A France Télécom, « il y a eu un harcèlement de masse, industriel, planifié, organisé ».. Par BastaMag..

Les dividendes des actionnaires sont plus important que l’humain. Employer des méthodes managériales ignobles, dignes de psychopathes, transformées en simple “harcèlement moral”, dédouane l’état et minimise la responsabilité des principaux mis en cause. Tout cela est arrivé, suite à la privatisation de France-Télécom, et à l’impossibilité de virer 22.000 personnes que leur statut de fonctionnaire protégeait. Ça a provoqué des dizaines de suicides et des centaines de milliers de harcelés. L’histoire qui est jugée est celle d’une centaine de milliers de personnes sur lesquelles fut organisée une pression systématique, afin qu’un cinquième d’entre eux craquent et se décident à partir. Ils peuvent tuer au nom du fric, même si ce n’est pas l’intention première. Partagez ! Volti

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Emmanuel Dockès pour BastaMag

Jusqu’au 12 juillet, se tient à Paris le procès d’anciens hauts dirigeants de la multinationale France Télécom, devenue Orange, accusés de harcèlement moral par une centaine de parties civiles. Pour rendre compte de ce procès exceptionnel, Basta ! et « la petite boîte à outils » de l’Union syndicale Solidaires vous proposent un suivi régulier des audiences par des chercheurs, écrivains, syndicalistes et dessinateurs. Emmanuel Dockès, professeur de droit à l’université Paris Ouest Nanterre, a assisté au quinzième jour d’audience.

Arrivé au tribunal de grande instance de Paris pour assister au procès France-Télécom/Orange, j’aperçois dans le hall du nouveau tribunal, encore tout neuf, en grandes lettres, la reproduction de l’article premier de la déclaration des droits de l’Homme : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. » Je glisse à mon voisin : « les fake news sont partout » en lui montrant cette réplique fanfaronnante de nos valeurs fondamentales. Comme beaucoup d’autres, j’entre donc ici un peu désabusé, mais conscient du caractère exceptionnel du procès auquel je m’apprête à assister.

Pour en arriver là, il a fallu des milliers de personnes meurtries

Les anciens dirigeants d’une très grande entreprise y sont poursuivis devant un tribunal correctionnel. Ils encourent des peines de prisons. Pour en arriver là, il a fallu des milliers de personnes meurtries et des dizaines de morts. Il a fallu abandonner en chemin une incrimination plus lourde, celle d’homicide involontaire, passible de trois ans d’emprisonnement. Il a fallu abandonner la responsabilité pénale des représentants de l’actionnaire majoritaire, l’État. Il a fallu lâcher du lest et se contenter de l’incrimination plus légère de harcèlement moral, qui n’était à l’époque des faits passible que d’un an d’emprisonnement. Mais tout de même, une très grande entreprise et ses principaux dirigeants, jugés pour des délits commis envers leurs subordonnés, c’est assez extraordinaire au sens propre.

Ce qui est jugé s’est déroulé de 2007 à 2010, au temps de la privatisation de France Télécom, devenue Orange, au temps des sinistres plans Act et NExT. L’objectif était alors de se séparer de 22 000 « collaborateurs » lesquels étaient encore pour beaucoup des fonctionnaires. Pour s’en débarrasser, avec les protections de leur statut, il était difficile de passer par le licenciement. Il fut donc convenu de faire pression sur eux pour qu’ils partent d’eux-mêmes. L’histoire qui est jugée est celle d’une centaine de milliers de personnes sur lesquelles fut organisée une pression systématique, afin qu’un cinquième d’entre eux craquent et se décident à partir. L’audience est consacrée à deux des moyens utilisés à cette fin.

Bombardements de mails invitant les salariés à changer de travail

Le premier, bien dans l’esprit d’une entreprise consacrée aux nouvelles technologies, a consisté à bombarder d’emails les boîtes de tous les employés pour leur présenter des métiers alternatifs, pour les inciter à faire des stages, à suivre des formations, à aller chercher du travail ailleurs. Ces emails furent envoyés plusieurs fois par semaine, depuis divers niveaux de la direction. Souvent le même email était envoyé plusieurs fois. La recherche de reclassements externes dans une entreprise qui entend réduire ses effectifs n’est pas un mal. Mais le bombardement hebdomadaire voire pluri-hebdomadaire de telles « opportunités » a un autre sens. Il rappelle avec constance aux employés qu’ils ne sont pas désirés, qu’ils ne sont pas utiles, qu’ils sont un poids et qu’on ne veut plus d’eux.

