Le Charme discret de la pauvreté

Puisqu’il faut explorer toutes les pistes pour mieux choisir sa voie, et son mode de préparation pour affronter l’avenir, autant tout regarder, dont cet article sur le dénuement volontaire…

À contre-courant de la société de consommation, certains ont fait le choix de la simplicité. Promouvant un mode de vie frugal, les tenants de la pauvreté volontaire entendent valoriser d’autres richesses : le respect de l’environnement, la solidarité et l’épanouissement sans cesse menacés par l’inflation des besoins.

« Vive la pauvreté ! », titrait avec insolence le journal La Décroissance en septembre 2004. Faudrait-il donc se réjouir de ce que certains ne puissent subvenir à leurs besoins, souffrent de la faim et du froid et soient mis au ban de la société ? Non. Derrière un mot d’ordre provocateur, c’est un projet de vie révolutionnaire que défendent ici les objecteurs de croissance en promouvant non pas la misère mais une pauvreté choisie. Contre l’hyperconsommation et le culte de la croissance économique qui valorisent l’avoir au détriment de l’être, ils en appellent à la simplicité volontaire pour parvenir à un plus grand épanouissement personnel mais aussi pour mieux respecter l’environnement et les hommes. Bref, sortir de l’inflation des besoins qui nous condamnent à souffrir toujours du manque et à passer à côté de l’essentiel. « Vivre sans télévision, sans automobile, sans téléphone portable ou encore sans prendre l’avion, c’est aujourd’hui faire le choix de la résistance non violente. Abandonner, c’est résister. Comme cultiver son potager, faire de la politique, être capable de s’engager. C’est savoir dire non, être rebelle, insoumis, pour partager une vie intense et profonde, qui ne peut reposer que sur une certaine forme de dénuement matériel (1). » Cette aspiration à un mode de vie plus frugal n’est en rien une bizarrerie hexagonale. Elle s’inscrit dans un mouvement plus vaste que l’on retrouve aux États-Unis, au Canada, en Grande-Bretagne, en Australie (2), en Nouvelle-Zélande, et dans bien d’autres pays encore, souvent sous l’appellation d’adeptes de la « simplicité volontaire (3) » ou de downshifters (décélérateurs).

Qui sont ces partisans de la frugalité ? Et, surtout, comment vivent-ils ? Beaucoup appartiennent aux classes moyennes et supérieures et ont fait le choix de rompre avec leur mode de vie. Tel Vincent Cheynet, fondateur des Casseurs de pub et du journal La Décroissance, qui avait travaillé pendant une dizaine d’années dans la publicité. Leur engagement se traduit au quotidien par tout un éventail de décisions et de petits gestes : acheter des fruits et des légumes de saison, produits localement, renoncer au maximum à la voiture pour privilégier le vélo et les transports en commun, éviter de prendre l’avion, se débarrasser des appareils électriques qui ne sont pas indispensables, limiter sa consommation d’eau, voire pour les plus intransigeants ne plus avoir de réfrigérateur et adopter des « toilettes sèches »… Aux mirages de la consommation, préférer l’échange et la « récup », réparer plutôt que jeter, faire au maximum les choses soi-même. Ce peut être construire sa maison comme Hervé René Martin, auteur d’Éloge de la simplicité volontaire (Flammarion, 2007), cultiver un potager, ou faire le choix de « travailler moins pour gagner moins ». Il ne s’agit donc pas tant de vivre dans la pauvreté que dans la simplicité avec l’idée que, pour changer le monde, il faut aussi apprendre à se changer soi-même.

 

Pauvreté contre misère

Une vision de l’existence que rejoint la réflexion sur la pauvreté de Majid Rahnema. Cet ancien diplomate iranien refuse le discours technique sur une pauvreté réduite bien souvent à des chiffres : « Réduire la vérité d’un “pauvre” à un revenu d’un ou deux dollars est en soi non seulement une aberration mais aussi une insulte à sa condition. Les chiffres qui sont avancés ne peuvent donc rien nous dire, ni sur les milliards de personnes qui, pour des raisons diverses, se trouvent aujourd’hui acculées à la misère, ni sur ce qui pourrait leur permettre de recouvrer leur puissance d’agir. Dans le meilleur des cas, ces chiffres ne peuvent que révéler un aspect particulier de la vie d’une certaine catégorie de “pauvres” de pauvres déracinés vivant de leurs seuls revenus monétairement quantifiables. Ils ne nous apprennent rien sur les autres sources de richesses relationnelles, traditionnelles, culturelles et autres qui, jusqu’à la désintégration de leur mode de subsistance, les avaient empêchés de perdre leurs propres moyens de lutte contre la misère (4). »

Précisément. La pauvreté n’est pas la misère : on peut vivre dans le dénuement, presque entièrement « hors marché » et pourtant surmonter les difficultés grâce à la solidarité et l’entraide. Or la modernité s’est attaquée aux modes de subsistance populaires faisant basculer des millions de personne dans la misère, la vraie, celle où l’on ne parvient pas à assurer sa subsistance. L’économie de croissance, loin de résorber la pauvreté, n’a selon lui créé pour les pauvres que de nouvelles sources de précarisation et de dépendance à des besoins économiques fabriqués de toutes pièces. Ce faisant, elle a éradiqué ce que M. Rahnema nomme à la suite d’Ivan Illich une « pauvreté conviviale », mode de vie frugal caractérisé par la solidarité et le contrôle social de l’envie : « La pauvreté conviviale, loin de se confondre avec la misère, a (…) été l’arme principale dont les pauvres se sont toujours servis pour l’exorciser et la combattre. » M. Rahnema appelle donc à redécouvrir un mode de vie simple pour que chacun puisse retrouver sa puissance d’agir.

