Pas d’appel à la libération de blogueurs en Tunisie, pas ou peu de réaction face aux émeutes qui secouent l’Algérie… La France, souvent prompte à appeler à la liberté d’expression dans le monde et à la retenue lors de manifestations, est dans l’embarras avec ses voisins du sud.
«Le silence des alliés de Tunis n’est pas sain. On laisse à Zine El Abidine Ben Ali (président de la Tunisie) le temps de se retourner (…) On le soutient, on fera comme d’habitude», déplore Souhayr Belhassen, de nationalité tunisienne, présidente de la La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) basée à Paris.
Vendredi, le ministère français des Affaires étrangères s’est retranché lors de son point-presse quotidien, à propos de l’Algérie, derrière un banal: «Nous suivons la situation avec attention». Rien sur la Tunisie et les blogueurs et cyber-dissidents arrêtés la veille, selon des ONG.
Lors d’un colloque au ministère français de l’Economie, portant sur les relations entre les deux rives de la Méditerranée, un seul intervenant, tunisien, s’est saisi vendredi des mouvements sociaux qui touchent le Maghreb pour réclamer à l’Europe une ouverture et non un repli face au Sud.
«Imaginez un ou deux Mahmoud Ahmadinejad (président d’Iran) arrivant au pouvoir en Algérie, en Tunisie ou au Maroc (…) C’est entre cinq et dix millions de personnes qui quitteraient l’Afrique du Nord, en bateaux, à la nage, sur des radeaux, pour venir en Corse, en Sardaigne, en Sicile, sur la Côte d’Azur», a mis en garde Tarak Ben Ammar, hommes d’affaires et producteur.
Sans citer de pays, la ministre française des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, également présente, s’est bornée à évoquer «la problématique de l’emploi» à laquelle il faut trouver une solution. Selon les experts, le chômage qui frappe en particulier les jeunes diplômés est l’une des causes de la crise qui frappe la Tunisie et l’Algérie.
Lors d’un voyage en octobre à Alger, alors qu’elle était ministre de la Justice, Mme Alliot-Marie avait parlé des relations franco-algériennes comme étant «très étroites, un peu comme dans un couple».
La réserve, voire le silence, affichée par la diplomatie française tant à l’égard de la Tunisie que de l’Algérie, tient sans doute aux intérêts économiques importants entretenus dans ces pays par la France et à la présence sur le territoire français d’importantes communautés maghrébines.
«Si jamais la situation empirait, la France craint un débordement de l’immigration en France avec les tensions que cela comporte», estime à propos de l’Algérie Karim Pakzdad, de l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris).
De son côté, la Tunisie a longtemps été perçue par Paris comme un «modèle» dans la région du Maghreb «pour ses progrès économique et social, sa maîtrise des courants migratoires, sa lutte contre le terrorisme», ajoute ce chercheur.
La retenue française vient aussi probablement des accès de tension survenus au cours des deux dernières années avec Tunis et Alger qui, bien qu’aujourd’hui résorbés, ont marqué les esprits au Quai d’Orsay.
En février 2010, l’ex-chef de la diplomatie française Bernard Kouchner avait affirmé que la relation bilatérale, passionnelle depuis près d’un demi-siècle, serait «peut-être plus simple» lorsque la génération de l’indépendance algérienne ne serait plus au pouvoir. Alger avait vivement réagi et refusé toute visite du ministre.
Avec la Tunisie, la relation s’était aussi sévèrement refroidie après des critiques en novembre 2009 du même Bernard Kouchner après des arrestations de journalistes tunisiens. Il s’était dit «déçu» et avait qualifié ces détentions d’«inutiles». Tunis avait alors dénoncé une «ingérence étrangère inacceptable».