Du plutonium est en partance pour le Japon. Alors que, deux ans après Fukushima, populations et autorités locales se débattent toujours face aux contaminations radioactives, un convoi nucléaire, affrété par Areva, doit appareiller mi-avril de Cherbourg vers l’archipel japonais. Pourquoi l’entreprise continue-t-elle à exporter du combustible nucléaire vers un pays traumatisé ? Quels sont les enjeux commerciaux et industriels qui se cachent derrière le Mox ? Et les menaces potentielles que fait planer ce business nucléaire ? Enquête.
Les exportations de combustibles nucléaires reprennent vers le Japon. Après deux ans d’interruption, liée à la catastrophe nucléaire de Fukushima, Areva s’apprête à y expédier une nouvelle cargaison de « Mox », alors même que les contaminations radioactives se poursuivent. Le Mox, c’est cet assemblage d’uranium appauvri et de plutonium, fabriqué par l’usine Melox, située sur le site de Marcoule, dans le Gard. C’est aussi un combustible vivement critiqué par les écologistes ainsi que par des experts indépendants, pour sa haute toxicité et les nombreux problèmes de sûreté nucléaire qu’il pose. Pourquoi Areva s’entête-t-elle à fabriquer et à commercialiser du Mox ? Pourquoi en expédier au Japon, alors même que du Mox a probablement fondu au sein de l’un des réacteurs de la centrale de Fukushima, contribuant à disperser du plutonium alentour ? Quels sont les enjeux qui se cachent derrière ce combustible hautement dangereux ?
Un assemblage de Mox contient environ 500 kg de matières fissiles sous forme de « crayon », dont 7% à 9% de plutonium. Un seul assemblage permettrait, selon Areva, « d’alimenter en électricité une ville de 100 000 habitants pendant un an ». Cette évaluation semble très optimiste, et correspondre à un rendement tout à fait théorique : cela signifierait qu’un seul réacteur, qui compte entre 120 et 250 assemblages en activité dans sa cuve, serait capable de produire assez d’énergie pour alimenter en électricité 12 à 25 millions d’habitants par an. La France comptant 58 réacteurs, elle pourrait, selon le chiffre d’Areva, fournir en électricité entre 696 millions et 1,45 milliard d’habitants… Les calculs de Jean-Claude Zerbib, ancien ingénieur au Commissariat à l’énergie atomique (CEA, principal actionnaire d’Areva), arrivent à une conclusion assez différente : un assemblage produirait en énergie électrique « de quoi alimenter pendant un an 15 736 habitants et non 100 000 », au vu de la consommation d’électricité par an et par habitant en 2009. [1]
Le Mox : recyclage et paix dans le monde…
Malgré un rendement discutable, l’avantage commercial principal du Mox, comparé aux assemblages classiques d’uranium enrichi, c’est qu’il permet à Areva de retraiter et de « valoriser » une partie du plutonium produit lors de la fission de l’uranium dans les réacteurs nucléaires, et considéré comme des déchets hautement dangereux. Plus Areva écoule du Mox, plus elle économise d’uranium naturel importé du Niger ou du Kazakhstan. Car comme bien d’autres matières premières, les réserves d’uranium s’épuisent : il en resterait pour 51 années de consommation mondiale, au rythme actuel. « Le Mox est un produit performant issu du recyclage. Il permet de diversifier son portefeuille de combustibles », vante ainsi le site de l’entreprise française.
Le Mox œuvrerait également pour la paix dans le monde : le programme « Mox for peace » (« Mox pour la paix ») concocté par Areva « vise à éliminer des stocks de plutonium américain excédentaires issus de la Guerre froide, en les utilisant comme combustibles civils dans des centrales nucléaires ». Sans oublier les emplois générés par la production de Mox à l’usine de Cadarache : 1 300 emplois directs et indirects. Bref, le Mox crée des emplois, favoriserait un développement durable et contribuerait à la non-prolifération nucléaire. Voilà pour le côté marketing. Qui n’est que la vitrine d’une stratégie à long terme.
Avec plus de 90% de parts de marché mondial pour la vente de Mox, Areva occupe une position de quasi-monopole. Depuis 1987, 6 500 assemblages de ce combustible ont été produits et commercialisés par l’usine Melox. Le Mox constitue aujourd’hui une partie du combustible [2] de 41 réacteurs dans le monde, dont 21 en France, soit 10% du parc nucléaire mondial. Combien rapporte sa vente à Areva ? Les estimations sont très rares. L’entreprise ne précise aucun montant lorsqu’elle communique sur ses contrats d’exportation. Le coût d’un assemblage « classique », à l’uranium naturel enrichi, oscille entre 850 000 et un million d’euros, selon les documents d’Areva.
Pour le Mox, certaines sources avancent un coût quatre à cinq fois supérieur [3]. Un assemblage de Mox pourrait donc se vendre entre un et cinq millions d’euros. En 2011, 298 assemblages de Mox ont été produits à Marcoule. Cela représenterait donc un coût de fabrication compris entre 300 millions et 1,5 milliards d’euros. Cela donne une première estimation du prix de vente auquel il conviendrait d’intégrer la marge que dégage la multinationale et le coût du retraitement.
