Les commentaires font aussi partie intégrante du blog, sauf à les interdire purement et simplement (par exemple le blog de Pénéloppe Jolicoeur, ou le vénérable Standblog(vénérable bien que je ne comprenne rien à 90% des billets), mais dans ce cas, peut-on se demander, est-ce encore vraiment un blog, ou à les « modérer » selon le terme en vigueur, c’est à dire les valider avant publication (exemple : le blog de Philippe Bilger), ce qui est en fait une véritable censure au sens premier du terme : c’est à dire une autorisation a priori. Cela peut paraître une solution de tranquillité. Ce n’est pas si sûr que ça, vous allez voir.
La première question que nous examinerons est celle de la responsabilité ès qualité de blogueur, c’est à dire de la réglementation applicable à quiconque met son blog en ligne, quel que soit le sujet abordé par icelui, y compris si aucun sujet n’est abordé.
Une fois ce point examiné, nous verrons quelle est la responsabilité en qualité de rédacteur du blog, c’est à dire liée au contenu de ce qui est publié. Peut-on tout dire sur son blog, et si non, quels sont les risques ? (Bon, je ruine le suspens d’entrée : la réponse à la première question est non).
1. : Le statut juridique du blog.
La réponse est dans la LCEN, ou Loi pour la confiance dans l’économie numérique, de son petit nom n°2004-575 du 21 juin 2004, dans son prolixe article 6 (si vous trouviez le Traité établissant une Constitution pour l’Europe trop longue et incompréhensible, lisez cet article 6 : vous verrez que le législateur français peut faire mille fois mieux).
En substance, la LCEN distingue trois types d’intervenants dans la communication en ligne : le fournisseur d’accès internet (FAI), qui est celui qui permet à une personne physique ou morale d’accéder à internet (Free, Orange, Neuf Telecom, Tele2.fr, Alice, Noos, Numéricable sont des FAI) ; l’hébergeur du service (celui qui possède le serveur où est stocké le site internet) et l’éditeur du site (qui publie, met en forme, gère le site). Alors que le FAI et l’hébergeur sont en principe irresponsables du contenu d’un site (il y a des exceptions, mais c’est hors sujet dans le cadre de ce billet), c’est l’éditeur qui assume cette responsabilité. D’où ma censure (j’assume le terme) de certains commentaires que j’estime diffamatoires, malgré les cris d’orfraie de leur auteur. Si le commentaire est diffamatoire, c’est moi qui encours les poursuites, et je n’ai pas vocation à servir de paratonnerre judiciaire à qui que ce soit……..
[…]2. la responsabilité pénale du blogueur en raison du contenu de son site.
Là, deux problèmes distincts peuvent se poser : la responsabilité civile du blogueur et sa responsabilité disciplinaire. Dans le premier cas, on entre dans le droit pénal de la presse et de l’édition, qui s’applique à internet comme à tout écrit mis à disposition du public, et le droit à l’image et à l’intimité de la vie privée. Dans le deuxième, se pose surtout la problématique du blogueur vis à vis de son employeur, de son école ou de son administration.
- La responsabilité pénale du blogueur : les délits de presse.
Conseil préliminaire : si vous êtes cité en justice pour des délits de presse, courrez chez un avocat compétent en la matière, et vite…….
La loi française a posé par la loi du 29 juillet 1881 le principe que les délits commis par la publication d’un message font l’objet d’un régime procédural dérogatoire, très favorable à la liberté d’expression. Ce régime se résume aux points suivants :
– les faits se prescrivent par trois mois à compter de la publication, c’est à dire que si les poursuites ne sont pas intentées dans ce délai de trois mois, elles ne peuvent plus l’être. De même, il faut qu’un acte de poursuite non équivoque ait lieu au moins tous les trois mois, sinon, la prescription est acquise.
– les poursuites des délits portant atteinte à l’honneur d’une personne ne peuvent avoir lieu que sur plainte de la personne concernée, et le retrait de la palinte met fin aux poursuites, ce qui n’est pas le cas d’une plainte ordinaire, pour un faux SMS par exemple.
– les actes de poursuites doivent respecter des règles de forme très strictes sanctionnées par leur nullité (or un acte nul n’interrompt pas la prescription, vous voyez la conséquence inéluctable…).
