Comment gérer le problème des victimes décédées du séisme et du tsunami japonais? Comment enterrer autant de corps dans ces zones dévastées, en utilisant des fosses communes. Si au moins cela s’arrêtait à cela, mais le nombre de victime va augmenter de manière exponentielle malheureusement, la nature a fait son oeuvre, reste les technologie humaines, la radioactivité qui ne va pas épargner les survivants…
Une pensée pour le Japon, pour ces victimes, pour leurs familles, pour ceux qui n’ont rien demandé et qui sont même oubliés dans cette catastrophe…
Dans certains villages, les corps sont jetés pêle-mêle dans une grande fosse, nus, sans cercueil. Une hérésie pour les Japonais.
Photo: Martin Leblanc, La Presse
Michèle Ouimet, envoyée spéciale
La Presse(Ishinomaki, Japon) Ishinomaki enterre ses morts. Dans le cimetière, des travailleurs creusent des fosses. Au fond, des cercueils alignés les uns contre les autres. Des boîtes blanches toutes simples. Sur certaines, des fleurs. Trois grues jettent de grandes pelletées de terre pour remplir la fosse.
Ishinomaki n’a pas le temps de faire dans la dentelle. Trop de morts: 2039, selon un premier bilan. Dans une ville de 162 000 habitants.
Normalement, les Japonais brûlent leurs morts. Mais en ces temps d’urgence extrême, ils doivent agir rapidement pour enterrer tous les cadavres. Dans certains villages, les corps sont jetés pêle-mêle dans une grande fosse, nus, sans cercueil. Une hérésie pour les Japonais.
Yukki Yotsukura a accepté d’être mon traducteur. Fin vingtaine, artiste, musicien, une âme sensible à fleur de peau. Il vit à Ishinomaki. Le drame qui a frappé sa ville l’a chaviré. Il a souvent les yeux pleins d’eau.
«Je suis incapable d’aller dans le cimetière, me prévient-il, mon oncle est enterré ici.»
Son oncle a joué de malchance. Lorsque la première vague a frappé, il a fui. Sa maison a été épargnée. L’eau s’est ensuite retirée. L’oncle en a profité pour se précipiter dans sa maison afin de récupérer la photo de sa femme, morte depuis plusieurs années. Lorsqu’il a serré le cadre dans ses bras, la vague est revenue avec plus de force, énorme, gigantesque. Elle a éventré sa maison.
Yukki a été bouleversé par la mort de son oncle. Lui aussi a vécu des heures difficiles. L’eau a envahi le rez-de-chaussée de sa maison. Il s’est réfugié au deuxième étage avec son père et sa grand-mère. Il a aperçu des corps à la dérive, ballottés par les eaux folles qui dévalaient sa rue à toute vitesse. Il a vu des gens qui tendaient désespérément la main vers lui. Yukki a été incapable de les sauver. Il s’est senti terriblement impuissant.
Pendant quatre jours, l’eau a encerclé sa maison et noyé une partie de la ville. Il a été obligé de plonger dans l’eau froide et puante qui envahissait le rez-de-chaussée pour fouiller dans les placards et ramasser de la nourriture. Il a pensé s’enfuir à la nage, mais il ne voulait pas abandonner sa grand-mère de 90 ans. Il est resté jusqu’à ce que l’eau se retire, laissant d’immenses traînées de boue. Prisonnier de sa maison pendant quatre jours, quatre interminables jours. Le tsunami a fait d’énormes dégâts. Au bord de la mer, le paysage est dantesque: carcasses de voitures noircies, maisons éventrées, enchevêtrement de bois et de métal à perte de vue, bateaux à l’envers. De la destruction pure, folle, meurtrière.
Loin du rivage, les maisons sont intactes, mais l’eau et la boue ont laissé des marques. Les rues sont sales. Shinomaki fonctionne au ralenti: les magasins sont fermés, il n’y a pratiquement pas d’eau ni d’électricité, encore moins d’essence. Le soir, la ville est plongée dans le noir, les rues sont désertes.
Il n’y a pas que les rues qui soient sales; les refuges aussi sont pratiquement insalubres. Trop de monde entassé dans des locaux étroits.
Il existe 211 refuges à Ishinomaki pour 28 000 personnes. Presque tous les refuges sont privés d’eau et d’électricité.
Rumi est excédée. Elle vit dans un refuge depuis 16 jours. Elle partage une salle de classe avec une trentaine de personnes. Elle n’en peut plus de manquer d’eau, de ne pas prendre de douche, de ne pas se laver les cheveux et d’avoir froid. L’école n’est pas chauffée.
Elle a deux filles âgées de 13 et 14 ans. Elle est divorcée et doit s’occuper de ses vieux parents. Le jour, elle part avec ses filles. Elles vont dans leur maison qui a été envahie par l’eau et la boue. Elles essaient de la nettoyer, mais la tâche est titanesque.
Le responsable du refuge l’admet sans détour: oui, l’école a des problèmes de salubrité. «Les gens ont la grippe, ils ont de la fièvre et ils toussent», explique Masahiro Takahashi.
Des boîtes de carton encombrent le corridor, une odeur d’urine flotte dans l’air. De la fenêtre, on aperçoit les toits de la ville. Une dame se promène en s’appuyant lourdement sur sa marchette, le souffle court; une vieille passe le balai dans les marches.Lorsqu’on entre dans l’hôtel de ville, une odeur fétide nous prend à la gorge. Plusieurs évacués squattent les corridors. Ils dorment sur le plancher ou dans les fauteuils. Il n’y a pas d’eau. Le bureau du maire, grand comme un paquebot, est au quatrième étage. Bibliothèques garnies, fauteuils rembourrés, grande table à café, ordinateur.
Le tsunami? Oui, oui, terrible, dit le maire, Hiroshi Kameyama, mais tout est sous contrôle. S’il a un problème, il décroche le téléphone et parle directement au premier ministre. Il admet que Ishinomaki a des allures de ville fantôme avec ses façades défraîchies, son bord de mer dévasté, ses refuges surpeuplés et ses magasins fermés, mais il reste optimiste. Ishinomaki sera reconstruit, petit à petit.
Combien de temps cela prendra-t-il?
«Deux, trois ans», répond-il sans hésiter. Puis il se ravise. «Complètement reconstruit? Dix ans.»
Source: cyberpresse.ca