Selon un cliché abondamment entretenu par les médias, les élus locaux seraient plus proches de leurs concitoyens. En gros il s’agirait de gens « normaux », « comme nous », mais pas à la manière de « normal 1er » Hollande hein. Non, ce ne seraient pas de vilains oligarques corrompus mais des gens « du peuple ». Pas de bol pour la vulgate médiatique, un article du Monde diplomatique vient tordre le coup à ce cliché sympathique mais faux. Ainsi au niveau des maires, les cadres sont 117 fois plus représentés que les ouvriers et la situation se serait aggravée depuis les lois de décentralisation. Et pan pour la base représentative « populaire ». Car c’est tout le contraire qui s’est mis en place : on a vu la reproduction sur les territoires d’une petite oligarchie locale peuplée de potentats, sur le modèle de la représentation nationale.
Les gouvernements et les parlementaires qui, depuis les années 1970, prônent la décentralisation du pouvoir de l’Etat vers les collectivités territoriales fondent une partie de leur argumentaire sur une supposée proximité entre les citoyens et les élus locaux. Mais ces derniers sont-ils réellement plus proches de leurs administrés que leurs homologues nationaux ? Comprennent-ils mieux leurs préoccupations, par exemple ?
Il faudrait pour cela qu’ils les rencontrent régulièrement. Or cette possibilité, fréquente en milieu rural, devient improbable quand la taille de la commune augmente. Conscients du problème, de nombreux maires ont tenté d’institutionnaliser les contacts en développant la « démocratie participative ». Mais des études ont pointé les failles des dispositifs mis en œuvre : quand ils ne se résument pas à de simples opérations de communication politique, ils favorisent essentiellement l’implication d’habitants déjà pourvus de certaines ressources, notamment ceux appartenant aux classes moyennes supérieures (1).
La rareté des rencontres pourrait être compensée par une proximité sociale avec les citoyens. Mais il n’en est rien. Comme leurs collègues nationaux, ces élus forment une élite. D’après le « Répertoire national des élus » établi par le ministère de l’intérieur, plus de 60 % des maires des deux mille quatre cent soixante-quatorze communes de plus de deux mille cinq cents habitants — considérées en France comme des villes — sont des cadres ou appartiennent aux professions intellectuelles supérieures, contre seulement 0,8 % de maires ouvriers, alors que ces deux catégories socioprofessionnelles représentent respectivement 15,6 % et 23,6 % de la population active. Cela revient à dire que les cadres supérieurs sont cent dix-sept fois plus représentés que les ouvriers parmi les maires urbains.
Depuis les lois de décentralisation du début des années 1980, la situation s’est même aggravée : la proportion de maires cadres supérieurs est passée, dans l’ensemble des communes françaises, de 15,1 % à 17,4 %, tandis que celle des ouvriers stagnait autour de 2,2 %. Dans les grandes villes, celles de plus de cent mille habitants, le pourcentage des maires cadres supérieurs et encore actifs (car il y a aussi des retraités qui sont maires !) atteint même 93 %, un chiffre supérieur à celui des parlementaires.
Les employés sont plus nombreux qu’avant : ils représentent 10,2 % des maires ; 16,6 % si l’on ne prend en compte que les actifs. C’est en grande partie grâce à la loi sur la parité, qui a propulsé des femmes à la tête de certaines municipalités. Mais, là encore, la conquête ressemble plus à un « octroi » : il ne s’agit pratiquement que de petites communes, où le pouvoir est moins important et moins convoité. La proportion des femmes parmi les maires dépasse 20 % dans les communes de moins de cinquante habitants, alors qu’elle franchit à peine la barre des 10 % en moyenne dans les communes de plus de deux mille habitants.
L’âge constitue également un obstacle en matière d’accès aux responsabilités politiques locales : au début de leur mandat, en 2008, la moyenne d’âge des maires actuels était de 57 ans. Seuls 3,7 % d’entre eux avaient moins de 40 ans ; même les députés actuels — avec 7,4 % — sont plus jeunes qu’eux.
Certes, on pourrait arguer que les maires ne sont pas seuls à gouverner, et que les assemblées délibérantes sont plus accessibles. Ce n’est qu’en partie vrai, car les règles de scrutin sont ainsi faites que le pouvoir reste concentré entre les mains d’un quarteron formé par le premier magistrat, le premier adjoint (rarement d’autres) et quelques « hauts » fonctionnaires locaux (2), en maintenant l’opposition dans un rôle secondaire, voire inexistant. C’est notamment le cas avec le scrutin à liste bloquée, formule qui s’appliquera désormais dans les communes de plus de mille habitants, contre trois mille cinq cents auparavant, et concernera plus de 84 % de la population française.
Deux raisons principales expliquent le renforcement de la sélectivité sociale. D’abord, la décentralisation a accru les compétences nécessaires à l’exercice des mandats locaux en complexifiant les tâches. En élargissant les prérogatives des maires, elle a également augmenté le nombre de candidats à cette fonction. Par ailleurs, le climat de concurrence généralisée entre territoires, accentué par la crise économique, disqualifie inévitablement ceux qui ne disposent pas des ressources politiques nécessaires pour mener cette bataille, tant médiatique qu’économique.
Or il ne faut pas minimiser les effets de l’appartenance sociale de ceux qui concentrent le pouvoir — fût-il local — sur le contenu même des politiques qu’ils mènent. On peut en outre douter de leur capacité à représenter d’autres catégories de population que la leur, ou que celles qui savent se faire entendre d’eux… et qui sont rarement éloignées de la leur.
Michel Koebel
Maître de conférences à l’université de Strasbourg.
Merci Ender de nous avoir sorti cette petite perle qui remet les pendules à l’heure concernant la pseudo démocratie, et son application à l’échelon municipal.
Excellentes explications de Monsieur Koebel.
La démonstration chiffrée du fonctionnement oligarchique et de la prise du pouvoir par les 10 % les plus riches de notre société au profit des intérêts de leur caste est clairement posée.
Une oligarchie, voire une gérontocratie…
Ce qui explique finalement leur intérêt pour les maisons de retraites privées plutôt que pour des crèches et des maternelles…
Il serait temps que les « élus » se préoccupent de l’état des prisons, et des conditions de détentions.
Cela pourrait les concerner plus rapidement qu’ils ne l’envisagent.
Et ils ne risquent pas de retourner à la maternelle…
;0)
Non, ils ne sont pas proches de tous leurs citoyens. Ils acceptent qu’une partie de leur population dorme dans la rue, sans abris. Ils préfèrent s’occuper de idées de leurs partis politiques.
Ca ne lui a pas reussi la révolution à juju! et pas qu’à lui d’ailleurs. Malgré ses jolies idées qui fleurent bon son jean jacques. Joli fin de siècle oû la folie criminelle le dispute à la naïveté.
je suis allé voir les brins d’herbes suite à la promo de robespierre, et suis tombé sur un site d’échange de graines: mais on fait quoi quand on n’a pas de graine à échanger?
idem!
Un exemple à suivre !
http://rue89.nouvelobs.com/2014/03/29/a-saillans-les-1-199-habitants-ont-tous-ete-elus-premier-tour-251062