Être trop doué, un frein pour sa carrière

Promouvoir des clones dociles et couper les têtes qui dépassent… La frilosité et l’instinct de conservation de nos élites les conduisent à faire barrage aux profils originaux et brillants. Au passage, elles sacrifient un facteur de richesse essentiel à l’entreprise : la diversité.

Être brillant ne serait pas toujours payant. La recherche a montré en effet que les très bons éléments ont tendance à plafonner ou, pis, à être mis d’office sur le banc de touche. Un constat qui va à l’encontre des idées reçues et questionne la sin­cérité de la fameuse «chasse aux talents» dont les entreprises ont fait leur leitmotiv depuis quelques années. Appâter les meilleurs, chouchouter les hauts potentiels, s’entourer de cadors… En fait, le discours officiel sonne un peu creux quand on y regarde de près. Et mas­que une réalité inavouable, puisque les études prouvent que se montrer trop doué constitue en fait un frein à une belle carrière.

Conformité contre compétence. Précisons d’abord qu’il y a bon et bon. Pour schématiser, on pourrait classer les talents en deux catégories. D’un côté, on a le «premier de la classe» ou le bon à la française. Diplômé d’une grande école, il dispose d’une grosse capacité de travail, sait se conformer aux règles et maîtrise le bachotage comme personne. De l’autre, on a le bon atypique, qui rentre moins facilement dans les cases : il a un portefeuille de compétences à forte valeur ajoutée pour l’entreprise, des qualités personnelles supé­rieu­res à la moyenne, notamment en termes de capacités d’innovation et de leadership, mais il est plus difficilement soluble dans l’orga­ni­sation. C’est le parcours professionnel de ce second profil qui peut être semé d’embuches. Et ce, dès le recrutement car, à ce stade, la prime à la conformité prévaut : les profils atypiques trinquent dans nombre d’entreprise.

Des travaux récents du sociologue William Genieys confirment que les élites ont tout intérêt, pour renforcer leur domination, à trouver des successeurs qui s’inscriront dans la continuité plus que dans la rupture(1). La chercheuse Oumaya Hidri a, elle aussi, consacré un article à ce biais de conformité : les Sciences Po ont tendance à recruter des Sciences Po, les Essec des Essec… en faisant passer au second plan la personnalité ou les compétences réelles du candidat(2). Même parcours, mentalité proche : on pense ainsi limiter les erreurs de casting. En sacrifiant au passage la diversité.

Les qualités de ces «très bons» dérangent aussi et peuvent les desservir à l’embauche. Il ne faut jamais oublier qu’un manager est aussi un managé, il a donc lui-même des objectifs professionnels et a besoin d’être bien vu par sa hiérarchie. C’est pourquoi, en cas de recru­tement direct par le N+1, des considérations politiques vont venir biaiser l’entretien : et si, au lieu de renforcer ma position, ce candidat allait l’affaiblir ? S’il est vraiment aussi doué qu’il en a l’air, ne risque-t-il pas de me faire de l’ombre ou de remettre en cause ma légitimité ? En fin de compte, le choix du manager se portera rarement sur le type vraiment brillant ou charismatique.

Le risque de lèse-majesté est trop important à ses yeux. Et lorsqu’ils réussissent à passer à travers les mailles du filet, les plus doués ne progressent pas toujours comme ils le méritent. La faute, toujours, aux managers qui sont au cen­tre des processus d’évaluation et de formation. Bien que l’intention de les impliquer dans ces actions ait été bonne au départ – il s’agissait de renforcer leur légitimité et de les mobiliser davantage sur la partie RH –, on constate des dérives. La tentation est forte pour un manager de vouloir garder un collaborateur brillant bien au chaud dans son équipe. Pour ce faire, il dispose d’une arme de stagnation massive : l’entretien individuel d’évaluation. Et s’il est le seul à évaluer son subalterne (ce qui est souvent le cas), il lui est encore plus facile de le retenir.

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10 Commentaires

  1. Tu parles d’une découverte!
    .. et l’eau mouille!

    La grande majorité des bipèdes sont des êtres jaloux, envieux et fourbes, mais refusent de se l’entendre dire.
    …Et c’est valable dans tout les milieux sociaux professionnels ou non!

  2. Salut les moutons. Quitte à être doué autant être doué de bon sens, et surtout, de bonnes intentions.
    Petit coup de promo pour célébrer la publication de mon premier polar : Il faisait encore nuit
    Bon weekenge à tous !

  3. Un type brillant dans une grosse entreprise ne peut que stagner.
    Il fait bien son boulot, on peut le charger comme une mule, tandis que la Direction ne s’entoure que d’incapables pour être indétrônable.
    Mais comme toutes les grosses boites Françaises sont en train de couler, cela devrait s’arranger rapidement.

  4. Bon on se rapproche de la cinquième dimension
    QI Mortel

    https://www.youtube.com/watch?v=H8a3nOFeckI

  5. Les personnes qui ont une intelligences supérieure ont des idées différentes, qui dérangent les biens pensants, et peuvent bousculer les organisations… Bref peu de chances pour elles de se fondre dans le paysage monotone de la société.

  6. Le livre de Monique Beljanski est un réquisitoire implacable contre les dérives de la recherche, tant au CNRS qu’à l’institut Pasteur.
    (j’en parle brièvement ici (« Les vérités dogmatiques » / Recherche).
    Voici le blog de ceux qui ont repris le flambeau devant la cour européenne des droits de l’homme : http://beljanskiblog.com/wikipedia-beljanski-remettons-les-pendules-lheure/

  7. Longtemps, je me suis demandé pourquoi la plupart des gens exerçant à de hauts niveaux de responsabilité, voir dans des professions intellectuelles, étaient souvent d’une inculture crasse une fois sortis de leur domaine de compétence et souvent même, dans le leur.

    J’ai fini par conclure que :

    1- Le système favorise avant tout la vie de famille et donc la qualification acquise le plus tôt possible et la plus spécialisée possible. Ensuite, la plupart des gens n’ont simplement plus le temps ni la motivation pour se cultiver voir simplement mettre à jour leurs compétences. Et comme ils sont la majorité, ils n’ont aucun intérêt à favoriser un système qui renverrait l’ascenseur social. Ce qui rejoint le  » principe de Peter  » :

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Principe_de_Peter

    2 – Le système à besoin de récompenser une proportion de demeurés, incapables de penser par eux mêmes pour assurer sa propagande. Ou pire : des journalistes !

    • Merci pour le syndrome de Peter.
      En fait, c’est pire que ça, puisque pour un poste de responsabilité, il va vous être demandé de montrer une aptitude au conformisme, pour préserver l’osmose générale.
      Le système, ainsi, se sclérose.
      Mais au pays de l’argent roi et du profit aveugle, l’asservissement et l’incompétence des borgnes (étriqués dans leur suffisance égocentrique) est reine.

    • Le Principe de Peter ne modélise que le système administratif.
      Dans les entreprises privées, les dirigeants ne sont pas issus de la promotion sociale, mais recrutés comme tels dans des écoles spécialisées dans la formation d’incompétents.

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