On connaît le gouffre que sont les « PPP » partenariat/public/privé et pourtant…
Un milliard d’euros pour la destruction et la reconstruction de 34 écoles vétustes. C’est ce que compte engager la ville de Marseille sur 25 ans, dans le cadre d’un grand partenariat public-privé. Elle confie ainsi la clé des infrastructures à quelques grands groupes du BTP en contrepartie d’une lourde redevance annuelle. Face à une méthode désormais bien connue pour son impact néfaste sur les finances publiques, des élus d’opposition, syndicalistes enseignants, parents d’élèves, architectes, professionnels du bâtiment ou simples citoyens se mobilisent.
« C’est un véritable plan Marshall pour nos écoles qui n’a aucun équivalent ni pour la ville de Marseille ni pour aucune autre ville », claironne Jean-Claude Gaudin en conseil municipal. Avec sa majorité, le maire (LR) de Marseille dit avoir trouvé la solution miracle à la vétusté des écoles de la cité phocéenne. Une situation tellement détériorée qu’elle défraie régulièrement la chronique dans plusieurs dizaines d’écoles, sur les 444 que compte la ville. Avec la présence de rat, d’amiante, parfois l’absence de chauffage, ou encore l’attente interminable de travaux d’entretien, un grand nombre des 77 000 élèves marseillais ne sont toujours pas correctement accueillis. En décembre 2015, Charlotte Magri, enseignante dans les quartiers du nord de la ville, adressait une lettre ouverte à la ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, pour dénoncer cette situation.
La professeure enseignait dans une école de type GEEP, du nom de l’entreprise de construction qui employait dans les années 60 une méthode considérée à l’époque comme rapide et économique. Elle consistait à assembler un bâtiment sur une structure métallique préfabriquée. On surnomme aussi les établissements de ce type « Pailleron », du nom d’un collège parisien bâti selon cette méthode, et qui a brûlé en 1973 en laissant vingt morts dont seize enfants. Ce drame avait conduit à imposer une nouvelle réglementation sur la sécurité des bâtiments publics. A Marseille, la plupart des témoignages d’enseignants ou de parents d’élèves sur la vétusté concernent ces établissements.
Le gouffre de la rénovation du stade Vélodrome
C’est précisément sur les GEEP que compte agir la ville de Marseille : « 10% du parc scolaire, [qui] engendre des surcoûts et des difficultés en termes de maintenance et d’entretien », expose une délibération du conseil municipal. La ville s’apprête à laisser au privé la gestion de 34 écoles moyennant une redevance payée par la collectivité pendant 25 ans. De la construction à l’entretien, rien ne serait plus directement à la charge de la municipalité, via un partenariat public-privé (PPP) de plus d’un milliard d’euros conclu avec de grands groupes du BTP, qui pourraient être Bouygues, Vinci ou Eiffage. Pour l’instant, le principe a été voté au conseil municipal du 16 octobre 2017.
Dans le détail, L’idée de ce « plan écoles » est de procéder à la destruction de 31 groupes scolaires. En remplacement, 28 seront reconstruits et 6 nouveaux établissements seront créés. Les appels d’offres doivent être lancés à la fin de l’année 2018. L’ensemble de ces destructions-reconstructions s’étalerait sur six années. A moins que l’opposition à ce projet parvient à le bloquer. Un collectif, Marseille contre les PPP, rassemble syndicats d’enseignants, associations de parents d’élèves, organisation d’architectes et de professionnels du bâtiments qui préféreraient voir la ville rester propriétaire de ses écoles, sous la forme d’une maîtrise d’œuvre publique.
« Vous allez devoir augmenter les impôts pour payer des banques et des promoteurs qui après s’être occupés du stade, s’occuperont des écoles », adresse également à la majorité l’élu d’opposition PS Benoit Payan. Il est vrai qu’en matière de PPP, la ville de Marseille n’en est pas à son « coût » d’essai. Le plus controversé est celui de la modernisation du stade Vélodrome avant l’Euro 2016. Fin septembre 2017, la Cour des comptes émettait des réserves sur le montage de l’opération contractée avec Bouygues, qui voit la ville s’acquitter d’un loyer de 15 millions d’euros par an en moyenne.
