Washington tente de créer un nouveau bloc au Moyen-Orient

Source Observateur-Continental

Dans ses tentatives d’imposer au monde un modèle d’ordre mondial unipolaire où les Etats-Unis s’attribuent le rôle de seule superpuissance mondiale, Washington ne s’arrête pas d’élargir les frontières et les zones de responsabilité de l’Otan en acceptant de plus en plus de nouveaux membres, mais en même temps en constituant de nouveaux soi-disant mini-blocs, c’est-à-dire des satellites de l’Otan dans des régions stratégiquement importantes du monde.

L’un des exemples les plus clairs de ce processus peut être considéré comme la création dans la région Asie-Pacifique des blocs AUKUS (alliance de défense formée par l’Australie, le Royaume-Uni et les Etats-Unis) et QUAD (alliance de sécurité avec la participation des Etats-Unis, de l’Australie, Japon et Inde). Et, si le principal objectif de ces organisations est un accent anti-chinois, alors au Moyen-Orient, Washington a l’intention non seulement de bloquer toute nouvelle pénétration de la Chine dans la région, mais aussi de constituer un large front anti-iranien et, si possible, impliquer les pays de la région dans leurs jeux de sanctions contre la Fédération de Russie. En confirmation de cette thèse, le président américain, Joe Biden, a annoncé sa volonté d’empêcher la création d’un vide d’influence occidentale au Moyen-Orient puisqu’il pourrait être comblé par la Chine, la Russie ou l’Iran.

Ce n’est pas un hasard si le président américain a entamé sa première visite au Moyen-Orient à la mi-juillet 2022 en organisant à Jérusalem un sommet virtuel d’un nouveau bloc régional, maintenant connu sous le nom de QUAD-2 (l’union géopolitique d’Israël, de l’Inde, les Emirats Arabes Unis et les Etats-Unis). A la mi-octobre 2021, des négociations ont eu lieu entre les ministres des Affaires étrangères de ces pays au cours desquelles il a été décidé de lancer le processus de création d’un forum de coopération économique multilatérale. Bien qu’il ait été officiellement annoncé que la nouvelle alliance coopérerait dans les domaines commerciaux, économiques et politiques pour le moment, un partenariat ultérieur de ses membres dans les domaines de la défense et de la sécurité ne devrait pas être exclu.

Washington ne cache pas qu’il cherche à maintenir la position de la Chine dans une sorte d’ «état de blocus naval» puisque les mers de Chine orientale et méridionale sont, selon lui, couvertes par des bases militaires américaines, limitant l’accès des Chinois aux océans du monde. Les Etats-Unis tentent de mettre en œuvre à peu près le même concept dans les eaux du nord-ouest de l’océan Indien, des golfes Persique et d’Oman, de la mer d’Arabie et de la mer Rouge, dans la zone de responsabilité de la 5e flotte opérationnelle de l’ US Navy basée à Bahreïn (Manama). Washington tente d’exercer un contrôle sur toutes les communications maritimes les plus importantes de la région, principalement le détroit de Bab el-Mandeb.

Dans cette stratégie, les communications maritimes du Moyen-Orient revêtent une importance particulière pour les Etats-Unis dans leur guerre économique non déclarée avec la Russie. C’est à partir de cette région que Washington prévoit de trouver une solution de remplacement pour l’UE et le Royaume-Uni pour les pertes résultant de la réduction de la coopération avec la Fédération de Russie dans le domaine de l’approvisionnement énergétique. Bien qu’aujourd’hui les pays arabes exportateurs d’hydrocarbures aient réagi avec beaucoup de réserve aux demandes insistantes de Joe Biden d’augmenter le volume des exportations de pétrole et de gaz vers le marché mondial, préférant adhérer aux accords avec la Russie dans le cadre de l’OPEP+, l’administration américaine utilise tous les moyens possibles pour effectuer des pression sur les gouvernements et les milieux d’affaires des monarchies perses du Golfe afin de renverser la vapeur en leur faveur.

A en juger par les résultats, Joe Biden lors de sa visite en Israël et en Arabie saoudite n’a pas réussi à obtenir le soutien des pays de la région pour la politique américaine menée en Ukraine. La plupart des pays de la région se sont limités à soutenir la résolution ES-11/1 de l’Assemblée générale des Nations unies du 2 mars 2022 alors que plusieurs pays arabes se sont abstenus dont la Syrie qui a voté contre. Même Israël, allié stratégique des Etats-Unis dans la région, n’ a pas dépassé le niveau de l’aide humanitaire à l’Ukraine.

