Ce qui m’inquiète, c’est la conséquence possible d’une catastrophe naturelle majeure en France puisque ne nous leurrons pas, c’est une probabilité, la France pourrait-elle rejouer le scénario japonais? Des pays à l’heure actuelle ont décidé de mettre fin au nucléaire, la sagesse même au travers de cette décision à contrario de la France qui continue à nous imposer cette énergie pour cause de « gros bizness », comment renverser la vapeur? En renversant les pouvoirs?
Que la France décide ou non de sortir du nucléaire, elle sera tôt au tard confrontée au démantèlement de ses 58 centrales nucléaires vieillissantes. Une problématique que connaît bien l’anthropologue et philosophe Christine Bergé, qui a enquêté sur le chantier de déconstruction du surgénérateur Superphénix. Pour elle, démanteler une centrale, c’est entrer dans un rapport au temps particulier, où mémoire et informations se perdent face à une tâche gigantesque. Et on ne « déconstruit » pas une centrale : on enrobe, on éparpille, on disperse. Entretien.
Basta ! : Pourquoi avoir écrit Superphénix, déconstruction d’un mythe ?
Christine Bergé : C’est le premier livre qui décrit de façon tout à fait lisible, pour le grand public, le fonctionnement d’une centrale nucléaire ainsi que son démantèlement. Dans cet ouvrage, je déchiffre les aspects symboliques qui entourent ce qui était considéré à l’époque comme le plus grand surgénérateur du monde [1]. Ayant beaucoup travaillé sur la réanimation en milieu hospitalier, j’ai abordé Superphénix comme un organisme vivant que l’on accompagne en fin de vie. Quand je suis entrée pour la première fois dans les bâtiments de la centrale, j’ai tout de suite remarqué qu’aucune horloge n’était à l’heure. C’était comme si la centrale somatisait. Pour les travailleurs du site, cela veut dire qu’il y a un arrêt du temps dans leur existence. J’ai également saisi qu’ils avaient du mal à avancer dans le temps de la déconstruction.
Quel enseignement principal tirez-vous de votre enquête ?
J’ai veillé à être extrêmement réaliste dans ma description des travaux et de la réalité vécue par les travailleurs, tout en analysant l’arrière-fond « inhumain » : avec le nucléaire, nous sommes dans des temps très longs, immémoriaux, qui sont hors de l’histoire et dépassent tout le monde. Malgré toutes les précautions prises lors de tels chantiers, le temps des radionucléides – qui peuvent durer jusqu’à plusieurs millions d’années – est ingérable. Le problème de la mémoire se pose inévitablement.
Comment se gère ce rapport au temps dans le cadre de la déconstruction d’une centrale ?
Tout est archivé, sur ordinateur ou sur papier, mais lire toutes les archives est strictement impossible. Une partie de l’information se perd. Par exemple, nous n’avons pas pu retrouver la trace de tous les architectes de Superphénix ! Or, pour la déconstruction, revoir entièrement ce qui a été fait dans le passé est une obligation. Entre la construction et la déconstruction d’une centrale, il peut s’écouler un demi-siècle. De plus, les centrales nucléaires ne sont pas conçues pour être déconstruites. Autrement dit, on déconstruit à partir de rien, on est obligé de tout inventer.
La perte de mémoire est inhérente à la déconstruction et, plus encore, au fonctionnement même des humains. Et dans l’industrie nucléaire, cela peut s’avérer dramatique. Pour Superphénix, les choses se passent relativement bien, car c’est une centrale jeune, en bonne santé et qui a très peu fonctionné. Mais la centrale de Tchernobyl ne peut pas être déconstruite. Et personne ne pourra jamais déconstruire Fukushima non plus.
En quoi Superphénix est-il un mythe ?
Le nom de Superphénix renvoie à une figure mythique : c’est l’oiseau qui renaît de ses cendres. Avec ses 1 200 MW, le surgénérateur de Creys-Malville devait être le plus puissant du monde, capable de se régénérer en permanence. Il était présenté comme le fin du fin de la technologie nucléaire. Et la déconstruction même d’une centrale est un mythe. On déconstruit mais on ne résout pas le problème de la radioactivité pour autant. Une centrale est en réalité une gigantesque poubelle dont on disperse les éléments. Du moindre gant en latex jusqu’à certains composants pouvant mesurer 15 m de long et qui ont baigné dans du sodium irradié. Tout cela ne peut pas être déconstruit. Les déchets de déconstruction sont enrobés et mis en terre ou envoyés dans des filières dédiées. Mais on ne fait qu’enrober.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué lors de vos visites de Superphénix ?
