Prôner la grève de l’électeur avec Octave Mirbeau

Source Nicolas Bonnal via Le Saker Francophone

Depuis deux siècles et demi nous nous faisons escroquer, ruiner, remplacer, exterminer et priver de nos libertés par nos élus, maires et députés, ministres et présidents. Cette fois sur fond de russophobie et de Reset nous allons y passer pour de bon et être liquidés par nos élus et ceux qui les ont mis là – comme candidats (RN y compris). Prônons la seule grève générale et totale qui compta alors : celle de l’électeur. Par Octave Mirbeau, écrivain anarchiste ami de Léon Bloy et inspirateur de Luis Buñuel. Le jour des élections mettez les piquets de grève : pas d’élu, pas de génocide et pas de guerre ; pas d’élu, pas de misère ; pas d’élu, pas de lois ; pas d’élus, pas de reset et pas de dette.

Mirbeau nous écrit :

Une chose m’étonne prodigieusement — j’oserai dire qu’elle me stupéfie, c’est qu’à l’heure scientifique où j’écris, après les innombrables expériences, après les scandales journaliers, il puisse exister encore dans notre chère France (comme ils disent à la Commission du budget) un électeur, un seul électeur, cet animal irrationnel, inorganique, hallucinant, qui consente à se déranger de ses affaires, de ses rêves ou de ses plaisirs, pour voter en faveur de quelqu’un ou de quelque chose. Quand on réfléchit un seul instant, ce surprenant phénomène n’est-il pas fait pour dérouter les philosophies les plus subtiles et confondre la raison ? Où est-il le Balzac qui nous donnera la physiologie de l’électeur moderne ? Et le Charcot qui nous expliquera l’anatomie et les mentalités de cet incurable dément ? Nous l’attendons.

Je comprends qu’un escroc trouve toujours des actionnaires, la Censure des défenseurs, l’Opéra-Comique des dilettanti, le Constitutionnel des abonnés, M. Carnot des peintres qui célèbrent sa triomphale et rigide entrée dans une cité languedocienne ; je comprends M. Chantavoine s’obstinant à chercher des rimes ; je comprends tout. Mais qu’un député, ou un sénateur, ou un président de République, ou n’importe lequel, parmi tous les étranges farceurs qui réclament une fonction élective, quelle qu’elle soit, trouve un électeur, c’est-à-dire l’être irrêvé, le martyr improbable, qui vous nourrit de son pain, vous vêt de sa laine, vous engraisse de sa chair, vous enrichit de son argent, avec la seule perspective de recevoir, en échange de ces prodigalités, des coups de trique sur la nuque, des coups de pied au derrière, quand ce n’est pas des coups de fusil dans la poitrine, en vérité, cela dépasse les notions déjà pas mal pessimistes que je m’étais faites jusqu’ici de la sottise humaine, en général, et de la sottise française en particulier, notre chère et immortelle sottise, ô chauvin !

Il est bien entendu que je parle ici de l’électeur averti, convaincu, de l’électeur théoricien, de celui qui s’imagine, le pauvre diable, faire acte de citoyen libre, étaler sa souveraineté, exprimer ses opinions, imposer — ô folie admirable et déconcertante — des programmes politiques et des revendications sociales ; et non point de l’électeur « qui la connaît » et qui s’en moque, de celui qui ne voit dans « les résultats de sa toute-puissance » qu’une rigolade à la charcuterie monarchiste, ou une ribote au vin républicain. Sa souveraineté à celui-là, c’est de se pocharder aux frais du suffrage universel. Il est dans le vrai, car cela seul lui importe, et il n’a cure du reste. Il sait ce qu’il fait. Mais les autres ?

Ah ! oui, les autres ! Les sérieux, les austères, les peuple souverain, ceux-là qui sentent une ivresse les gagner lorsqu’ils se regardent et se disent : « Je suis électeur ! Rien ne se fait que par moi. Je suis la base de la société moderne. Par ma volonté, Floquet fait des lois auxquelles sont astreints trente-six millions d’hommes, et Baudry d’Asson aussi, et Pierre Alype également. » Comment y en a-t-il encore de cet acabit ? Comment, si entêtés, si orgueilleux, si paradoxaux qu’ils soient, n’ont-ils pas été, depuis longtemps, découragés et honteux de leur œuvre ? Comment peut-il arriver qu’il se rencontre quelque part, même dans le fond des landes perdues de la Bretagne, même dans les inaccessibles cavernes des Cévennes et des Pyrénées, un bonhomme assez stupide, assez déraisonnable, assez aveugle à ce qui se voit, assez sourd à ce qui se dit, pour voter bleu, blanc ou rouge, sans que rien l’y oblige, sans qu’on le paye ou sans qu’on le soûle ?