 

« Me pousse pas à bout, fiston ! »

Assurément dérangeant dans des sociétés modernes qui valorisent l’économie, la consommation et le progrès matériel. « Don’t force me, sonny ! » (« Me pousse pas à bout fiston ») se voit ainsi répondre le philosophe allemand Günther Anders tandis qu’il marche le long d’une nationale de Californie. Le policier désœuvré qui l’interpelle ne comprend pas qu’un homme n’ait pas de voiture et, pire encore, avoue n’en avoir jamais eue (5). Reprenant cette anecdote, H. René Martin, dans son Éloge de la simplicité volontaire, met bien en évidence les obstacles auxquels se heurtent ceux qui ont fait le choix de vivre autrement, tel ce couple qui n’a pas voulu que leur enfant naisse à l’hôpital et qui a subi de ce fait bien des tracasseries administratives et des contrôles sociaux. Ascétisme malsain, vision réactionnaire de la société, spiritualisme suspect, voire menace pour l’économie donc pour la prospérité… La pauvreté choisie suscite des suspicions et des réactions hostiles. Et pour cause, elle inquiète l’ordre social. Un détour historique apparaît instructif.

Au Moyen Âge, à partir de l’an mil, surgit un important mouvement en faveur de la pauvreté volontaire. Un nombre croissant d’ermites itinérants sillonne les routes et prône le dénuement pour retrouver le message du Christ : saint Romuald, Robert d’Arbrissel, Henri de Lausanne… Jusqu’à saint François d’Assise, fils d’un riche marchand d’étoffes, qui rompt avec une vie insouciante et tournée vers le plaisir et qui fonde l’ordre franciscain où l’on fait vœu de pauvreté. Nombreux sont alors les ordres et les confréries à adopter le même précepte qui jouit d’une grande audience dans la population. Apparaissent ainsi au xiie siècle les béguines, dans les Flandres et en Hollande, puis en France et en Allemagne, qui travaillent et vivent dans le dénuement. L’accueil de ces mouvements par l’Église sera pour le moins contrasté : certains adeptes de la pauvreté volontaire seront jugés hérétiques, d’autres seront canonisés. Ce qu’explique avec beaucoup de clarté l’historien polonais Tadeusz Manteuffel (6) : « L’Église n’a jamais condamné le précepte évangélique de la pauvreté volontaire. Tout au contraire, elle a toujours été bienveillante envers ceux qui en faisaient profession, mais seulement lorsqu’ils l’appliquaient à titre individuel, sans en faire l’objet d’une propagande parmi les masses. La canonisation d’un nombre considérable d’ermites en est la meilleure preuve. Ce problème changeait toutefois d’aspect dès l’instant où ces mêmes principes commençaient à être propagés largement parmi les fidèles. Le précepte de la pauvreté volontaire cessait d’être alors l’affaire personnelle de tel ou tel individu, pour devenir un problème social qui pouvait avoir des implications politiques. » On s’étonnera d’autant moins du rejet suscité par la pauvreté volontaire dans des sociétés modernes sécularisées qui valorisent fortement le progrès matériel et la consommation.

Et pourtant, rien de nouveau sous le soleil. Nul besoin d’attendre les objecteurs de croissance, les adeptes de la simplicité volontaire pour valoriser la frugalité. Dès l’Antiquité, nombreuses sont les écoles philosophiques à prôner la réduction des besoins. Tel Diogène ou les stoïciens ou même les épicuriens souvent assimilés à tort à des jouisseurs forcenés : « Quelqu’un ayant demandé à Épicure comment il fallait s’y prendre pour devenir riche, celui-ci répondit : ce n’est pas en augmentant les biens, mais en diminuant les besoins », rapporte Stobée (Florilège, XVII, 37). Une leçon vieille comme le monde mais peut-être plus que jamais difficile à entendre.

 

NOTES :

(1) Vincent Cheynet et Bruno Clémentin, « Résister par la pauvreté », La Décroissance, n° 23, septembre 2004.
(2) Voir par exemple Nicola Shepheard, « Vive la décroissance ! », The New Zealand Herald, repris dans Courrier International, n° 896, 3 janvier 2008.
(3) Article « Simplicité volontaire » disponible sur http://fr.ekopedia.org
(4) Majid Rahnema et Jean Robert, La Puissance des pauvres, Actes Sud, 2008.
(5) Günther Anders, L’Obsolescence de l’homme, L’Encyclopédie des nuisances, 2002.
(6) Tadeusz Manteuffel, Naissance d’une hérésie. Les adeptes de la pauvreté volontaire au Moyen Âge, EHESS, 1970.