En premier lieu, le gigantisme et la beauté de la technique nucléaire, qui sont proprement fascinants. Je pense que les personnes qui y travaillent sont constamment dans un vertige de puissance. Ensuite, c’est l’extrême rigueur à laquelle sont soumis les travailleurs. Il y a une culture de la sûreté très exigeante. Mais, en réalité, on est obligé de tirer financièrement par tous les bouts : EDF fait appel à la sous-traitance, qui à son tour est mal payée, etc. Ce qui m’a frappée, c’est la disproportion entre la bonne volonté des humains et la réalité de la tâche à accomplir, qui est absolument monstrueuse.
Quelles sont les pressions exercées sur ceux qui déconstruisent ?
Il existe des pressions financières énormes au niveau des directions car le démantèlement est horriblement coûteux, et l’argent, rare. Au niveau des prestataires également, puisque sera choisi celui qui fera le meilleur travail au moindre coût. Il y a aussi une pression sur l’information : on ne peut pas tout dire. Les partisans de l’atome aiment à faire croire que le nucléaire est incompréhensible. Mais c’est faux. On veut cacher au public la compréhension de la technologie. Plus encore, on ne peut pas tout se dire. Au-delà des contraintes réglementaires, les travailleurs qui œuvrent en zone contaminée ne peuvent pas à la fois gérer le danger et accepter de prendre de la dose. Parmi ceux qui travaillent avec la claire conscience du danger, certains vont jusqu’à se suicider.
Au vu de ces constats, le nucléaire est-il selon vous une aberration dans nos sociétés ?
Absolument. On développe des techniques sans jamais mesurer leurs impacts sur les humains. Cela est vrai pour toutes les industries dangereuses. Mais, avec le nucléaire, c’est pire encore puisque les radionucléides, dont certains peuvent se révéler mortels, ont des durées de vie comparables à celle de la planète… Il est donc tout simplement impossible de les gérer. Prenons le cas du plutonium. Nous sommes en train d’en accumuler partout dans le monde, mais nous ne savons absolument pas quoi en faire. Si vous en inhalez ne serait-ce que quelques grammes, vous êtes mort. Il est important de dire que les radionucléides naturels les plus dangereux ne sont rien à côté des radioéléments fabriqués artificiellement dans les cœurs des réacteurs.
Quels sont les principaux risques nucléaires ?
Les accidents représentent la première dangerosité. Ils peuvent avoir plusieurs causes : la négligence humaine, l’attentat terroriste, la catastrophe naturelle, comme à Fukushima. Le calcul de la probabilité de survenue d’un accident nucléaire n’est en réalité que le calcul des facteurs de risque, ce qui veut donc dire que l’on ne peut pas prévoir l’accident, lequel, par définition, surviendra à un endroit et à un moment que l’on n’avait pas prévus. Le danger pour le corps humain est également gravissime. Les radionucléides pénètrent dans tous les organes. Là aussi, les institutions internationales, comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), qui marchent main dans la main, nous noient dans un océan de calculs. Après l’accident de Tchernobyl, ils ont relevé les seuils de radioactivité que les individus pouvaient recevoir. C’est affreux. Au lieu d’admettre qu’ils ne pouvaient pas gérer la situation, ils ont augmenté les seuils de supportabilité humaine…
Et troisième risque, la contamination radioactive, chronique et accumulative. À la différence de la fumée, qui s’évapore dans l’air, la radioactivité, elle, ne disparaît jamais totalement. Elle s’éparpille. Même si l’activité nucléaire mondiale s’arrêtait aujourd’hui, nous sommes condamnés à vivre dans un environnement virtuellement mutagène. L’irradiation radioactive est une pollution. Et nous sommes dans une inertie polluante. Le véritable problème est cette acceptation de l’irradiation chronique, car on est en train de transformer la notion d’accident : il devient un simple aléa du nucléaire. On le dédramatise, à l’instar de ce qui est fait avec les effets des faibles doses. Pour preuve, on ne parle déjà plus aujourd’hui de Fukushima, alors que Tchernobyl, en son temps, était une catastrophe effroyable.
Les responsables politiques français sacralisent-ils l’énergie nucléaire ?