– des moyens de défense spécifiques existent dans certains cas (excuse de vérité des faits, excuse de bonne foi, excuse de provocation)…Certains écrits sont donc pénalement incriminés en eux même : la liberté d’expression est une liberté fondamentale, certes, mais il n’existe aucune liberté générale et absolue. Rappelons la rédaction de l’article 11 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen :
La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.
En l’espèce, la loi qui s’applique est notre loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, avec les adaptations apportées par la LCEN aux spécificités du support informatique. Qu’est-ce qui est interdit, au juste ?
Sont interdits de manière générale l’apologie des crimes contre l’humanité commis par les puissances de l’Axe (n’allez pas approuver la prostitution forcée des femmes coréennes par l’armée impériale japonaise, mais vous pouvez vous réjouir de la famine provoquée par Staline en Ukraine et ses 3 à 7 millions de mort), l’incitation à la haine raciale ainsi que la pornographie enfantine. Tout blogueur a comme n’importe quel éditeur une obligation de surveillance de son site et doit rapporter promptement aux autorités compétentes de telles activités sur son site qui lui seraient signalées. Sanction : un an de prison, 75.000 euros d’amende (article I, 7°, dernier alinéa de la LCEN, article 24 de la loi du 29 juillet 1881). Pensez donc absolument à fermer tous les commentaires et trackbacks quand vous fermez un blog mais laissez les archives en ligne.
Au delà de cette obligation de surveillance, les écrits du blogueur lui même ou des commentaires peuvent lui attirer des ennuis.
- Les provocations aux infractions.
Outre les faits déjà cités, sont prohibés la provocation à commettre des crimes ou des délits. Si appeler au meurtre ne viendrait pas à l’esprit de mes lecteurs, j’en suis persuadé, pensons aux appels à la détérioration des anti-pubs (affaire « OUVATON »).
Sanction : si la provocation est suivie d’effet, vous êtes complice du crime ou délit et passible des mêmes peines. Si la provocation n’est pas suivie d’effet, vous encourez 5 ans de prison et 45.000 euros d’amende si l’infraction à laquelle vous avez provoqué figure dans la liste de l’alinéa 1 de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 (meurtres, viols et agressions sexuelles, vols, extorsions, destructions, dégradations et détériorations volontaires dangereuses pour les personnes, crimes et délits portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation prévus par le titre Ier du livre IV du code pénal).
Bon, jusque là, rien de préoccupant, je pense qu’on peut trouver des idées de billet où il ne s’agira pas de nier la Shoah ou appeler au meurtre.
- Injure, diffamation
Les faits les plus souvent invoqués sont l’injure et la diffamation, définis par l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881. C’est le cas de l’affaire Monputeaux, que j’ai traitée en son temps.
Là, ça se complique. Je vais donc, pour illustrer mes propos, prendre un cobaye en la personne de Laurent Gloaguen dont la bonhomie bretonne ne doit pas faire oublier un tempérament potentiellement tempétueux…..
La diffamation, donc, est définie ainsi : toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé. e.g. : « Laurent Gloaguen est un escroc ».
L’injure est toute expression outrageante ne contenant l’imputation d’aucun fait. e.g. : « Laurent Gloaguen est un connard ».
Tout d’abord, il faut que la personne soit identifiée ou au moins identifiable……… […]
- Blog et vie privée
Dernier terrain sensible : la question de la vie privée. L’article 9 du code civil pose le principe du droit de chacun au respect de sa vie privée et donne au juge des référés le pouvoir de prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à une telle violation. Il en va de même de son droit à l’image, c’est à dire la diffusion d’un portrait de lui pris sans son consentement. Il faut bien comprendre ce qu’on entend par vie privée : la jurisprudence parle même de l’intimité de la vie privée. Il s’agit donc d’aspects que la personne n’a jamais voulu voir divulgués portant sur la sphère privée : les sphère professionnelles et publiques (pour ceux qui font profession d’être connus, comme les acteurs et les hommes politiques) sont donc exclues.
