grande maison = 10.000€
            matériel agricole simple = 1000€

            13.000€, donc 2600€ par personne. (mais là c’est vraiment le minimum du minimum, juste pour avoir un aperçu)

            Voilà pour le mode d’emploi ^^

    • y’a que comme ça qu’on fait avancer les choses !! c’est une manifestation perpétuelle pour un autre mode de vie. Et il faut croire que ça marche. J’ai rencontré une fille chez les indignés qui avait construit avec une petite dizaine de personnes un village presque autonome. et bien maintenant ils sont plus de cinquante, et doivent refuser des gens… plus de place.

      vraiment, en faisant un petit sondage pour moi même à la défense, avec les gens qui bossent dans les bureaux, je me suis rendu compte que tout le monde ou presque voulait de cette vie là. La seule chose qui les arrête c’est la difficulté. c’est pour ça qu’il faut que les plus chauds ouvrent la voie, achètent des terres et donne la preuve par l’exemple que ça marche. ensuite les timides (la majorité de la population) pourrons nous rejoindre sans avoir peur que ça rate. ^^ (là je parlais des gens des villes, pour qui ça semble pour l’instant être un rêve irréalisable.)

      Enfin bref le mouvement est lancé, c’est déjà presque un mythe, il suffit de quelques pionniers en plus.

      • moi j’ai une femme et deux enfants à charge (dont un de 15 ans qui n’est pas près de vouloir tenter ce type d’aventure mais bon je ne lui demanderai pas son avis), j’arrive tout juste à boucler les fins de mois et basta, je n’ai même pas de quoi tenir 2 ou 3 mois d’avance, faire un emprunt c’est même pas la peine, je suis coincé (l’esclavage moderne). Comme ils nous tiennent les salauds !

        • débarrasse toi du superflu
          ya toujours une issue, ne désespère pas…
          comme disent les shadoks s’il n’y a pas de solution c’est qu’il n’y a pas de problème …

          asta siempre …

        • Salut Philippe,
          l’objectif de ce projet est de créer des activités et donc du travail. Ce n’est pas seulement un hébergement. C’est aussi pour penser à nos enfants qui ont besoin de perspectives pour l’avenir. On peut vivre avec peu, mais les enfants ont besoin d’avoir des activités extérieures.
          Il y a de l’eau, mais je ne sais pas si elle a les bonnes qualités pour la spiruline ou la klamat (algue encore supérieure à la spiruline) !
          Il y a la moitié des candidats qui n’ont pas d’argent, pour l’instant on cherche encore de l’argent.
          http://www.ecovillage82.fr

      • merci pour tous tes coms homme des bois,
        ce sont des paroles sages et utiles
        qui peuvent donner de l’espoir et des idées à ceux qui doutent.

        je ne peux qu’adhérer à tout ce que tu as exprimé.
        car c’est tout simplement JUSTE.

  3. Y-a-t-til un moyen de lire la fin de l’interview? Le lien semble mort…

  4. http://vimeo.com/41653206

    Voici le lien de l’interview complète!

  5. heureusement qu’il y a encore des « Pierre Rabhi » ds ce monde. Respect Monsieur.

  6. trop stylé !!!

    ouais respect.

    ce mec la est un vrai

  7. Impossible de lire la suite!!

  8. Pas mal l’article, je l’avoue.

    Difficile de concevoir un autre style de vie, une prise de conscience d’une majorité de la population avant deux ou trois décennies à mon avis.

    Mais il faudra bien qu’on y vienne d’une façon ou d’une autre.

  9. Je ne suis pas l’optimisme ou la sympathie sans bornes que receuille cet interview.
    Avec tout le respect que je peux avoir pour l’homme et son parcours, il me semble que cette vision des choses est utopiste, partielle est partiale.
    D’une part en disant que « c’est la faute à la pub… », je trouve que c’est déresponsabilisant pour les « opprimés ». Ces derniers sont maintenus dans une sorte de pessimisme irrémédiable.
    D’autre part quand il dit que les solutions viendront « de la société civile qui est un laboratoire d’idées », je trouve la phrase vide de sens. La société civile n’a pas d’idées quand tout va bien ? Pour qu’une idée se répande il ne faut pas la faire circuler (médiatisation, pub) ?
    Au final, et pour vous donner mon avis sur la question, je pense que la civilisation et la réorientation « du sens de la vie » peut se faire sans faire de révolution ou baisser son niveau de vie. En somme le pouvoir de la sobriété est un leurre.

    • Et quel genre de réorientation as-tu en tête potolo ?

      Personnellement, je ne suis également pas très fan du super optimisme mais ce que dit ce gars va dans le sens d’un équilibre plus ou moins bien géré.
      Il faut trouver un équilibre pour pouvoir permettre à tout le monde de vivre décemment dans le monde entier sans abuser des ressources et de la nourriture, repenser notre rapport à l’argent afin qu’il ne nous dépasse pas.

      Pas forcément besoin de révolution ni de vie au rabais mais un « rééquilibrage » et une mise au centre du bien être de la planète ainsi que de sa faune et de l’être humain.

  10. il me semble que les solutions seront de toute façon parcellaires,
    des petits groupes autonomes, en retrait
    qui préserveront ce qu’ils pourront,
    après….à la grâce de Dieu (pour les croyants :-)))

  11. SE CONTENTER DE PEU ET PRODUIRE DE LA JOIE…..

    Sages paroles……

  12. merci pour cette simplicité heureuse

  13. Quand quelqu’un possède plus qu’il n’en a besoin et en entasse encore davantage alors que les gens qui l’entourent ont faim, c’est un très bon indice qu’il est en proie à cette maladie de la cupidité, et qu’il accumule ces richesses pour établir qu’il est supérieur à ses amis dans le domaine de la rapacité. »

  14. Je n’arrive pas à lire la suite de l’article après la question:Cela signifie donc s’attaquer aux puissances de l’argent ?
    Comment lire la suite, en cliquant dessus je tombe sur la tête de Sarko !
    Merci

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