Ce qui est sacré pour qui maîtrise l’énergie nucléaire, c’est le pouvoir qu’elle confère : les lignes de force des alliances, la potentialité de guerre, la possibilité de menacer l’autre à égalité. Ce n’est pas l’énergie nucléaire elle-même. Cette dernière, en revanche, est sacralisée par les acteurs du nucléaire – les ingénieurs des Mines, du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), des organismes de recherche sur l’atome, les militaires, etc. –, qui pensent réellement qu’on ne peut pas faire autrement. Il y a cinquante, soixante ans, régnait une grande mythologie du nucléaire. C’était l’énergie irradiante de l’avenir. Maintenant que sa dangerosité est avérée, il est forcément moins sacralisé. Le nucléaire reste néanmoins encore aujourd’hui la dragée qu’il faut porter le plus haut possible. Par conséquent, le seul argument qui rend le nucléaire si incontournable en France est l’argument de puissance.
Propos recueillis par Anthony Laurent
À lire : Superphénix, déconstruction d’un mythe, Christine Bergé (photographies de Jacqueline Salmon), Les empêcheurs de penser en rond, La Découverte, octobre 2010, 150 p., 13 euros.
Image : Jared Rodriguez / t r u t h o u t ; Adapted : AmyZZZ1 trying to decide what one to get !, D Sharon Pruitt
Notes
[1] Superphénix est le réacteur de la centrale nucléaire de Creys-Malville, en France. Lancé par le Premier ministre Jacques Chirac en 1976, il est mis en service en 1985, et arrêté définitivement en 1998. Les travaux de démantèlement devraient durer jusqu’en 2027. Soit dix ans de construction, trente ans de déconstruction, pour une durée de vie utile de onze ans au total, en comptant les périodes d’arrêt. À lire, sur l’histoire du réacteur : Superphénix, des braises sous la cendre, Le monde diplomatique, avril 2011Source: Bastamag
Moi je sais… on les construit en bord de mer,… comme ça la nature s’en charge… pas drôle je sais…
Bon évidemment, tout peut arriver (on a le droit d’être parano ou rationnel à sa façon après tout) mais je reste quand même profondément attaché au nucléaire pour ma part. 1-Au niveau des émissions de CO2 c’est le top. 2-Cela nous permet de payer moins cher qu’ailleurs et surtout beaucoup moins cher que si on décidait dés maintenant d’en fermer énormément en 20 ans. 3-Les alternatives ne sont pas encore assez au point, encore trop cher et inefficace dans certaines situations. 4-Elles apportent beaucoup d’emplois ces chères centrales. 5-C’est bien d’avoir des secteur nationaux de prestige, on est bon sur une dizaine de choses en France, on ne va pas en renier un des 5 plus important.
Je trouve la perspective sur le nucléaire de François Hollande raisonnable (l’un des quelques points que j’aime du programme, parmi d’autres que j’aime bien moins…).
Et puis si jamais ça pète, c’est le jeu ma pauvre Lucette, on ne peut pas sans cesse vivre dans la peur. Le risque est partout, il nous entoure et il est omniprésent d’un bout à l’autre d’une vie, c’est un fait. Le risque d’avoir une explosion ou un évènement climatique qui viendrait chambouler l’équilibre de nos jolies centrales est vraiment très très léger comparé à d’autres risques de la vie.
Enfin, si ça pète, vous pouvez toujours sauter dans un avion, ça donnera une bonne raison de se tirer ailleurs quelque temps, découvrir d’autres cultures et profiter d’un air nouveau.
Hitler aussi pouvait vanter les avantages des camps d’exterminations, il a fini dans les flammes… c’est sa place de maudit.
Si on se réfère à la pense unique c’est impossible, l’état donne pas assez d’argent pour ça et c’est pas près de s’arrêter avec le traité de prolifération sur les armes nucléaires avoir des centrales c’est le moyen le plus rapide pour construire une bombe en cas de guerre.
D’un point de vu scientifique, une Z-Machine pour l’infrastructure et de la culture de plante pour décontaminé les sols et tu brules toute cette merde dans la machine donc le centre de fusion est confiné dans un champs magnétique tellement puissant ce que les radiations ne peuvent pas contaminé la machine.
Un fois la zone décontaminé tu peux alimenté la Z-machine avec n’importe quoi, des banquiers et des politiciens par exemple, pour un fois, il pourrais nous faire gagner de l’argent et nous éclairer… ^^
oué merci pour le sourire !
mon avis ne vaut rien …je suis un vaurien …
mais la centrale de brénilis parle pour moi …