Quant aux perspectives du nouveau bloc QUAD-2, il convient de noter que ses membres entretiennent déjà des liens bilatéraux assez forts. Israël est l’un des plus grands fournisseurs d’armes et d’équipements militaires à l’Inde tandis que les Emirats arabes unis assurent la sécurité énergétique de Delhi grâce à la fourniture de grandes quantités de pétrole et ils abritent des millions de travailleurs migrants parmi les citoyens indiens, ce qui contribue de manière significative à l’afflux de fonds en devises vers l’Inde. L’établissement de relations diplomatiques entre les Emirats arabes unis et Israël au début de 2021 a également ouvert la voie à des liens et des contacts plus étroits entre les deux pays.

Avec la participation de l’administration américaine, l’Inde espère promouvoir le projet dit de corridor arabo-méditerranéen (India-ArabMed) qui permettra d’envoyer des marchandises indiennes via les corridors de transport israélo-arabes vers la Grèce, l’Egypte, la Turquie et d’autres des pays. De toute évidence, cette initiative est un concurrent direct de l’initiative d’«une ceinture, une route» (Belt and Road) de la Chine, attirant l’attention sur un autre acteur asiatique majeur: l’Inde.

A leur tour, Israël et l’Inde ont une vaste expérience de la coopération militaro-technique bilatérale. L’Inde est devenue l’un des plus gros acheteurs d’armes et d’équipements militaires produits par Israël. Plus de la moitié de toutes les exportations d’armes israéliennes sont destinées à Delhi. Dans le même temps, un accent particulier est mis sur l’échange de technologies modernes et la production de produits de défense en Inde sous licences israéliennes. Dans le même temps, des représentants du complexe militaro-industriel israélien modernisent les systèmes d’armes soviétiques situés dans les arsenaux de l’armée indienne (modernisation d’avions de fabrication soviétique tels que le MiG-21, etc.).

L’un des résultats pratiques de QUAD-2 peut, également, être considéré comme la coopération militaire initiée entre les Emirats arabes unis et Israël au Yémen. Selon certaines informations, Israël et les Emirats arabes unis organisent une base conjointe de renseignement électronique sur l’île de Socotra qui contrôle le détroit de Bab el-Mandeb. Cette base peut suivre le mouvement des navires des marines chinoise et iranienne, de tous les navires commerciaux à destination de l’Europe, ainsi que procéder à la reconnaissance des infrastructures militaires et civiles du Pakistan.

En mai 2020, il a été signalé que les Emirats arabes unis avaient l’intention de construire une nouvelle base aérienne sur l’île volcanique de Perim, au large des côtes du Yémen. Cette base comprendra des installations de surveillance des pétroliers, comme pour la navigation commerciale de pointe sud de la mer Rouge au canal de Suez. On peut s’attendre à ce que l’apparition de QUAD-2 ait un certain impact sur l’Arabie saoudite afin de normaliser davantage ses relations avec Israël, après les Emirats arabes unis et Bahreïn.

L’administration américaine n’abandonne pas les tentatives de regroupement au Moyen-Orient sur la base des six monarchies du golfe Persique et de leur organisation régionale avec le Conseil de coopération des Etats arabes du golfe Persique, la soi-disant Otan arabe avec la participation de l’Egypte, de la Jordanie, du Maroc et d’autres Etats arabes. Déjà, ces pays sont approvisionnés en armes modernes par les Etats-Unis et l’Otan. Des dizaines de bases militaires y sont situées .

L’un des maillons de la nouvelle alliance pourrait être un système de défense antimissile régional similaire à EuroPRO. Il est possible que Washington parvienne éventuellement à établir une interaction entre «l’Otan arabe» avec Israël et la Turquie sous l’angle d’une menace commune de l’Iran. 

Ainsi, l’administration américaine, non seulement, n’abandonne pas ses intentions de maintenir ses positions au Moyen-Orient, mais compte, également, de plus en plus sur la constitution de nouveaux blocs et alliances pro-occidentales dans la région afin d’empêcher le renforcement de la Chine, de la Russie ou de l’Iran. Cette réalisation en gestion devrait naître dans un temps proche, ce qu’il reste à observer.

Aujourd’hui, on peut affirmer que presque tous les partenaires américains de la région adoptent une position neutre sur les événements en Ukraine et préfèrent s’abstenir de toute démarche pour rejoindre les sanctions restrictives occidentales contre la Fédération de Russie ou la remplacer sur le marché européen des hydrocarbures.

Olivier Renault

Observateur-Continental

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