À quel sentiment baroque, à quelle mystérieuse suggestion peut bien obéir ce bipède pensant, doué d’une volonté, à ce qu’on prétend, et qui s’en va, fier de son droit, assuré qu’il accomplit un devoir, déposer dans une boîte électorale quelconque un quelconque bulletin, peu importe le nom qu’il ait écrit dessus ?… Qu’est-ce qu’il doit bien se dire, en dedans de soi, qui justifie ou seulement qui explique cet acte extravagant ? Qu’est-ce qu’il espère ? Car enfin, pour consentir à se donner des maîtres avides qui le grugent et qui l’assomment, il faut qu’il se dise et qu’il espère quelque chose d’extraordinaire que nous ne soupçonnons pas. Il faut que, par de puissantes déviations cérébrales, les idées de député correspondent en lui à des idées de science, de justice, de dévouement, de travail et de probité ; il faut que dans les noms seuls de Barbe et de Baïhaut, non moins que dans ceux de Rouvier et de Wilson, il découvre une magie spéciale et qu’il voie, au travers d’un mirage, fleurir et s’épanouir dans Vergoin et dans Hubbard des promesses de bonheur futur et de soulagement immédiat. Et c’est cela qui est véritablement effrayant. Rien ne lui sert de leçon, ni les comédies les plus burlesques, ni les plus sinistres tragédies.

Voilà pourtant de longs siècles que le monde dure, que les sociétés se déroulent et se succèdent, pareilles les unes aux autres, qu’un fait unique domine toutes les histoires : la protection aux grands, l’écrasement aux petits. Il ne peut arriver à comprendre qu’il n’a qu’une raison d’être historique, c’est de payer pour un tas de choses dont il ne jouira jamais, et de mourir pour des combinaisons politiques qui ne le regardent point.
Que lui importe que ce soit Pierre ou Jean qui lui demande son argent et qui lui prenne la vie, puisqu’il est obligé de se dépouiller de l’un, et de donner l’autre ? Eh bien ! non. Entre ses voleurs et ses bourreaux, il a des préférences, et il vote pour les plus rapaces et les plus féroces. Il a voté hier, il votera demain, il votera toujours. Les moutons vont à l’abattoir. Ils ne se disent rien, eux, et ils n’espèrent rien. Mais du moins ils ne votent pas pour le boucher qui les tuera, et pour le bourgeois qui les mangera. Plus bête que les bêtes, plus moutonnier que les moutons, l’électeur nomme son boucher et choisit son bourgeois. Il a fait des Révolutions pour conquérir ce droit.

Ô bon électeur, inexprimable imbécile, pauvre hère, si, au lieu de te laisser prendre aux rengaines absurdes que te débitent, chaque matin, pour un sou, les journaux grands ou petits, bleus ou noirs, blancs ou rouges, et qui sont payés pour avoir ta peau ; si, au lieu de croire aux chimériques flatteries dont on caresse ta vanité, dont on entoure ta lamentable souveraineté en guenilles, si, au lieu de t’arrêter, éternel badaud, devant les lourdes duperies des programmes ; si tu lisais parfois, au coin du feu, Schopenhauer et Max Nordau, deux philosophes qui en savent long sur tes maîtres et sur toi, peut-être apprendrais-tu des choses étonnantes et utiles. Peut-être aussi, après les avoir lus, serais-tu moins empressé à revêtir ton air grave et ta belle redingote, à courir ensuite vers les urnes homicides où, quelque nom que tu mettes, tu mets d’avance le nom de ton plus mortel ennemi. Ils te diraient, en connaisseurs d’humanité, que la politique est un abominable mensonge, que tout y est à l’envers du bon sens, de la justice et du droit, et que tu n’as rien à y voir, toi dont le compte est réglé au grand livre des destinées humaines.

Rêve après cela, si tu veux, des paradis de lumières et de parfums, des fraternités impossibles, des bonheurs irréels. C’est bon de rêver, et cela calme la souffrance. Mais ne mêle jamais l’homme à ton rêve, car là où est l’homme, là est la douleur, la haine et le meurtre. Surtout, souviens-toi que l’homme qui sollicite tes suffrages est, de ce fait, un malhonnête homme, parce qu’en échange de la situation et de la fortune où tu le pousses, il te promet un tas de choses merveilleuses qu’il ne te donnera pas et qu’il n’est pas d’ailleurs, en son pouvoir de te donner. L’homme que tu élèves ne représente ni ta misère, ni tes aspirations, ni rien de toi ; il ne représente que ses propres passions et ses propres intérêts, lesquels sont contraires aux tiens. Pour te réconforter et ranimer des espérances qui seraient vite déçues, ne va pas t’imaginer que le spectacle navrant auquel tu assistes aujourd’hui est particulier à une époque ou à un régime, et que cela passera. Toutes les époques se valent, et aussi tous les régimes, c’est-à-dire qu’ils ne valent rien. Donc, rentre chez toi, bonhomme, et fais la grève du suffrage universel. Tu n’as rien à y perdre, je t’en réponds ; et cela pourra t’amuser quelque temps. Sur le seuil de ta porte, fermée aux quémandeurs d’aumônes politiques, tu regarderas défiler la bagarre, en fumant silencieusement ta pipe.

Et s’il existe, en un endroit ignoré, un honnête homme capable de te gouverner et de t’aimer, ne le regrette pas. Il serait trop jaloux de sa dignité pour se mêler à la lutte fangeuse des partis, trop fier pour tenir de toi un mandat que tu n’accordes jamais qu’à l’audace cynique, à l’insulte et au mensonge.