Cela recouvre la vie de famille (relations sentimentales, enfants), la vie sexuelle (moeurs, orientation sexuelle), etc… Ne parlez pas de la vie privée d’une personne dénommée ou aisément identifiable (mêmes règles que pour la diffamation) sans son autorisation, fût-ce un membre de l’étrange tribu des « pipoles » dont la vie privée est censée passionner jusqu’au dernier occupant des salles d’attente et salons de coiffure de l’hexagone. Ne diffusez pas non plus son image, ni le son de sa voix sans son autorisation. Le fait qu’une personne se rende dans un lieu public peut faire présumer son acceptation d’être prise en photo (sauf s’il esquive votre flash, auquel cas il ne vous reste qu’à ne pas insister) mais certainement pas que cette photo soit diffusée sur internet. Cette simple diffusion est en soi un préjudice réparable, sans qu’il soit besoin de démontrer un préjudice, et les sommes allouées sont assez élevées si la personne a une certaine notoriété. Je précise que capter l’image d’une personne dans un lieu privé ou la voix de quelqu’un parlant à titre privé ou confidentiel sans son consentement est un délit pénal.
- Blog et contrefaçon.
Dernier point pour conclure ce billet : celui de la contrefaçon. La contrefaçon est à la propriété intellectuelle et artistique ce que le vol est à la propriété corporelle : une atteinte illégitime. Et elle est d’une facilité déconcertante sur internet. Un simple copier coller, voire un hotlink sur le cache de Google pour économiser la bande passante. La contrefaçon peut concerner deux hypothèses : la contrefaon d’une oeuvre (on parle de propriété littéraire et artistique, même si un logiciel est assimilé à une oeuvre) ou la contrefaçon d’une marque ou d’un logo (on parle de propriété industrielle) consiste en la reproduction ou la représentation d’une oeuvre de l’esprit ou d’une marque sans l’autorisation de celui qui est titulaire des droits d’auteur, que ce soit l’auteur lui-même ou un ayant droit (ses héritiers, une société de gestion collective des droits du type de la SACEM…). La reproduction est une copie de l’oeuvre, une représentation est une exposition au public. L’informatique fait que la plupart du temps, la contrefaçon sera une reproduction.
Le régime diffère selon qu’il s’agit d’une oeuvre ou d’une marque.
– Pour une oeuvre, la protection ne nécessite aucune démarche préalable de dépôt légal de l’oeuvre. L’acte de création entraîne la protection. Et la simple reproduction constitue la contrefaçon. Par exemple, copier ce billet et le publier intégralement sur votre blog serait une contrefaçon, même via le flux RSS. De même, utiliser une image d’une graphiste comme Cali Rézo ou Pénéloppe Jolicoeur sans son autorisation est une contrefaçon. Et la contrefaçon est un délit, passible de 3 années de prison et jusqu’à 300 000 euros d’amende. Outre les dommages-intérêts à l’auteur. Et la prescription de trois mois ne s’applique pas ici : elle est de trois ans. Il ne s’agit pas d’un délit de presse, qui ne concerne que les oeuvres que vous publiez, pas celles que vous pompez.
Cependant, il existe des exceptions : la loi (article L.122-5 du code de la propriété intellectuelle) permet d’utiliser une oeuvre divulguée, et ce sans l’autorisation de l’auteur, soit pour votre usage strictement privé (i.e. sauvegarde sur votre disque dur) mais sans la diffuser à votre tour, ou en cas de publication, en respectant l’obligation de nommer son auteur et les références de l’oeuvre, dans les hypothèses suivantes : les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’oeuvre à laquelle elles sont incorporées (en clair, si quelqu’un veut critiquer un de mes billets, il peut sans me demander mon avis citer les passages clefs qui lui semblent démontrer l’inanité de mon propos) ; les revues de presse ; la diffusion, même intégrale, à titre d’information d’actualité, des discours destinés au public prononcés dans les assemblées politiques, administratives, judiciaires ou académiques, ainsi que dans les réunions publiques d’ordre politique et les cérémonies officielles ; la parodie et le pastiche en respectant les lois du genre, et la reproduction ou la représentation, intégrale ou partielle, d’une oeuvre d’art graphique, plastique ou architecturale, dans un but exclusif d’information immédiate et en relation directe avec cette dernière, sous réserve d’indiquer clairement le nom de l’auteur.
Par contre, piquer un dessin ou une photo trouvée sur Google qui vous plaît parce qu’elle illustre bien votre article qui n’a rien à voir avec l’oeuvre risque fort de vous attirer des ennuis, surtout si l’oeuvre est celle d’un professionnel. Il existe de nombreux répertoires d’images et photos libres de droits ou mises à votre disposition gratuitement sous réserve que vous respectiez certaines conditions dans l’usage : ce sont les oeuvres en partage, ou Creative Commons en bon français.