Le deuxième outil étudié à l’audience était celui des primes accordées aux cadres efficaces dans l’incitation au départ de leurs « collaborateurs ». Il fut alors question de « part variable » de la rémunération. Ces primes substantielles furent pour partie indexées sur des « cibles d’effectifs » ou sur des taux de « mobilité externe ». Des tableaux hebdomadaires de résultats, division par division, comptant un par un les départs obtenus comme autant de trophées, furent établis. On calcula des « taux de fluidité », qui sont des taux de personnes dont l’ancienneté est supérieure à cinq ans au même poste et qui sont, de ce fait, suspects de sclérose. On évalua le dynamisme des pressuriseurs, avec des « notes de gueules », selon les mots de Didier Lombard.

Certains cadres ont refusé d’obéir, ils ont été brisés

Certains cadres résistèrent pourtant à ce qui leur était demandé. J’en ai croisé un dans la salle d’audience, un qui n’a pas voulu faire pression, un qui a dit ouvertement qu’il n’accepterait que le départ des personnes vraiment volontaires. Il me raconte ce qui lui est advenu, dès son refus clairement exprimé : ses primes supprimées, ses collègues poussés à le calomnier, sa mise à l’écart, les longs mois où il fut totalement privé de travail, comment il fut brisé, comment il est passé à côté du suicide, juste à côté vraiment. Il raconte tout cela comme on raconte une honte, en demandant l’anonymat, en demandant qu’on l’appelle Alain ou Claude, tout en sachant que d’ici quelques jours son vrai nom apparaîtra car il lui faudra bien témoigner, lui aussi.

Il raconte la honte de ce qu’il n’a pas réussi à empêcher, la honte de ce qu’il a failli faire subir à ses proches en mettant fin à ses jours, la honte que ressentent toutes les vraies victimes. Quand je lui dis que moi, en le rencontrant, j’ai plutôt l’impression d’avoir rencontré un brave type, il s’en défend, limite il pleure. Il est de ces héros qui nous réconcilient avec l’humanité. Il est de ces héros qui n’apparaissent que dans les temps les plus sombres. Ce sont bien de temps sombres dont il est ici question.

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Source BastaMag

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Volti

4 Commentaires

  1. Pour cerner le problème si besoin, vous pouvez lire “DRH” de Didier Bille.
    Vous remonterez à la source et constaterez que le mal est issu de théories nées dans l’esprit torturé de maniaques cosmopolites dispensant ce poison comme tous les autres aux Gentils. Le NOM en marche, et depuis bien longtemps.
    Je me souviens des manisfestations des postiers qui refusaient le démantèlement du service public des communications, c’est à dire la séparation de France Telecom et de La Poste.
    Toute la presse présentait La Poste comme un boulet que traînait France Telecom. C’était on ne peut plus simpliste: d’un coté un fleuron technologique, de l’autre l’archaïsme, le courrier dont il fallait “se délester”.
    Du coup on ne se sentait plus pisser à France Telecom, et ils ne furent pas nombreux à manifester et soutenir les postiers. Ce qui leur est arrivé était largement prévisible.
    Aujourd’hui ceux qui ne soutiennent pas les GJ n’ont toujours pas compris que la mer monte inexorablement, et qu’ils seront nettoyés eux aussi, ce n’est qu’une question de temps.
    Personne n’est à l’abri, et quand ce sera leur tour, on leur tendra des mouchoirs, encore trop bons, trop cons.

    • https://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/plugins/wp-monalisa/icons/wpml_good.gif
      Le fameux “pas moi, pas moi…ouf c’est passé à coté… qu’est-ce que je suis bon”.

      • Oui, si je compatis à la douleur des familles endeuillées, ces cadres qui ont décidé d’en finir ont eux-mêmes appliqué à leur subordonnés les nouvelles théories de gestion du personnel qui les ont tués.
        On en a parlé car cela touchait des cadres, mais avant les cadres de plus petits employés, de moindre diplôme ou salaire ont morflé sans émouvoir personne.
        Et ce constat je l’ai fait aussi dans une autre forme avec l’éducation nationale:
        quand les profs se mettent en grève pour soutenir un collègue agressé par un bon élève (!), c’est que depuis longtemps les élèves subissent harcèlement, coups, racket… sous les yeux et dans l’indifférence totale de toute l’équipe enseignante. Ils ne se bougent que pour eux, quand la m…de atteint leurs chaussures.
        Trop tard, pauvres c…s, vous l’avez mérité, c’est la rançon de la lâcheté et de l’égoïsme.

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