Au sein de Public Citizen, Melinda Saint Louis est directrice des campagnes internationales du service chargé d’observer le commerce mondial. Cette organisation, qui est pour ainsi dire l’équivalent américain de 60 millions de consommateurs, est devenue en 44 ans d’existence l’un des plus grands groupes de défense des droits des consommateurs du pays et a fait de la lutte contre le traité transatlantique son cheval de bataille.Marianne : Les Etats-Unis ont déjà fait l’expérience d’un grand accord commercial, l’Accord de libre-échange nord-américain (l’Alena baptisé aussi Nafta en anglais). Depuis son entrée en vigueur en 1994, les effets pervers de cet accord au Mexique comme aux Etats-Unis sont régulièrement dénoncés. Craignez-vous, à terme, des effets similaires aux Etats-Unis et en Europe avec le Tafta ?
Melinda St. Louis : Nous faisons depuis plus de vingt ans l’expérience de l’Alena. Quand cet accord a été présenté à l’opinion publique, ses promoteurs arguaient qu’il allait créer des emplois et élever le niveau de vie dans les trois pays concernés (les Etats-Unis, le Canada et le Mexique, ndlr). Au final, il s’est avéré que l’accord a produit l’effet inverse. Le secteur industriel s’en est trouvé ravagé, ce qui a conduit à un grand nombre de licenciements et à une dépression générale des salaires. Les économistes sont tous d’accord pour dire que la politique commerciale américaine instaurée par l’Alena a considérablement creusé les inégalités. Quelle que soit la richesse créée par cet accord, elle n’est allée qu’aux 10 %, sinon les 1 % des citoyens les plus riches.
Au lieu de retenir les leçons du passé, nous craignons que le Tafta ne soit bâti sur le même modèle. Tout nous indique une similarité avec l’Alena : la manière dont se déroule les négociations, leur contenu tenu secret. Aux Etats-Unis, près de 500 conseillers d’entreprises ont un accès direct au contenu des négociations alors que l’opinion publique en a été écartée. Nous ne pouvons donc attendre du Tafta que les mêmes effets destructeurs que ceux provoqués par les anciens traités dont il s’inspire.A l’approche de l’élection présidentielle de 2016 pensez-vous que les candidats à la Maison-Blanche vont s’emparer du Tafta comme d’un objet de campagne ?
En effet, nous nous attendons à ce que la colère générée par les différents accords (Tafta, TPP…) ait des conséquences sur l’élection présidentielle de 2016. L’accent sera tout d’abord mis sur les dangers du Transpacific partnership (qui concerne les Etats-Unis et l’Asie, ndlr) du fait de son échéance toute proche. Il envisage d’instaurer, lui aussi, des tribunaux d’arbitrage privés (ISDS), des changements en matière de sécurité alimentaire, de la dérégulation financière, etc. De plus, Hillary Clinton a été forcée de s’allier avec des démocrates opposés à Barack Obama sur la question du « fast track trade authority », qui permet au président de déposer un accord international devant le Parlement sans que celui-ci puisse l’amender : il peut juste y opposer ou non son véto. Enfin, plusieurs républicains candidats à la Maison-Blanche se sont opposés à cette mesure et aux accords internationaux passés par Obama.En France et en Europe, de nombreuses organisations et hommes politiques réclament un arrêt pur et simple des négociations, plus encore depuis l’affaire des écoutes de l’Elysée par la NSA. Assiste-t-on à la même chose aux Etats-Unis ?
Les syndicats, les groupes de consommateurs, les organisations environnementales, les « fermes familiales », les défenseurs de la sécurité alimentaire, les féministes, les religieux et même les retraités, qui n’ont pas l’habitude de manifester, se sont mobilisés pour s’opposer au programme d’accords négociés par l’administration Obama. Et même si le TPP, par sa proche échéance, reste le plus discuté en ce moment, le Tafta reste un grand sujet de débats. Ensemble, nous avons appelé à la fin du secret qui l’entoure et pour un changement des négociateurs.Source et article complet sur Marianne