– Pour une marque, la logique est différente, car c’est l’intérêt économique du titulaire de la marque qui est défendu. La loi le protège d’agissements parasites de concurrents qui voudraient utiliser un élément distinctif pour vendre leur produit. En effet, faire de telle marque, telle couleur, tel logo un signe distinctif dans l’esprit du public est un travail de longue haleine, et très coûteux. Il est légitime que celui qui aura déployé tous ces moyens puisse s’assurer le monopole des bénéfices à en tirer. La marque Nike par exemple, dans les magasins qu’elle ouvre, se contente de mettre sa célèbre virgule comme seule enseigne. Songez aussi tout ce que représente pour les informaticiens la petite pomme grise et croquée. La protection de la marque suppose toutefois au préalable le dépôt de cette marque auprès de l’Institut National de la Propriété Industrielle, dépôt qui précisera les types de produits sur lesquels il porte (on parle de classes de produits, en voici la liste). D’où l’expression de « marque déposée ». Dans les pays Anglo-Saxons, l’usage est d’apposer après une telle marque un ® qui signfie registered, « enregistré ».
La loi interdit, sauf autorisation de l’auteur : la reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, même avec l’adjonction de mots tels que : « formule, façon, système, imitation, genre, méthode » (Exemple : « le blog façon Techcrunch« , Techcrunch étant une marque déposée au niveau européen), ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement ; la suppression ou la modification d’une marque régulièrement apposée. De même, la loi interdit, mais uniquement s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public : la reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l’enregistrement ; ainsi que l’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement. (Code de la propriété intellectuelle, articles L.713-2 et L.713-4).
Mes lecteurs se souviendront qu’une marque peut être une simple couleur, avec l’affaire Milka, qui ne concerne pas un blogueur mais un nom de domaine, donc n’est pas totalement étranger à nos interrogations. En ce qui concerne votre humble serviteur, Eolas est une marque déposée… mais pas par moi. Je suppose qu’elle appartient à la société Business & Decision Interactive Eolas, qui m’a toujours fichu une paix royale quant à l’usage de mon pseudonyme puisqu’il n’y a aucun risque de confusion quand bien même je sévis moi aussi sur l’internet. Nous vivons donc en bons voisins. Enfin, je suppose : je n’ai jamais eu de contact avec eux, je déduis de leur silence une intelligente bienveillance.
Voici dressé un panorama que je n’aurai pas l’audace de prétendre exhaustif des limites fixées par la loi que doit respecter un blogueur. Vous voyez que les espaces de liberté sont encore vastes.
Cependant, il peut arriver que des fâcheux estiment que ceux-ci sont encore trop vastes, et que parler d’eux en des termes qui ne soient pas dythirambiques relève du crime de Lèse Majesté. Et parfois, le blogueur reçoit un e-mail ou mieux, une lettre recommandée particulièrement comminatoire rédigée par un de mes confrères. Et je dois le reconnaître, bien que cela me coûte, pas toujours à très bon escient, voire parfois à un escient franchement mauvais. Et j’ai trop de respect pour ma profession pour me rendre complice par inaction de cette pratique hélas de plus en plus répandue et qui prend des libertés avec la loi et avec la déontologie. Un guide de survie s’impose.
Ce sera l’objet du deuxième billet qui fera suite à celui-ci : que faire en cas de mise en demeure ?
Lire l’article complet de Maître Eolas
Source Me EOLAS
Reporters Sans Frontières vient de publier une fiche sur les droits et devoirs du blogueur en France. Plusieurs questions y sont abordées : Un blogueur peut-il tout écrire, comme il pourrait le faire dans le cadre d’une conversation privée ? Quelle est la différence entre un blogueur et un journaliste en ligne ? Quels sont les principaux risques encourus par un blogueur lorsqu’il publie un contenu sur Internet ? Quelles sont les précautions à prendre lors de la publication d’une image, d’une vidéo?
Présentation trouvée sur clemidijon.info
Crédit image: Photos Libres
Merci pour l-info, c’est toujours utile …
Au vu de certains commentaires il me semblait important de faire ce petit rappel.
Préservons notre espace de liberté de parole.