Du Mox fondu à Fukushima
Ce « produit performant » pose cependant bien des problèmes. La radioactivité du Mox, même « usé », demeure beaucoup plus forte que celle de l’uranium. Hautement radiotoxique, le plutonium n’existe pas à l’état naturel. La dose annuelle limite en cas d’inhalation de plutonium par un adulte est fixée à 1 millième de microgramme. Et sa période radioactive s’étire, en fonction des isotopes, de 88 ans à… 80,8 millions d’années ! « Ce combustible est un million de fois plus radioactif que l’uranium de base. Sa radioactivité et sa plus grande chaleur rendent sa manipulation complexe. En cas de perte du système de refroidissement, sa présence dans le réacteur et dans les piscines aggrave les conséquences possibles », décrit Bernard Laponche, physicien nucléaire et cofondateur de l’association scientifique Global Chance.
Le Mox était présent au sein du réacteur n°3 de la centrale de Fukushima, lors de la fusion du coeur après le tsunami du 11 mars 2011. 32 assemblages de Mox [4], pouvant contenir jusqu’à 1,3 tonne de plutonium, auraient donc partiellement ou totalement fondu. Deux ans plus tard, on ne sait toujours pas si ce magma de matières fissiles hautement abrasives et radioactives – appelé corium – est resté confiné au sein de la cuve du réacteur, ou s’il en a débordé. Et quelle quantité d’eau, chargée de radioactivité et de plutonium, s’est déversée dans l’océan.
Autre problème posé par le Mox : son refroidissement. Les combustibles Mox « doivent être refroidis beaucoup plus longtemps en piscines près des réacteurs (au minimum 2,5 ans contre 6 mois à 1 an pour les combustibles à uranium) et le temps total de refroidissement est environ 10 fois plus long : 50 ans au lieu de 5 à 10 ans) », explique Bernard Laponche. Heureusement, selon l’entreprise japonaise Tepco, la piscine du réacteur n°3 – qui sert à refroidir le combustible usé déchargé du cœur – ne contenait pas de Mox. Endommagée par une explosion d’hydrogène, cette piscine angoisse régulièrement l’exploitant du site. Son système de refroidissement vient à nouveau de subir une panne le 5 avril. Et les fuites d’eau radioactive, provenant des trois réacteurs endommagés ou des citernes de stockage, sont quasi hebdomadaires.
« Le cynisme n’a pas de limites pour Areva »
C’est donc une charmante cargaison qu’Areva a décidée d’expédier au Japon. Le convoi devrait quitter le port de Cherbourg mi-avril, à bord de deux navires de la compagnie britannique Pacific Nuclear Transport Limited, pour un périple de deux mois. Destination : la centrale nucléaire de Takahama, sur la côte occidentale de l’archipel, dont le redémarrage est prévu en juillet. Business is business : Areva honore ainsi les contrats qu’elle a signé avec huit compagnies d’électricité japonaises pour alimenter quatre réacteurs nucléaires en Mox.
« Les habitants se battent au quotidien contre la radioactivité pour tenter désespérément de décontaminer des villages et écoles. Dans la centrale de Fukushima des centaines d’ouvriers et ingénieurs tentent en vain de stabiliser la situation. (…) En expédiant malgré tout leur dangereuse et inutile marchandise, Areva et les autorités françaises veulent pousser les autorités japonaises à redémarrer plus de réacteurs », critique Greenpeace qui demande l’annulation du transport. « Le cynisme n’a pas de limites pour Areva. Après avoir contribué à la contamination massive, puis s’être fait pompier-pyromane en décrochant le marché de la dépollution des eaux radioactives de Fukushima, elle se prépare maintenant à envoyer de nouveau du Mox au Japon ! », dénonce de son côté le Réseau sortir du nucléaire.
Toujours plus de déchets radioactifs
Areva, associée à Véolia, avait effectivement obtenu un premier contrat de décontamination et envoyé à Fukushima une station d’épuration mobile améliorée. A grand renfort de produits chimiques, ses promoteurs promettaient que la station était capable de traiter « avec succès » plusieurs dizaines de milliers de m3 d’eau contaminée et d’en séparer les éléments radioactifs [5]. Le « succès » annoncé n’a pas été au rendez-vous. Un an et demi plus tard, les eaux contaminées ont continué de s’accumuler dans les bâtiments et les citernes. Areva et Véolia ont été remplacées par Toshiba [6] pour tenter de décontaminer les 270 000 tonnes d’eau radioactives stockées. Le système développé par Areva et Veolia aurait coûté 450 millions d’euros à Tepco, dont « près de 67 millions d’euros » au profit d’Areva, selon le président de la branche Japonaise de la multinationale, Rémy Autebert [7]. Il demeure plus aisé d’envoyer du Mox.
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tant que le pognon sera le 1er facteur de décisions….
Ils sont beaux les bisounours.
Bienvenue dans le monde des grands, les enfants!
Et ditent merci à vos papas…
Le MOX est le pire de tous mais il représente pour la France une richesse colossale. Vous avez en stock des tonnes de déchets de quoi faire de vous l’arabie saoudite du plutonium.
Voilà pourquoi la France est à la tête du lobby nucléaire, construit des EPR conçu pour utiliser le MOX.
La France est son industrie nucléaire tient le marché d’extraction, la technologie des centrales, et la gestion du recyclage du combustible.
La France sera certainement le dernier pays qui abandonnera la nucléaire et elle sera aussi sans doute toujours fermée et hostile à l’utilisation du Thorium ou de la fusion froide. (En plus qu’elle veut faire aboutir sa fusion chaude à Cadarache… ils peuvent encore rêver).
Ben oui,
C’est toujours comme ça les dictatures, fusse-t’elle lobbyiste.