À LIRE AUSSI: Volontairement pauvres. L’expérience d’ATD Quart Monde

Source: Sciences humaines via Fortune de souche

8 Commentaires

  1. « Une société qui survit en créant des besoins artificiels pour produire efficacement des biens de consommation inutiles ne paraît pas susceptible de répondre à long terme aux défis posés par la dégradation de notre environnement. »
    de Pierre Joliot

    Les gens sont drôles.
    Ils dépensent de l’argent qu’ils n’ont pas gagné, achètent des choses dont ils n’ont pas besoin pour impressionner des gens qu’ils n’aiment pas.

    • C’est drôle la croissance qu’on nous inflige en faisant des chômeurs, des gens fainéants alors qu’ils sont l’avenir .
      Une allocation pour TOUS et fini le chômage,c’est contraire aux principes d’esclavages et de subordination,c’est quand nous seront tous aux tickets de bouffes genre (payement par coupons de consommations ,cela existe en Belgique,les patrons en profitent vus qu’ils mettent cela en frais généraux et ne cotisent pas à la sécurité sociale et d’autres avantages)
      Je vous cite cher AGA
      « Les gens sont drôles.
      Ils dépensent de l’argent qu’ils n’ont pas gagné, achètent des choses dont ils n’ont pas besoin pour impressionner des gens qu’ils n’aiment pas. »
      Je sais que vous dites cela au second degré mais cela m’interpelle car les gens n’ont rien à dépenser,c’est juste fictif,les gens sont en location et n’existent que par ce qu’on leur fait faire,ils sont des marionnettes comme les politiques,moi etc,bref,certain s’en rende compte ,c’est tout.

      • Au début ce n’était pas volontaire cette « pauvreté » mais avec le temps, on peut choisir ses besoins. Je le fais chaque jour : Qu’est-ce que j’ai besoin ? Je regarde les placards , le frigo, l’essence ect…

        Le fait de dépenser dans cette société sans avoir évalué ses besoins, nous rends dépendant de celle ci.
        Résister aux appels de la pieuvre conso n’est pas si facile !

  2. C’est ce que je devrais faire tiens, j’essaie tant bien que mal de me sortir d’une situation d’endettement, je travaille mais une multitude de prélèvements plombent mon budget… Se passer de la technologie, vehicule, etc, je ne sais pas si je suis pret a franchir le pas pour le moment par contre, j’arrive déjà pas à arrêter de fumer et de boire…

    J’ai ouvert un blog il y a deux jours ou je vais retranscrire tous les moments de ma vie pour me motiver à m’en sortir avant de sombrer définitivement et devenir sdf lol (http://www.apres-la-pluie-le-beau-temps.com/salaire-et-charges/)

    Au moins je suis conscient, c’est pas le cas de tout le monde et c’est un premier pas obligatoire.

    • Bravo.
      Poser le Pb, c’est déja le résoudre.
      Bonne continuation à toi.

    • salut , tu peux faire des economies si tu voulais p.etres ,

      le téléphone 15,99 euros ,tu es chez free , tu prends celui a 0 euros (2h , sms illimité),pas besoin d’avoir le net et si tu dois appeler tu appelles de chez toi , vu que c’est gratuit fixe et portable .

      assurance , prendre au tiers (avec plus vol au cas ou) suivant l’age de ta voiture, faut regarder ailleur tout les deux ans en gros .

      transport , l’entreprise n’est pas censé payer la moitié ? si c’est pour le boulot dans ce cas la tu prends l’assurance au km , cela te reviendra moins cher .

      Assurance déces , personnellement je prefere l’assurance vie , au moins tu peux récuperer l’argent que tu as investi (en cas de pépin), pas l’assurance déces 😉

      • Tiens Yann, tu ne profites pas de ton argent « assurance décès » une fois de l’autre côté ? Je croyais que c’était un pot-de-vin pour Saint Pierre !! … pour passer la porte !!

        Ah, la corruption quand tu nous tiens, hein !! A force de la voir partout sur Terre, on finit par être convaincu qu’elle est vraiment partout … Jusqu’au ciel !

  3. Merci engel 🙂
    yann oui, le téléphone j’ai essayé mais j’ai un smartphone qui se connecte sans me demander mon avis et j’avais arfois plus de hors forfait du aux connexions que le prix du forfait donc j’ai rebasculé 😉
    Mon assurance voiture est déjà au tiers, faut que je me renseigne pour une assurance au km ca peut etre un bon compromis.
    Transport je ne demande pas la prise en charge de l’employeur car c’est plus avantageux pour moi de faire les frais réels sur ma déclaration d’impôts sur le revenu et je ne pourrai pas déclarer les frais kilométriques si l’employeur me finance le transport
    L’assurance décès oui, j’avais essayé de la supprimer mais il faut envoyer une lettre dans les 3 mois précédant la date anniversaire qui est en décembre… A l’origine je l’avais prise pour éviter que les frais d’obsèques soient à la charge de ma conjointe (prise en charge 8000 euros), je vais la supprimer cette année

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