Mais la mairie sait présenter le bilan à son avantage. « Le contrat de partenariat a permis de rénover le stade dans les délais et les coûts prévus par le contrat initial », reconnaît la Cour. « Le Vélodrome est un argument à double tranchant. Si le montage financier est discutable, beaucoup de Marseillais aiment leur club et sont fiers d’avoir un beau stade », prévient Séverine Gil de l’association de parents d’élèves MPE 13.
Un bénéfice financier plus qu’hypothétique
En annexe de son plan écoles, dans un document d’« évaluation préalable du mode de réalisation », la majorité municipale considère la « multiplicité des sites », les contraintes de calendrier, « la réalisation de chantiers sur des sites en fonctionnement » et le désamiantage comme autant de « complexités » justifiant le recours à un partenariat public-privé.
De prime abord, une maîtrise d’œuvre publique apparaît moins chère : 620 millions d’euros, contre 675 pour le partenariat avec le privé, qui seront inclus dans la redevance versée par la ville à l’opérateur. Mais l’évaluation des risques et des coûts est alors appelée en renfort. Le document estime qu’en intégrant la notion de risque – délais non respectés, surcoûts, défaillance d’un prestataire… – le coût potentiel d’une opération publique passerait à 734 millions d’euros.
Le tout est posé comme si l’opérateur privé en charge de l’opération ne pouvait lui-même être défaillant. Il existe pourtant des contre-exemples : en Grande-Bretagne, le groupe Carillion a fait faillite, obligeant l’État britannique à réagir dans l’urgence pour maintenir les services, y compris pour de nombreuses écoles.
« Une bombe à retardement budgétaire »
Avec un PPP, la mairie se débarrasse de la maîtrise d’ouvrage – la conception et supervision des travaux – pour la confier à un seul opérateur. Les surcoûts ne sont pas permis, mais la contrepartie est un prix de redevance élevé. Néanmoins, le principe même des PPP est de plus en plus remis en question. Un rapport sénatorial de 2014 juge même le dispositif comme « une bombe à retardement budgétaire souvent ignorée par des arbitrages de court terme », pouvant conduire à « un double risque de rigidification et d’éviction des budgets ». De même, la cour des comptes européenne considérait récemment que « les partenariats public-privé cofinancés par l’UE ne peuvent être considérés comme une option économiquement viable pour la fourniture d’infrastructures publiques ».
Dans le cas marseillais, les redevances – en ajoutant les prestations de maintenance et d’entretien – vont s’élever à 40 millions d’euros par an sur 25 ans, soit 1 milliard d’euros au total, alors que le budget de rénovation de l’ensemble des écoles sur l’année 2017 était de 30 millions d’euros. Un grand écart reconnu par l’évaluation préalable elle-même : les budgets de 2014 à 2016 estiment « les charges d’exploitation des 455 classes concernées par le projet Plan écoles (…) à un montant de 1,6 millions d’euros ».
« Quelles dépenses va-t-on pouvoir engager pour les plus de 400 écoles qui ne sont pas concernées par le plan ? », interroge en conséquence le syndicaliste Pierre-Marie Ganozzi, secrétaire départemental de la FSU. « Il aura fallu 22 ans pour tourner la page d’écoles qui déjà en 1995 [date de la première élection de Jean-Claude Gaudin à la mairie de Marseille, ndlr], ne respectaient pas les normes éducatives et sécuritaires », tacle Jean-Marc Coppola, élu Front de Gauche, en conseil municipal. Ce dernier propose d’autres solutions financières, comme un « emprunt à la banque européenne d’investissement » et un « plan de sauvetage avec participation de l’État ».
D’autres solutions sont également sur la table : les écoles GEEP pourraient être réhabilitées plutôt que faire l’objet d’une destruction-reconstruction. Maxime Repos, du syndicat des architectes des Bouches-du-Rhône, met en avant l’exemple d’une rénovation réussie pour « 60% du prix par rapport à une destruction-reconstruction », celle d’une école GEEP à Jouy-en-Josas, dans les Yvelines. Comme « rénovation durable », la réalisation a été primée par le Conseil d’architecture d’urbanisme et de l’environnement des Yvelines.
