Balkans : pourquoi les inondations ne sont pas une « catastrophe naturelle »

Kant et Leibniz aident le philosophe Srećko Horvat à prouver que les inondations ne sont pas une catastrophe naturelle : les digues et les barrages cèdent quand l’État cesse d’investir, quand les biens publics sont accaparés par des malfrats au nom de la « transition » économique et quand l’on s’en remet à la « main invisible » du marché pour faire cesser la pluie. Analyse.

Par Srećko Horvat. À la mémoire de feu Ljudevit Lujo Tropan.

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En août 2005, quand l’ouragan Catherine a frappé la côte méridionale des USA inondant 80% de La Nouvelle-Orléans, le géographe écossais Neil Smith a écrit un texte qui pouvait paraître hérétique : il affirmait que ce n’était pas la catastrophe naturelle, mais la politique raciale et ultra-libérale de l’administration Bush qui avait rendu la population la plus démunie de La Nouvelle-Orléans si vulnérable à la catastrophe.


Retrouvez notre dossier :
Inondations : la Bosnie-Herzégovine, la Croatie et la Serbie sous les eaux


Suite aux ravages causés par le tremblement de terre à Haïti en 2010, Peter Hallward a affirmé que ce n’était pas par hasard si Port-au-Prince ressemblait à une zone de guerre, soulignant que les dommages du séisme étaient tout sauf une catastrophe naturelle : ils étaient le produit d’une période historique longue et difficile. En d’autres termes, la catastrophe naturelle était aussi une conséquence du passé colonial de Haïti.

Malheureusement, les terribles inondations qui ont submergé les pays des Balkans font également partie d’une malheureuse suite de catastrophes et ne fait que confirmer ce qui ne paraît pourtant pas encore si évident : les Balkans n’ont pas été touchés par une catastrophe naturelle.

« L’ex-Yougoslavie disposait d’un des systèmes plus avancés d’irrigation et de gestion de l’eau », a déclaré Holger Kray, responsable de l’agriculture et du développement rural pour l’Europe et de l’Asie Centrale auprès de la Banque Mondiale. « Malheureusement, ces systèmes ont été détruits », ajoute-t-il dans son interview à l’agence Reuters, en expliquant que ce résultat a été provoqué non seulement par les déficits budgétaires, mais aussi par la modification du système de gestion.

Le quotidien serbe Politika a publié voici deux ans un article intitulé « Les sociétés de construction hydraulique au bord de la faillite », confirmant les avertissements de la Banque mondiale. Vers la fin des années 1980, ces sociétés avaient un avenir prometteur : la construction de 34 nouveaux barrages était prévue en Serbie. Elles s’occupaient également de l’aménagement de la navigation fluviale sur le Danube et la Sava, tandis que les routes, les digues, les barrages et les canaux étaient régulièrement entretenus.

Depuis, seulement cinq ou six barrages ont été construits. Pourquoi ? Parce que l’État investit de moins en moins et que l’entretien des infrastructures dépend donc des investisseurs étrangers. Or, le but des nouveaux propriétaires des usines est de tirer le plus d’argent possible des entreprises plutôt que de nettoyer les lit des rivières.

La catastrophe de la transition

Avec le retrait des eaux, nous découvrons peu à peu les preuves qui démontrent que la région n’est pas confrontée à une catastrophe naturelle, mais à une catastrophe rendue possible par la « transition » des années 1990.

À titre d’exemple, les médias croates indiquent que l’entreprise publique Hrvatske vode a monté 29 appels d’offre pour un montant de 2,5 milliards de kunas. Les contrats dans le domaine de la protection contre les inondations ont tous été gagnés par des sociétés qui financent le Parti paysan croate (HSS), qui a justement le contrôle de l’entreprise publique… En Bosnie-Herzégovine, 36 millions de marks destinés à la protection et au sauvetage ont tout simplement disparu ces deux dernières années. En Serbie, durant la même période, les moyens destinés aux traitement des eaux ont été détournés.

C’est une histoire typiquement balkanique : en pleine transition économique des années 1990, le périmètre d’action des entreprises étatiques est d’abord drastiquement réduit, puis elles sont privatisées et finalement éliminées du marché. Sous prétexte que la « main invisible » du marché sera plus à même de servir l’intérêt public. En définitive, c’est Novak Đoković qui donne l’argent pour organiser un tournoi de tennis ou Emir Kusturica qui met à disposition ses propres hélicoptères parce que l’État est incapables de le faire.

Les inondations dans les Balkans devraient servir d’avertissement : si la destruction des entreprises qui s’occupaient des eaux a provoqué une telle catastrophe, qu’arrivera-t-il donc quand nous nous rendrons compte des résultats des privatisations de la santé, de l’éducation, des chemins de fer ou de l’énergie ? Si nous avons pu voir quelle était l’impuissance de l’État, que faire lorsque la corruption et la privatisation systématique mettent fin aux derniers vestiges du secteur public ?

Article complet sur Le courrier des Balkans via Blogapares

 

3 Commentaires

  1. Et oui!

    La Yougoslavie, dans les années 90 personne ni comprenait rien….et tout le monde s’en foutait!

    La Yougoslavie, c’était loin et sans intérêt.

    Sauf pour quelques très rares fous qui nous disaient:

    – « Attention, danger!
    Pour nos gouvernants, la Yougoslavie est le laboratoire expérimental où ils testent les solutions pour votre Europe de demain ».

    Pauvres fous , va!!!

    Maintenant que « demain » est aujourd’hui.
    Peu de chose ont changé,… la masse ni croyant toujours pas.

    Alors, j’ai bien peur que la case « bis-repitita » soit plus que jamais de circonstance.

    NB: Fédéralisation (étatique)régionale ou la mort, qu’ils disaient.
    …Et ce fut les deux.

  2. Privatisation, Libéralisme, Mondialisation = ORDO AB CHAOS !

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