Je te l’ai dit, bonhomme, rentre chez toi et fais la grève.

Octave Mirbeau – 1888

Source Nicolas Bonnal via Le Saker Francophone

13 Commentaires

  1. Ah, que ça me fait plaisir de retrouver sous les traits de Nicolas Bonnal, ceux de l’un de mes auteurs préféré, Octave Mirbeau ! Je conseille, outre « Sébastien Roch » et « l’Abbé Jules », l’hyper acide « Les 21 jours d’un neurasthénique ». Extraordinaire Mirbeau !

    • Bonjour Rod, Le criminel, c’est l’électeur ! Il est dans les archives du blog, ayant été publié plusieurs fois 😉 Pour éviter les recherches un lien vers la publication
      1906, Albert Libertad publie ce texte virulent dans l’Anarchie, un journal qu’il a lui-même fondé une année auparavant. La charge est violente à l’égard des électeurs. Les mots sont crus et la lecture brutale. Mais le texte est à la hauteur de l’accusation. L’électeur est coupable de collaborer à sa propre aliénation politique.
      https://blogs.mediapart.fr/deux-mots/blog/050517/le-criminel-c-est-l-electeur
      Édit : Je le repropose, ça fera du bien… 🙂

      • Bonjour Volti. Toute ma jeunesse, Libertad, Mirbeau, Zweig… Et tant d’autres magnifiques anonymes. C’était l’époque où j’apprenais à lire et à écrire, vers mes vingt ans. Ineffaçable ! Bises.

        • Dommage que ça n’intègre les cerveaux, pourtant une simple analyse sans préjugé, démontre la logique de cette déclaration (parmi tant d’autres) Reposes toi bien. Bisous 🙂

  2. Bonjour,
    je retient cette phrase  » L’électeur est coupable de collaborer à sa propre aliénation politique. »
    Quand nous serons éliminés , qui va travailler et nourrir tous ces parasites ???
    Pour ma part je ne vote plus pour les législatives………….!!!

    • je suis ok avec toi ,nous allons plus allez, se vautrais , a https://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/plugins/wp-monalisa/icons/wpml_bye.gifl’élection

    • Tout est là. Avant tout il faut être votant, votant sur sa propre façon de voir l’avenir. Être électeur, cela ne sert à RIEN qu’à autoriser d’autres à décider du devenir de tous. Tout simplement inacceptable.
      https://ti1ca.com/rhqng11c-travaux-NB9-travaux_NB9.pdf.html
      Là, on peut discuter. On peut remarquer que « les Grands Décideurs » ne veulent surtout pas qu’on discute aussi bien que, comme Siéyes le 7 septembre 1789, les membres du Peuple OSENT discuter ce que l’oligarchie a DÉCIDÉ. Quelle horreur !.

  3. Quoiqu’il dise, quoiqu’il fasse, l’électeur est toujours victime de son propre vote !…

  4. bonjour volti
    Dommage que ça n’intègre les cerveaux, pourtant une simple analyse sans
    Yannick Jaffré est professeur agrégé de philosophie, essayiste et… Gilet Jaune ! Il revient dans cet entretien sur cette révolte populaire qui a fait trembler la Macronie et sur la possibilité qu’elle ressurgisse un jour. Entretien mené par Vincent Lapierre.
    https://www.youtube.com/watch?v=JZUYffTjCaQ
    j’aimerais bien avoir vos avis ,et que fair

    • Il y a une erreur fondamentale commise par les gilets jaunes, c’est d’avoir refuser de se structurer, d’avoir un « porte parole », de faire confiance en ceux qui avaient une conscience politique affirmée. De ce fait, il y a eu un mouvement très disparate, chacun faisant ce qu’il voulait, quand il voulait. J’ai assisté à des moments complètement délirants où, les « chefs » des ronds points alentour, venaient faire leur propagande, espérant « débaucher » les acteurs d’un point pour en grossir un autre. S’il y avait eu coordination, ces idioties n’auraient pas eu lieu.

      • Chère Volti, à Nantes j’ai assisté à des scènes affligeantes. Des réunions où tout était manipulé, et où les résultats ont été REFUSÉS comme manipulés.
        Justement, habitués ux manipulations par d’autres réunions sur le thème de Notre-Dame-des-Landes, nous savions à quoi nous en tenir. L’information est un continuel combat, un combat de VIVE FORCE tant c’est violent.
        .
        Je pense que nos amis des Moutons n’imaginent pas à qul point c’est violent. Plus grave : ce n’est-ce pas d’hier. Je pense que, fréquenteur du Net de longue date, je considère à quel point c’est terrible.
        .

        Là-dessus, Volti, peut-on se contacter plus directement ?

        • C’est là que j’ai vu l’anarchie dans le sens le plus négatif du terme. L’ordre sans les ordres, un pour tous et tous pour un, n’est pas vraiment la voie qui a été choisie..
          Pas de souci, je te fais coucou 😉

  5. La France utilise aussi Dominion pour tricher, et Dominer !
    En d’autres termes, voter ou pas, c’est « eux » qui voterons a votre place.

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