Un bâti et des emplois de moindre qualité
Pourquoi un choix si précipité des élus ? Pour Séverine Gil, de MPE 13, « il est normal que les élus aillent vers un PPP : ils ne savent pas faire, ils ne veulent pas faire. Il s’agit d’un moyen pour délaisser la gestion de l’école à des sociétés privées, comme cela a été le cas pour la cantine, laissée à Sodexo ». Pour les syndicats d’enseignants, « la mairie se défausse de ses responsabilités ». Les conséquences pourraient être préoccupantes en termes pédagogique : « Si ce n’est pas la mairie qui décide, qui pourrons-nous interpeller si ça ne fonctionne pas ?, interroge Pierre-Marie Ganozzi, de la FSU. Et puis on signe un aménagement de nos écoles pour 25 ans. En cas de réforme de l’éducation, elle ne pourront plus s’adapter. »
« Dans le cadre d’une MOP, l’architecte fait le lien entre le maître d’ouvrage qui est la collectivité, et les entreprises. Avec un PPP, il est assujetti au groupe pour lequel il travaille. Et celui-ci cherche à maximiser son profit avant de se soucier de la qualité », analyse Patrick Verbauwen, le président du syndicat des architectes des Bouches-du-Rhône. Ce dernier plaide pour que chaque école soit adaptée « à l’environnement et à la culture de chaque quartier », alors qu’un promoteur appliquerait, selon lui, « un même plan pour toutes les écoles ». Une piètre qualité des bâtiments à la livraison est déjà largement observée dans la généralisation des PPP pour les prisons.
Une autre incidence des PPP, concerne la qualité de l’emploi et de la formation. « Les majors ont recours à la sous-traitance et au travail détaché. Les entreprises locales du bâtiments n’auront pas ou peu de débouchés sur ces chantiers. Donc ce n’est pas l’économie locale qui en profitera », expose Philippe Fontanier, délégué général adjoint du Syndicat national des entreprises du second œuvre (SNSO). « Nos entreprises représentent 60% de l’emploi et 90% des apprentis du secteur. Si on nous prive de ces marchés, cela signifiera que l’on ne pourra ni proposer d’apprentissage, ni de contrats d’insertion dans des quartiers qui en ont besoin. La population sera spectatrice », complète Patricia Blanchet-Bhang, présidente de la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment des Bouches-du-Rhône (CAPEB).
De juteux bénéfices pour les majors du BTP
Ultime expédient à ce montage financier, inscrit dans l’évaluation préalable, la ville se réserve la possibilité d’une « valorisation immobilière » supplémentaire. Il s’agirait, sur les terrains le permettant, à côté ou en « juxtaposition », d’offrir la possibilité au promoteur d’une « construction et [d’une] valorisation de surfaces pouvant être commercialisées ». Autrement dit, le promoteur pourrait à sa guise exploiter les bénéfices de logements, bureaux ou autres commerces gagnés sur le foncier des écoles. Un filon contraire à l’intérêt pédagogique, jugent les opposants : « L’entreprise pourra installer un McDo, un supermarché ou ce qu’elle veut », prévient Marie-Hélène Moine, de Sud éducation.
« Lorsqu’on vend des terrains, on récupère de l’argent au profit des Marseillais », avance au contraire Roland Blum, élu adjoint aux finances, en conseil municipal. Un point de vue que les marseillais attachés aux espaces verts et au patrimoine, écrasés par de fréquentes opérations immobilières, ne partagent pas nécessairement.
La mobilisation contre le PPP des écoles s’annonce longue. A ce jour, trois citoyens de la cité phocéenne ont déposé un recours devant le tribunal administratif. Tout comme l’Ordre des architectes de PACA. Le rassemblement des professionnels du bâtiment prépare le sien. Ni la lettre qu’ils ont adressé au maire de Marseille, ni la lettre ouverte des enseignants et parents d’élèves n’ont trouvé de réponse à ce jour, tout comme nos demandes d’entretien adressées à la municipalité. Tous agissent pour que cet imposant PPP ne puisse pas voir le jour, et faire école.
Pierre Isnard-Dupuy pour BastaMag
Crédits photos :
Une : CC Yann H
Stade Vélodrome, CC 2.0 Design_Ex/Flickr.
École de Jouy-en-Josas : Mairie de Jouy-en-Josas.
il y en a qui vont se graisser au passage, c’est une évidence surtout dans le btp